Marc Beaupré : Réanimer Shakespeare
Avec la complicité de son collègue cinéaste François Blouin, le comédien Marc Beaupré revêt l’identité d’Hamlet, fracassant le classique des classiques pour reconstruire un solo audacieux qui sort des sentiers battus. Un pari considérable pour un acteur ne craignant pas les défis.
Le visage de Marc Beaupré est connu du grand public grâce à ses nombreuses apparitions au grand et au petit écran. En ce sens, difficile de ne pas évoquer le mythique Marc Arcand, personnage bien connu des téléspectateurs grâce à la populaire Série noire. Au-delà de cet antagoniste singulier qui a marqué l’imaginaire d’une génération, le parcours du comédien est jalonné d’une présence constante sur les scènes de théâtre, tant à titre d’interprète que de metteur en scène au sein de sa compagnie Terre des Hommes. Sa dernière création, Hamlet Director’s Cut, permettra au public de la Capitale de le voir performer sur les planches pour une très rare fois, dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec.
Donner corps au doute
Après Caligula et Dom Juan, c’est au tour du légendaire texte de Shakespeare de passer par le filtre créatif de Marc Beaupré et de François Blouin. D’abord prévue pour être jouée par une distribution plus nombreuse, la pièce a connu quelques changements au fil du processus de création et c’est finalement seul en scène que le prince du Danemark racontera son histoire. «Un de nos moteurs de création, c’est comment on peut rendre spectaculaire le sentiment du doute, scéniquement. […] François a amené la notion de solo et de motion capture. Éventuellement, c’est devenu ça, le spectacle», explique l’interprète d’Hamlet.
L’histoire demeure la même, racontée autrement: la mort du roi du Danemark, la trahison de l’oncle et de l’épouse, la mission vengeresse du protagoniste remué d’incertitudes, dont les moindres mouvements sont captés en direct par caméra et retransmis en vastes projections sur le dispositif scénique. Sur scène, pas de décor, sauf pour de gigantesques écrans de tulle sur lesquels défileront les spectres qui hantent l’esprit torturé du héros shakespearien. «L’idée, c’est de nous permettre d’utiliser le corps de Marc, qui va illustrer, à travers ses propres gestes, la silhouette des personnages avec lesquels il va interagir. C’est de le voir dessiner, créer lui-même l’univers dans lequel il joue. […] Le décor devient l’inconscient du personnage principal, qui se retrouve littéralement au centre de ses pensées», poétise le co-metteur en scène François Blouin, qui a le rôle tout aussi complexe de donner vie à cette galerie de personnages intangibles à chaque représentation.
À l’ombre du drame
La reprise de ce spectacle, créé en 2017 à La Chapelle de Montréal, ne demeure pas moins un défi d’acteur considérable, tant physiquement que psychologiquement. Emmuré sur scène, dans une antichambre assombrie formée d’écrans de tissu, Marc Beaupré doit interpréter le plus justement possible les répliques de William Shakespeare tout en livrant une chorégraphie de mouvements larges et précis. Même s’ils se racontent directement au public, le personnage autant que l’acteur sont seuls avec leur création, sans aucun accès direct à l’assistance qui l’écoute attentivement. «Dans une boîte noire, la seule chose que tu vois c’est du noir et des projecteurs qui t’éclairent. Ça devient aliénant très rapidement, affirme l’acteur. Mais je les entends, les spectateurs. J’entends les estrades qui craquent, je sais qu’ils sont là.»
Le titre du spectacle, à consonance cinématographique, n’a rien d’anodin. L’œuvre s’approche du cinéma, alors que les textures vidéo étudiées, la chorégraphie et l’interprétation du texte tendent vers une unité esthétique qui captive l’œil. Le réalisateur de ce film n’est nul autre qu’Hamlet, pour qui les scènes défilent une à une. Malgré son doute constant, il réorganise l’information et conserve l’essentiel de son histoire au montage.
Force est d’admettre que la mise en scène de Beaupré et de Blouin pousse la mise en abyme à son paroxysme, alors que le personnage-titre de leur œuvre théâtrale se posera des questions sur la véracité de situations qu’il met lui-même en scène, au fil de cette orchestration de projections lumineuses. Métaphoriquement, l’acteur compare son spectacle à l’allégorie de la caverne de Platon… à l’envers. «Chez Platon, les gens voient des formes sur les murs et se rendent compte que c’est leur propre ombre […], qu’ils ont peur de quelque chose qu’ils connaissent. Hamlet est au sommet de la connaissance, mais il ne peut pas résumer le monde à ces ombres qu’il projette.» Bien qu’on ne puisse pas refaire l’histoire, la créativité des concepteurs propose ici un nouveau visage au héros tragique qui ne manquera pas de bousculer les conventions classiques.
Du 1er au 3 juin
à La Bordée
(Dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec)