Daniel Grenier : Lâcher-prise
Scène

Daniel Grenier : Lâcher-prise

Avec son premier one-man-show J’adore, fruit d’un long rodage de près de quatre ans dans les bars et les salles du Québec, Daniel Grenier donne libre cours à sa créativité débordante.

L’important, ce n’est pas la destination, c’est le voyage. L’adage rabâché, Daniel Grenier le connaît bien. «Si je suis ici à parler avec toi, c’est que j’aime vraiment ce que je fais… Tomber dans la relève à 40 ans, c’est vraiment pas facile», admet-il, visiblement heureux du chemin parcouru depuis la séparation des Chick’n Swell en 2014. «D’ailleurs, je conseillerais à tous les humoristes de ma génération et de celle d’avant de retourner dans les bars pour roder leur matériel avec les jeunes humoristes. Ils travaillent fort en tabarnouche, c’est inspirant.»

Terre-à-terre, l’humoriste et auteur-compositeur-interprète s’est servi une bonne dose d’humilité en se réappropriant la scène en solo. «Ç’a pas été si simple, euphémise-t-il. Pendant 23 ans, j’ai été avec deux gars sur scène, à faire des sketchs de ninja comme si on était des enfants dans un carré de sable. On jouait avec un quatrième mur, comme à la télévision. Là, d’un seul coup, il n’y a plus personne avec moi, et je dois apprendre à me revirer vers les gens, à connecter avec le public. Le gros problème là-dedans, c’est que j’ai dû tout faire ça au Québec! J’aurais mieux aimé recommencer dans un autre pays, aller me planter ailleurs pis revenir ici pour être bon.»

Grenier garde un souvenir doux-amer de cette période d’essai-erreur. Un spectacle donné au mythique bar Chez Maurice à Saint-Lazare a d’ailleurs failli avoir raison de lui. «Sur quinze minutes, je crois qu’il y a une minute et demie qui a bien été. C’était atroce! En plus, on m’a présenté comme un ancien membre des Chick’n Swell…. C’était vraiment chien pour les autres gars, je scrappais vraiment le nom du band! se rappelle-t-il, en riant. Le lendemain, j’avais plus du tout envie de faire de scène, mais mon gérant [Michel Grenier, son frère] m’avait booké un autre show, tout près de chez moi. J’ai décidé de construire un six minutes à partir de la minute qui a bien été. C’te coup-là, ç’a bien fonctionné.»

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photo : Antoine Bordeleau

Plusieurs centaines de numéros et de spectacles de rodage plus tard, le Montréalais d’adoption a creusé son sillon avec ingéniosité. «J’ai rodé mon show comme on fait du sirop d’érable: j’fais bouillir des jokes en tabarnane pour en arriver avec une canne», image-t-il, habilement. «Sérieusement, ça m’a pris un an et demi avant de me sentir bien seul sur scène. C’est long un an et demi quand tu joues beaucoup et que, malgré tout, t’as pas l’impression de t’amuser pour vrai. Y a fallu que je scrappe tout ce que je connaissais pour en arriver à tripper. Maintenant, j’ai un lâcher-prise total.»

Un style «what the fuck»

Feu roulant d’absurdités et de pitreries en tous genres, J’adore cherche à dérouter le spectateur, à le prendre par surprise. Astucieux, Daniel Grenier y intègre la crème des trouvailles musicales et matérielles qu’il a récemment faites. «Je fais des bouts de tounes, je montre des cartons que j’ai imprimés, je prends ma guitare, je sors une poupée… Ça donne un style vraiment “what the fuck”», explique l’artiste de 45 ans, quand on lui demande de nous résumer le fil conducteur du spectacle. «Avec moi, j’ai trois valises pleines de jouets, des objets que j’ai ramassés en me promenant d’un marché aux puces à l’autre. Un des numéros qui fonctionne le plus, c’est celui où je reproduis la chorégraphie d’un chat électronique que j’ai acheté y a plusieurs années. Récemment, il a brisé, donc je suis allé en racheter un modèle usagé un peu moins brisé, que j’ai complètement défait et ressoudé.»

Bref, à lui seul, le terme «absurde» ne suffit pas pour décrire l’ampleur du délire qui habite l’artiste dans J’adore. Une précision toutefois s’impose: «C’est pas complètement insensé. À mon avis, les nouvelles, c’est mille fois plus absurde que ce que je peux faire. Moi, je peux pas regarder ça, les nouvelles. C’est trop fucké! Par contre, je regarde les nouvelles insolites. Un blaireau agressif qui bloque l’entrée d’un hôtel, ça, ça commence bien une journée! En fait, je souhaite surtout que les spectateurs ressentent un peu de poésie à voir mes trouvailles humoristiques. Je souhaite que ça leur fasse un bien réel, qu’ils puissent débrancher leur cerveau et flyer avec moi.»

Et jusqu’à maintenant, la connexion se fait plutôt bien entre Daniel Grenier et le grand public québécois. En témoignent les apparitions de l’humoriste en première partie de ses deux amis proches Mike Ward et Martin Matte, qui l’ont fortement encouragé à cultiver son style décalé. «J’ai un humour très différent de Martin, mais son public embarque au boutte dans mon trip! C’est un gars qui va loin dans le sarcasme, ce qui me rejoint car y a quand même beaucoup d’ironie dans mon humour épais. Pis, Mike, il a un autre style d’humour que moi, mais très absurde aussi… T’sais, il enculera pas des vieux pour vrai!»

Plus prolifique que jamais, le Victoriavillois profite d’une mise en scène minimaliste pour la première fois de sa carrière. Spécialiste des productions d’envergure aux nombreux encombrements techniques, son ancienne formation ne pouvait donner qu’un nombre limité de spectacles. «C’est le fun d’être autonome avec ton humour. Avec Les Chick, on pouvait presque jouer nulle part, car ça nous prenait au minimum 20 pieds de projection en arrière… Là, je fais juste trimballer mes valises pis ma guitare pis je peux faire des shows n’importe où, même dans des maisons», dit celui qui a donné un spectacle dans un garage durant le temps des fêtes. «C’est vraiment un nouveau souffle pour moi, ça va très bien. En ce moment, je suis content d’avoir mes mains sur du bois.»

J’adore
le 17 mars
Au Gesù (Montréal)

le 18 mars 
Au Théâtre Petit Champlain (Québec)