Cendrillon : Un grand maître nommé Pommerat
Éblouissante, cette réécriture contemporaine de Cendrillon (dite : Sandra ou Cendrier) marquera assurément l’histoire du Carrefour international de théâtre de Québec.
Le chapô ci-dessus est pompeux, mais ce n’est pas moins vrai : Cendrillon de Joël Pommerat est une pièce qui réjouira les fans Robert Lepage par son écrin actuel, des décors follement ingénieux, des éclairages mystifiants, l’utilisation adroite de projections et du plexiglas miroitant. Une scénographie hi-tech et poétique à la fois qui change du tout au tout d’un tableau à l’autre. Dès les premiers instants, on sait qu’on a affaire à une production de classe mondiale et que les attentes générées par les quatre Prix Molières récemment gagné par le créateurs seront comblées.
D’abord, il y a ce texte puissant. Cette narration d’une grande richesse lyrique et ces dialogues rigolos mettant en lumière les travers grotesques de la marâtre, Javotte et Anastasie, horripilantes bitchs qui ne manquent pas de faire rire par leurs sparages burlesques et leurs répliques complètement saugrenues. Dans cette version, on se prend même d’affection pour la belle-mère, pathétique personnage qui refuse de vieillir.
Pour tout dire, Pommerat ne présente pas Cendrillon comme une parfaite victime, mais comme une petite fille entêtée et antisociale. Elle est interprétée par Deborah Rouach, comédienne enlaidie qui l’incarne sans coquetterie inutile et jusque dans ses moindres gestes. Une performance extrêmement convaincante, idem pour celle de ses collègues parfaitement rôdés. Mentionnons d’ailleurs au passage les micros qui les empêchent de surjouer, leur permettre de chuchoter et de donner dans la subtilité par moments.
Cette relecture n’a rien d’une vidéocassette de Disney. L’auteur et metteur en scène français mise sur un environnement visuel glauque et, surtout, sur une prémisse peu étudiée jusqu’ici. L’élément déclencheur du spectacle apparait dès les premières minutes et il s’agit, fait assez étonnant, de la mort de la mère de la très jeune fille. Un élément à peine évoqué jusqu’ici dans les autres relectures du conte de Perreault ou des Frères Grimms, tout dépendant de votre allégeance. Un choix rédactionnel qui permet au spectateur de découvrir l’héroïne sous un autre angle, de faire plus ample connaissance avec cette enfant profondément traumatisée par le deuil qui l’accable et pas uniquement par les tâches ménagères imposées par la copine de son père.
Sans aucun temps-mort, cette pièce d’une heure quarante passe en un clin d’œil notamment grâce à des scènes courtes, un environnement sonore riche fait de bruitage cinématographique et de musiques instrumentales bien choisies. Le spectacle tourne depuis 2011 et, franchement, ça parait.
26 mai à 19h au Théâtre de la Bordée
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