Comme une manière de virer à l’envers nos jugements et nos préconceptions sur le troisième âge, la pièce propose une intrusion dans la salle commune d’un Centre d’Humbles Survivants Légèrement Détraqués (une libre interprétation de l’acronyme CHSLD). Au sein de ce décor de chaises berçantes et de tricots inachevés, cinq résidents pour le moins loufoques traversent un quotidien rythmé par les prises de médicaments, les feuilletons et les repas; une ritournelle absurde où s’invitera rapidement la clownerie. «C’est pas toujours facile. Ils sont là à attendre, à essayer de remplir leur journée. Après, on y met plein de folie, plein d’événements qui peuvent devenir amusants pour le public. C’est riche, théâtralement, et c’est très humain. On veut faire ça touchant, mais c’est drôle aussi», explique l’instigatrice du projet, qui tente de tisser un univers à la croisée du tragique et du comique.
Jouer à être vieux
C’est dans le cadre des Cartes blanches du Théâtre Niveau Parking, en 2015, que CHSLD a d’abord vu le jour. Véronika, reconnue pour son travail du jeu clownesque, s’était alors déjà entourée d’une équipe de comédiens créateurs qui l’ont aidée à façonner ses protagonistes colorés, au fil d’improvisations dirigées.
Articulé autour d’enjeux auxquels fait face une génération vieillissante, le spectacle est essentiellement visuel, puisque l’économie de répliques est habilement traduite par un jeu très physique, mettant en valeur la virtuosité des comédiens. «On veut le moins de mots possible. L’idée c’est de trouver comment on peut passer l’information en allant toujours à l’essentiel. Les comédiens improvisent et moi je coupe, je ramasse ce que je veux, pour que ça soit aussi plaisant à regarder», indique la metteure en scène, comparant les cabrioles des personnages au slapstick de l’iconique Charlie Chaplin. Le défi sera d’autant plus intéressant à observer que les rôles de vieillards sont campés par de jeunes acteurs, dans un renversement carnavalesque qui promet d’ajouter beaucoup à l’aspect comique de cet environnement déjà rocambolesque.
Accomplir le quotidien
Au-delà des pirouettes et des grimaces, le clown s’avère être le véhicule parfait pour jouer avec les codes de la vieillesse, grâce à la profonde humanité qui le caractérise. «Le clown, c’est proche de l’enfance, et les vieux, c’est aussi très proche de l’enfance. Je trouvais que c’était une matière assez intéressante à exploiter et une ressource très riche où tout est possible. J’aime ces personnages-là, qui sont naïfs et attachants», des archétypes à mobilité réduite, qui transformeront leur salon en cour de récréation.
Un ancien combattant, un musicien jovial, une douce dame, un nouvel arrivant et, au milieu de tout ce cirque, un préposé «qui se tape toute la job avec beaucoup d’amour, en faisant son gros possible». Évidemment, il est difficile d’éviter de parler des côtés moins joyeux des CHSLD, qui ont souvent mauvaise presse, relativement aux coupes budgétaires qu’ils subissent. «Oui, on fait des petits clins d’œil à l’actualité, on dit certaines choses, sauf qu’en même temps, je ne veux pas non plus seulement dénoncer.» Nul besoin de souligner l’état des lieux à gros traits, pense Véronika. Le fait d’aborder le sujet sur une scène suffit pour émettre un commentaire socialement engagé, pour dire les choses sans les nommer.
Bien que le sort des personnes âgées soit un thème universel susceptible de toucher toutes les générations, la metteure en scène admet qu’il s’agit d’un sujet sensible, à traiter avec douceur. «On espère que les gens vont sortir de la pièce et appeler leurs grands-parents, visiter leurs proches et dire merci au préposé. C’est le message que je veux passer. Il faut prendre un temps pour se dire que ces gens-là, ils sont là, ils sont dévoués.»
Il y a une bonne dose de tendresse dans le portrait scénique proposé par la metteure en scène. Dans un genre théâtral déjanté, peu souvent à l’affiche en saison régulière, le public n’est pas invité à rire de ses aînés, mais plutôt avec eux. À rire de ces traits de caractère trop bien imprégnés dans la vitalité de personnages plus grands que nature, qui s’opposent et font souvent des flammèches, sur scène comme dans la vie. Comme le résume Véronika Makdissi-Warren: «Tout le monde l’est un peu, clown. C’est ça qui est beau.»
Du 24 octobre au 18 novembre
Théâtre de La Bordée