Scène

Mariana Mazza : Femme libérée

Dans son premier one-woman-show, Mariana Mazza exprime tout haut cette féminité qu’elle a si longtemps refoulée.

Sur scène comme en personne, l’humoriste montréalaise a la parole franche et spontanée. Celle qui aborde sans tabou son taux élevé de testostérone, son célibat et son rapport à la masturbation dans Femme ta gueule, spectacle qui connaît un succès retentissant partout au Québec, donne l’image d’une femme émancipée et complètement libre.

C’est d’ailleurs ce mot, «libre», qui semble être le plus utilisé dans les médias pour la définir depuis sa première montréalaise au Théâtre Saint-Denis à l’automne 2016. Une épithète qu’elle prend avec un grain de sel. «La liberté, ça vient avec des échecs, des coups de poing dans la face. Personne n’est totalement libre à 27 ans», nuance la Montréalaise.

«Par contre, c’est certain que je me libère de certaines affaires [avec mon spectacle]. J’ai été complexée sexuellement très longtemps. J’étais pas bien dans ma peau, je m’assumais pas dans ce que j’étais. Jusqu’à l’âge de 16 ans, je jouais au soccer et j’étais la fille sportive qui voulait pas s’habiller en moulant, qui se tenait avec des filles plus belles qu’elle. Par la suite, j’ai réalisé mes courbes, mes formes, je voulais le regard des hommes. Ça m’excitait, mais encore là, je savais pas comment assumer tout ça. C’est vraiment sur scène que j’ai commencé à le comprendre, même si au début, je m’habillais comme un p’tit gars avec une chemise d’armée, des studs pis des cheveux en crinière. Aujourd’hui, je suis un peu plus amazone, pas de maquillage.»

De ses débuts comme animatrice de rue au festival Juste pour rire à sa tournée panquébécoise aux côtés de Virginie Fortin, en passant par sa révélation à En route vers mon premier gala et ses premières parties de Peter MacLeod en 2013 et 2014, Mazza a grandement évolué, autant comme femme que comme artiste. Plus de 170 000 billets vendus plus tard, ainsi qu’un Félix dans la catégorie du Spectacle d’humour de l’année au dernier Gala de l’ADISQ, elle a appris à s’aimer et à apprivoiser son corps à travers le regard du public.

«Je me trouve belle maintenant, affirme-t-elle. C’est drôle, parce que 90% des gens que je connais et qui sont devenus connus ont choisi de perdre du poids. Ils ont eu cet appel de la beauté, cet appel de se «chixer» que moi j’ai jamais eu. À la place, j’ai eu l’appel de me rendre femme avec plus de classe, d’être vulgaire avec plus de classe, de répondre à des questions et de réfléchir [durant mes spectacles]. Pour moi, ça, c’est plus être une femme que de me montrer les seins, de maigrir ou de montrer à tout prix que j’ai pas de bourrelets.»

De là l’idée de notre couverture de magazine: une Mariana Mazza au naturel, exhibée sans artifices. «Mon but, c’est pas que ce soit provocateur, mais que les gens voient de quoi j’ai l’air pas maquillée, pas coiffée. J’ai toujours dit que j’aimais montrer les corps pas aseptisés, et c’est justement ce que j’ai, un corps pas aseptisé, avec mes tattoos et mon petit ventre. Je trouve ça beau les choses qui sont pas tight

Mission d’authenticité

À elle seule, cette mise à nue en dit long sur le processus d’acceptation de soi de l’humoriste qui, plus que jamais, veut se poser comme une référence ou un repère pour les jeunes complexés. Malgré le fait qu’il soit classé 16 ans et plus, une simple formalité «pour éviter les poursuites», Femme ta gueule attire son lot d’adolescentes chaque soir, selon ce qu’observe la principale intéressée. «J’ai pas la prétention de dire que je vais les éduquer sexuellement, mais j’ai la prétention de dire que je suis passée par là et que j’ai confiance en moi. Surtout, je veux leur dire que la clé pour se libérer de ces complexes-là, c’est de parler aux gens, de poser des questions, de créer un lien humain et d’arrêter de se confier juste sur internet.»

