Quand la pluie s'arrêtera : En attendant l'éclaircie
Scène

Quand la pluie s’arrêtera : En attendant l’éclaircie

Sur une trame de désastre écologique imminent, les mots de l’auteur Andrew Bovell dessinent un parcours semé d’embûches, au carrefour des générations futures et passées.

D’abord encensée par la critique australienne et américaine, Quand la pluie s’arrêtera est transposée pour une toute première fois à la scène francophone, grâce au travail de traduction et de mise en scène de Frédéric Blanchette, instigateur de cet ambitieux projet. C’est par hasard que le texte lui est tombé entre les mains, dans le cadre du comité de lecture de la compagnie théâtrale LAB87, aussi coproductrice du spectacle. Réunissant le talent de neuf comédiens sur scène, le projet a notamment la qualité de nouer de nouveaux liens entre les scènes théâtrales de la capitale et de la métropole. «Les coproductions, ça donne l’occasion de rencontrer de nouveaux visages. Je connaissais déjà Paule Savard, mais je n’avais jamais travaillé avec Christian Michaud ou Marie-Renée Bourget-Harvey à la scénographie. Ça force à sortir de sa zone de confort», affirme Frédéric Blanchette, à la lumière des premières représentations ayant eu lieu l’automne dernier, à Montréal.

Plus ça change… plus c’est pareil

Bien que le récit des personnages soit ancré dans des thématiques très concrètes et réalistes, la prémisse laisse toutefois présager une approche surnaturelle. Dans un futur pas si lointain, en terres australiennes, un poisson tombe du ciel aux pieds d’un homme, sous une pluie diluvienne qui ne semble jamais vouloir cesser. Cet événement s’avère être le signe de la fin imminente du monde, dans une inondation dévastatrice annoncée par les générations antérieures. «C’est un événement fantastique, un peu mythique. […] La pièce dépeint un monde tellement déréglé, où il n’y a pas de soleil et où il pleut tout le temps. Donc, on se dit, pourquoi pas. Si on observe tant de choses aujourd’hui, avec la fonte des glaciers, je n’imagine même pas [ce que ce sera] en 2039.»

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photo : Caroline Laberge

Le phénomène n’est pourtant qu’une excuse pour parler de la responsabilité d’une génération envers une autre, tant dans la sphère environnementale que sur le plan humain. Quand la pluie s’arrêtera met en scène un récit pluriel, déployé sur une ligne du temps éclatée où les paroles et les gestes des protagonistes se font écho de 1959 à 2039. «Chaque histoire est super; ce sont vraiment de fabuleuses histoires. L’intérêt de la pièce, c’est comment elles se parlent et s’influencent sans même se rencontrer.» Dans cet enchevêtrement d’époques, l’auteur tisse des liens entre des réalités et des enjeux qui traversent immanquablement chaque branche d’un arbre généalogique. Tandis que le casse-tête s’assemble progressivement sur une planète à l’écologie décrépite, c’est surtout un questionnement sur leur propre héritage qui mobilise les personnages, incapables d’échapper à leur passé.

Père manquant, fils manqué?

À la mise en scène, Frédéric Blanchette semble avoir eu un réel plaisir à façonner cette fiction aux protagonistes torturés. «Les personnages sont de mauvais parents. Il y a des gens qui ont fui, un père absent, des enfants non désirés. Ce sont des gens pognés dans le mal qui leur a été fait, incapables de transmettre quelque chose de valable. Ça en dit long sur notre incapacité à s’occuper de la génération qui s’en vient après nous.» C’est donc avec un propos ferme, sombre, mais non dénudé d’espoir que la pièce tente d’expliquer les déchirements qui séparent nos générations. C’est d’abord un constat d’échec, dont le potentiel avenir pourrait s’ouvrir sur un futur plus lumineux, où il y aurait possibilité d’un pardon. «Pour changer, il faut un aveu de certains torts. Sans cette demande de pardon là, il ne se passe rien. On peut penser à notre rapport aux Autochtones, par exemple», explique le metteur en scène.

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photo : Caroline Laberge

Ici, le théâtre se fait donc métaphore pour s’attaquer à une problématique plus large, qui traverse les nations et les siècles. D’une décennie à l’autre, à travers les tempêtes, les humains demeurent immanquablement perméables aux conséquences de leurs prédécesseurs. La pièce commande au spectateur une réflexion plus poussée sur la portée de ses gestes et sur les relations humaines qu’il tisse autour de lui, autant que sur l’état global de sa société. Qui sait, les averses éternelles (et autres chutes de poissons) ne sont peut-être pas si loin de nous qu’on le pense. «Quand on pense qu’aujourd’hui, il y a encore des climatosceptiques, on est tellement loin d’un début de quelque chose», conclut cyniquement Frédéric Blanchette.

Du 16 janvier au 10 février
Au Théâtre du Trident