Architecture du printemps : L'art de se reconstruire
Scène

Architecture du printemps : L’art de se reconstruire

Enracinée dans le contexte mouvementé de la grève étudiante, la dernière pièce d’Olivier Lépine fait écho au «printemps érable» tout en se détachant singulièrement de ses précédentes créations. 

Seul comédien de la distribution, il portera pour une première fois ses propres mots à la scène, incarnant le personnage de Vincent, un jeune cinéaste bousculé par une éprouvante rupture amoureuse, en plein cœur d’un mouvement social en effervescence. Entre le tumulte des manifestations, une altercation policière significative et l’essor du carré rouge se dessine un parallèle entre le printemps critique du protagoniste et la vie peu commune de l’illustre peintre Vincent Van Gogh.

«Je trippe sur Van Gogh depuis que je suis vraiment jeune. Ça m’a suivi pendant toutes mes études, il a toujours été là. Tu sais, c’est le genre de truc qui te fait vibrer sans que tu comprennes trop pourquoi! Quand j’ai pensé à l’idée du spectacle, le sujet s’est un peu imposé. J’explore beaucoup la correspondance de Van Gogh, qui est un pan de sa vie qu’on connaît moins, mais d’une qualité riche et imagée.»

L'affiche de la pièce Architecture du printemps (Crédit: Julie Lévesque)
L’affiche de la pièce Architecture du printemps (Crédit: Julie Lévesque)

Au-delà de son attachement pour le légendaire artiste néerlandais, Olivier Lépine laisse transparaître dans le texte une couleur très personnelle, inspirée de sa propre histoire. L’écriture d’un tel récit enchâssé est alors apparue comme l’occasion idéale de tenter lui-même l’expérience en solo, un rêve qu’il envisageait depuis quelques années.

 

L’étincelle qui ne s’éteint pas

Dans une temporalité cyclique, qui n’est pas sans rappeler la succession des saisons, Architecture du printemps prend appui sur les forces opposées (gouvernement, autorités policières, étudiants) au cœur de la crise sociale de 2012. Cette tension devient ainsi prétexte pour explorer la relation conflictuelle entre le besoin criant de solitude d’un individu et l’énergie rassembleuse du mouvement étudiant. Si les parallèles sont nombreux entre le déchirement personnel et politique, il aura tout de même fallu plus de deux ans pour que l’anecdote donne naissance à un personnage, puis à un spectacle à part entière. «Si j’avais fait le show tout de suite après ces événements-là, mon regard n’aurait pas été assez éloigné, je n’aurais pas pris assez de maturité par rapport à ça. Ça aurait été un cri du cœur ou une simple anecdote sur ma vie. C’est la même chose avec les shows sur le printemps érable. On va les voir apparaître dans quelques années. On a peut-être besoin d’un délai», maintient le metteur en scène.

D’un autre côté, l’ambiance de révolte engendrée par la crise étudiante aura été pour plusieurs une occasion de prendre position par le théâtre, donnant lieu à la création spontanée de textes, de manifestes, de lettres ouvertes et autres écrits fortement engagés. Le mouvement social n’aura-t-il pas été l’étincelle d’un élan artistique? «Peut-être sur le coup. On était déjà dans une période trouble politiquement, qui faisait en sorte qu’il y avait déjà l’envie de porter une parole. Pour certains, le théâtre est devenu un acte plus citoyen. […] Je suis persuadé que ça n’a pas été un mouvement inutile, et qu’il y a du beau là-dedans. Est-ce que ç’a changé la société québécoise au sens large? Pas beaucoup. J’ai l’impression que les compressions budgétaires actuelles créent un mouvement de création et d’opposition plus important encore chez les artistes.»

Le même regard critique anime le discours d’Alexandre Fecteau, metteur en scène responsable de la direction artistique de la très engagée Marche action climat de 2015. «Je crois que l’effet a été de courte durée; ça s’est terminé sans sentiment de victoire. Moi, ça m’a plus découragé du Québec que d’autre chose.» Encore très habité par les nombreux enjeux sociaux soulevés il y a quatre ans, ce dernier affiche toutefois une certaine réserve quant à la manière de véhiculer son engagement politique dans le théâtre. «Il faut que ça reste d’abord une démarche artistique, dans l’authenticité de la création. Autrement, ça peut devenir assez aléatoire de passer un message sur scène, et d’espérer avoir un effet sur la population.»

Alexandre Fecteau (Crédit: Jasmin Robitaille)
Alexandre Fecteau (Crédit: Jasmin Robitaille)

Écho de solidarité

Néanmoins, le cri du cœur populaire du printemps aura réussi à animer l’engagement de quelques auteurs de la dramaturgie québécoise. Outre le texte d’Olivier Lépine, les écrits de Mani Soleymanlou et d’Olivier Kemeid en portent aussi les traces, tout comme ceux de Véronique Côté, auteure et metteure en scène des spectacles collectifs La fête sauvage et Attentat. «Le fait de prendre la parole par le théâtre était déjà politique. Je ne savais pas comment connecter cette parole avec une certaine actualité sociale. Ça m’a donné l’urgence de trouver des moyens pour le faire, affirme-t-elle. Ça m’a surtout donné envie de nourrir les spectateurs d’une autre sorte de discours que celui qui nous est martelé à longueur d’année sur notre impuissance politique.»

Si les créateurs de tous les milieux ont su trouver une place dans ce débat social, c’est sans doute chez ceux de la relève théâtrale qu’on peut voir les répercussions les plus importantes. Aussi, l’apparition exponentielle de collectifs de création artistique n’est pas sans rappeler le mouvement de solidarité ayant animé les rues quatre ans plus tôt. «Ç’a beaucoup changé la manière de s’organiser», confirme Émilie Tremblay, bachelière en mise en scène et responsable de la mobilisation étudiante de l’époque. «Les jeunes artistes tentent de se débrouiller sans subvention parce qu’ils savent qu’ils n’ont plus accès à ce genre de soutien. C’est une manière de vouloir couper les ponts avec le gouvernement, de tenter d’atteindre une indépendance artistique.»

Une manifestation du printemps 2012 (Crédit: Renaud Philippe)
Une manifestation du printemps 2012 (Crédit: Renaud Philippe)

Devenir architecte de son propre printemps, c’est le nouvel idéal qui semble se dessiner à l’horizon de la nouvelle génération de dramaturges et de metteurs en scène. Comme le souligne Olivier Lépine: «Le printemps arrive inévitablement. Il arrive parfois tardivement, parfois par surprise. Il n’en demeure pas moins une renaissance. Architecture du printemps, c’est un peu une recherche de lumière. C’est une manière d’observer comment on construit le parcours de sa vie, pour tranquillement en arriver à une espèce de lumière, de renaissance.»

Du 15 mars au 2 avril à Premier Acte