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crédit : Maxyme G. Delisle (Consulat)

Bref, comme elle l’affirme elle-même, Mariana Mazza est «en mission». Consciente du privilège qu’elle a de pouvoir s’adresser à une foule à raison de trois ou quatre fois par semaine, elle se fait un devoir de livrer une version authentique d’elle-même, en évitant de romancer les histoires qu’elle raconte. «Je suis pas du genre à inventer des anecdotes, mais il se peut que j’exagère parfois une blague en la punchant avec une métaphore, par exemple. Au-delà de ça, j’me sentirais coupable d’aller dire des fausses affaires pendant trois ans à tout le Québec. Ceux qui choisissent de faire ça, ils ont besoin d’attention, ils ont une vie plate et pas intéressante. Moi, j’ai une vie rocambolesque, alors quand t’es quelqu’un d’intense comme ça, la vie te redonne toujours de quoi d’intense…»

En plus de lui fournir de la matière pour ses textes, ce côté décomplexé et irrévérencieux de sa personnalité lui a permis de se démarquer au sein de la communauté humoristique, notamment avec le numéro maintenant anthologique Sable dans le vagin, interprété dans un gala Juste pour rire en 2015 et visionné plus de deux millions de fois sur internet depuis. Dès lors, plusieurs Québécois l’ont adoptée ou bien rejetée en raison de son langage parfois trivial, de son «attitude de rebelle» et de ses affinités avec certains thèmes associés à l’humour trash, genre humoristique qu’elle rejette pourtant en bloc.

«Si les gens pensent que je suis trash parce que je dis le mot plotte, tabarnak ou «ta yeule», c’est qu’ils n’ont jamais voyagé! s’exclame-t-elle. Dans le contexte de mes shows, un mot vulgaire, ça vient justifier une situation. Jamais je ne l’utiliserais pour uniquement déclencher une réaction! Ça me servirait à rien de charger 42 piasses à du monde pour les provoquer comme ça.»

Reste que l’humour cru de Mazza en dérange plusieurs. Si elle permettait auparavant aux plus haineux d’entre eux de s’exprimer sur sa page Facebook, allant même jusqu’à leur répondre sur scène, elle a dorénavant choisi de censurer leurs propos. «J’enlève les messages négatifs automatiquement, dit-elle. J’ai pas choisi d’être humoriste pour me justifier à des gens qui ont pas de vie et, surtout, j’ai pas d’énergie à mettre sur des gens dont je remets même en cause l’existence.»

Au lieu de broyer du noir, la Québécoise se garde en forme avec une discipline rigoureuse. Pour garder le cap et la flamme après 270 représentations du même spectacle, elle évite les dérapages alcoolisés, s’entraîne régulièrement, écrit presque quotidiennement et «mange beaucoup de protéines et de légumes pour avoir le plus d’énergie possible en une heure et demie».

Désirant toujours se surpasser, elle fait constamment évoluer ses numéros. «J’ai enlevé une couple d’affaires que je trouvais trop littéraires, car je voulais quelque chose de plus viscéral. Après 200 fois, je finirais par m’emmerder à faire les mêmes gags, donc pour m’amuser, j’interagis avec les gens. À chaque show, y a une twist différente ou une parenthèse de confidence qui peut durer jusqu’à 30 minutes de plus. Les spectateurs font partie intégrante de mon humeur: si je suis exaltée, je vais improviser en malade et si je suis un peu plus en crisse, ils vont le savoir.»

À l’aune de cette année extraordinaire, également marquée par ses débuts au grand écran québécois (dans les suites de Bon Cop, Bad Cop et De père en flic), Mariana Mazza devrait être en mesure de tirer son épingle du jeu au prochain Gala Les Olivier, là où elle est nommée cinq fois. Sans accorder une importance démesurée à ce genre de prix, elle admet croire en ses chances de remporter au moins une statuette. «En fait, je suis surtout contente et crissement fière de dominer les nominations dans un monde d’hommes comme celui de l’humour au Québec. En même temps, c’est cool, les nominations, mais qui s’entraîne pour aller aux Olympiques pis récolter le bronze?»

Gala Les Olivier
10 décembre (ICI Radio-Canada Télé)

MONTRÉAL
Femme ta gueule
21 décembre 2017 et 13 janvier 2018 à L’Étoile Banque Nationale (Brossard)

20 janvier 2018 à L’Olympia (Montréal)

QUÉBEC
Femme ta gueule
22 et 23 décembre à la Salle Albert-Rousseau