Julien Lacroix : Jeune premier
Scène

Julien Lacroix : Jeune premier

Refusé à l’École nationale de l’humour, Julien Lacroix a appris à tirer le meilleur de ses faiblesses. Un brin bordélique dans son écriture, l’humoriste montréalais s’est servi de son parcours d’improvisateur pour se construire un personnage décalé, capable de relever le défi peu banal d’enchaîner les vulgarités sans être nécessairement choquant.

«Là, je viens juste d’apprendre que ma sœur est enceinte», annonce Julien Lacroix en introduction de son plus récent spectacle. «Je vais être papa!»

Aussi déplacée qu’elle puisse paraître, la réplique donne le ton à l’univers de l’humoriste, là où les blagues déphasées d’inceste ou de violence conjugale côtoient les mises en scène impromptues qui mettent en valeur son personnage irascible, les anecdotes rustres sur la pauvreté hochelagaise et les observations stéréotypées sur le public de Peter Macleod.

Sur papier, on pourrait croire à un émule du gros cave, personnage emblématique de Jean-François Mercier, mais l’enrobage est tout le contraire. Avec ses allures de jeune premier, flanqué d’une chemise propre et coiffé d’un toupet châtain soigneusement placé, Julien Lacroix peut s’aventurer dans presque tous les terrains glissants, sans risquer un scandale.

Invité à participer à En mode Salvail en février dernier, dans le cadre d’un pastiche de La Voix pour humoristes de la relève, le Longueillois d’origine a réussi à tirer son épingle du jeu face à ses concurrents. «En une heure, il y a 5000 personnes de plus qui ont aimé ma page. Ç’a vraiment bien été, même si j’ai échappé quelques vulgarités en improvisant… Parler de sida à la télévision, c’est jamais l’idéal», dit-il, sourire en coin. «Je crois que j’ai réussi à l’emporter en jouant une carte plus trash que les autres. J’m’en sors bien parce que j’ai l’air gentil et que, souvent, c’est moi l’imbécile dans la situation.»

Photo : Antoine Bordeleau
Photo : Antoine Bordeleau

L’impact direct des vidéos

Ce style d’humour particulier, chaotique mais maîtrisé, Lacroix le doit en grande partie à sa présence scénique innée et à son charisme verbomoteur. À cet effet, sa tentative ratée d’entrer à l’ENH en 2013 lui a été bénéfique. «Après l’audition, j’ai fait “fuck off”. Ça me faisait vraiment chier de ne pas avoir été choisi», admet-il. «J’ai pris une pause de près de deux ans du milieu de l’humour, durant laquelle j’ai fait beaucoup d’impro et travaillé dans un atelier de costume. J’ai flâné un peu, sans trop savoir ce que j’allais faire. C’est quand j’ai eu l’occasion de lancer ma soirée hebdo (Les mardis du rire) que j’ai repris goût à tout ça. J’ai commencé à tourner des vidéos promos sur le web, et ça m’a fait redécouvrir mon personnage. C’est vraiment ça qui m’a redonné confiance.»

Depuis mars 2015, l’artiste de 24 ans a multiplié les capsules sur sa page Facebook. Si ses premières le montraient seul devant sa webcam à débiter différentes anecdotes sans queue ni tête, ses plus récentes font preuve d’une réalisation amplement plus poussée, fruit d’une étroite collaboration avec Alec Pronovost (la corp, Luxembourg Mobile). Semaine après semaine, on peut y voir Julien Lacroix s’empêtrer dans différentes situations du quotidien, en compagnie d’humoristes reconnus du milieu comme Katherine Levac, Pierre-Luc Funk et Adib Alkhalidey.

Et les résultats sont au rendez-vous: «Les vidéos, c’est ce qui marche le plus. J’ai beau faire plein de shows, mais c’est de ça qu’on me parle tout le temps. Je constate même une influence directe: chaque fois que je sors deux vidéos, je remplis le Lion d’or avec mon spectacle.»

Structurer l’improvisé

Présenté au dernier Zoofest, son premier 60 minutes au titre volontairement flou Voisiquement-moi a grandement évolué dans les derniers mois, et l’apport de l’humoriste Gabriel D’Almeida Freitas à la mise en scène n’y est pas pour rien. «J’improvise vraiment beaucoup dans ce show-là, et Gabriel, lui, s’assure de noter tout ce que je dis de nouveau», explique-t-il. «Heureusement qu’il est là, car moi, quand je suis sur scène, j’entre dans une bulle et j’me souviens pus de rien après. Le numéro sur les fans de Peter MacLeod en est le meilleur exemple: j’ai improvisé ça un soir, et après, on l’a réécrit, structuré et inclus officiellement dans le show.»

La première partie de ce spectacle est d’ailleurs entièrement axée sur la spontanéité de Lacroix. La facilité qu’il semble avoir à échanger avec le public durant cette intro de près de 20 minutes est essentiellement tributaire de l’expérience qu’il a acquise au sein des ligues d’impro C.I.A., La Sprite et La Limonade.

«C’est grâce à ça que j’ai réalisé que j’écrivais mieux en improvisant. Autrement, j’ai pas la structure pour m’écrire des gags», avoue-t-il. «Souvent, c’est la vulgarité qui arrive en premier, mais selon moi, y a rien qui sort de plus drôle que quand t’es dans’ marde. C’est sur cette adrénaline-là que mes comparaisons fucked up pis mes idées les plus folles arrivent. Des fois, c’est pas bon du tout, mais je finis par m’en sortir avec des patterns. Ce qui me sauve, c’est que mon personnage réussit quand même à se penser bon lorsqu’il foire.»

Photo : Antoine Bordeleau
Photo : Antoine Bordeleau

Derrière cette attitude surexcitée qu’il dégage en spectacle se cache toutefois une certaine anxiété. Sans entrer dans le vif du sujet, Julien Lacroix reconnaît qu’il est une autre personne sur scène que dans la vie de tous les jours. «Je reste quelqu’un de très angoissé, même si j’ai appris à me contrôler un peu», confie-t-il. «Des fois, je peux être très down, mais quand je monte sur scène, je suis en pleine forme. Dans ces cas-là, j’aimerais pouvoir faire des shows de quatre heures pour pas revenir tout de suite dans la vraie vie.»

12 avril et 17 mai au Lion d’or (Montréal)

22 avril et 20 mai au Théâtre Petit Champlain (Québec)

13, 21 et 22 juillet au Monument-National (Montréal) – avec Mehdi Bousaidan

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