Scène

Mozongi : Le rythme de la liberté

La Compagnie Danse Nyata Nyata souffle cette année ses 30 bougies. C’est pourtant la toute première fois que la troupe se produit à Québec, dans le cadre de la reprise de leur spectacle emblématique Mozongi.

Depuis ses débuts, la compagnie de la chorégraphe Zab Maboungou occupe les mêmes studios, sur le boulevard Saint-Laurent, à Montréal. Un endroit fédérateur où se côtoient ateliers de yoga, musique classique, artistes du noise… et danse africaine! «Ce studio-là, c’est une ancienne manufacture d’habits, raconte Zab. Je m’y suis installée en avril 1987 et j’ai dit: “On ouvre en automne”. J’ai travaillé comme une chienne pour construire ce studio-là, parce qu’il me fallait un lieu. Ensuite, on a fondé la compagnie.»

Aussi passionnée qu’énergique, la directrice artistique s’est alors appliquée à enseigner son art, malgré la réticence des danseurs de l’époque. Encore aujourd’hui, l’enseignement est une priorité dans l’approche de la chorégraphe, pionnière dans l’intégration de la culture africaine au sein de la danse contemporaine. Il a d’ailleurs fallu plusieurs années avant que des groupes de danseurs se greffent aux projets de Nyata Nyata. «J’ai commencé comme solo parce que je n’avais pas le choix, parce que personne ne comprenait rien. Les gens disaient: “Mais non, ce n’est pas de la danse contemporaine, ça! C’est de la danse d’Afrique”. Ça, je continue de l’entendre.»

Quand l’impossible devient possible

Créé en 1997 à la Place des Arts, le spectacle Mozongi (qui signifie «ceux qui reviennent») a été la première pièce d’envergure de la compagnie. Le spectacle, conçu autour du rythme et du temps, avait été pensé pour une vingtaine de danseurs. Quoiqu’impossible à rassembler, cette quantité imaginaire aura été déterminante pour le projet chorégraphique, imposant une dynamique particulière à l’espace et au mouvement. La distribution compte finalement cinq interprètes, dansant au rythme de la vibration des tambours avec lesquels ils partagent l’espace scénique.

Photo : Kevin Calixte
Photo : Kevin Calixte

La présence physique de la musique sur scène compte pour beaucoup dans l’énergie du spectacle et le travail des danseurs, indique Zab Maboungou. «Chez moi, on parle de scénographie rythmique. Les musiciens sont rivés à leurs tambours, mais les rythmes qu’ils jouent sont partie intégrante de la mobilité sur scène.» C’est, en quelque sorte, un dialogue qui se tisse entre les corps animés des interprètes et la partition très précise exécutée en parallèle. Une symbiose qui s’écrit au présent, sans contact visuel ou physique entre eux. «Quand les rythmes parlent, la communication est claire.»

Danser sur ses racines

Digne représentante de la diversité culturelle dans le milieu québécois de la danse contemporaine, la compagnie Nyata Nyata surprend par des spectacles aux frontières des genres, qui prennent racine dans la tradition africaine. C’est bien souvent à contre-courant que s’inscrivent les choix artistiques de la chorégraphe, ne manquant pas de faire réagir le public et de surpasser les attentes. «Quand les gens parlent de danse traditionnelle, ils ne savent pas du tout de quoi ils parlent. Quand on me parle de tradition, je réponds que je suis en plein dans la modernité», explique joyeusement l’artiste congolaise.

«C’est la richesse, la diversité et la folie de l’Afrique qui m’ont formée en danse. La racine de Mozongi, c’est les rythmes. En Afrique, on a des rythmes spécifiques et codifiés. Les Africains ont une culture et une connaissance rythmiques. Ce sont des choix rythmiques qui placent le corps dans des structures spatiales et des postures physiques spécifiques. Toutes mes œuvres se préoccupent de ça.»

C’est donc avec beaucoup de liberté et de rigueur que la danseuse et chorégraphe se plaît à faire le nœud entre les figures chorégraphiques occidentales et les postures africaines qui habitent son imaginaire. À sa manière, cette approche renouvelle le regard du grand public, créant des événements qui rassemblent les communautés et provoquent l’effritement des préconceptions. Une problématique que Zab Maboungou porte au cœur de sa démarche. «À mon avis, la danse contemporaine devrait être en mesure de prendre en charge sa propre actualité. C’est ce que je fais. Je prends en charge. Les préjugés, ils font partie de mon univers. Je n’en suis pas effrayée. Ils sont partout, c’est inévitable. […] Aujourd’hui, la danse contemporaine doit se repenser. Selon moi, c’est la diversité qui va renouveler la danse contemporaine.»

Mozongi
9 février à 20h
au Théâtre de la Bordée
(Une présentation de La Rotonde)

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