Jean-Marc Parent : D’instinct et d’audace
Trente ans après ses débuts retentissants, Jean-Marc Parent entame le sprint final de sa carrière avec Utopie, onzième spectacle encore une fois marqué par son analyse spontanée des comportements humains.
Construit à partir d’improvisations présentées devant public au Monte Carlo, restaurant de Repentigny qu’il considère comme son laboratoire, Utopie est le fruit d’une réflexion sur ces désirs humains qui ne trouvent pas écho dans la réalité, mais plutôt dans ce monde fabulé où la vieillesse et la maladie mentale n’existent pas et où le gâteau au chocolat fait maigrir. «J’aime rêver à des choses qui existent pas, même si je sais qu’elles arriveront jamais. À mon sens, si ces choses-là sont capables d’arriver dans ma tête, j’ai déjà un bout de fait.»
Et là-dessus, le rêveur sait de quoi il parle. Propulsé sur la scène humoristique québécoise avec son numéro maintenant classique L’handicapé (sic), qui lui a permis de remporter les Auditions Juste pour rire ex aequo avec Stéphane Rousseau en 1988, Parent a élaboré sa carrière en faisant confiance à son instinct, à ses espoirs les plus impossibles. Instructeur de ski alpin et étudiant en psychologie au début de sa vingtaine, il s’est d’abord fait repérer par Louise Richer, alors qu’il évoluait sans grandes ambitions avec le duo de variétés Noir et Blanc aux côtés de l’acteur Widemir Normil. «Widemir avait beaucoup plus de volonté que moi. Il dansait et chantait super bien, tandis que moi, l’humour, ça m’intéressait pas pantoute… Je voulais être intervenant en toxicomanie. C’est vraiment quand Widemir a pris son envolée de son bord comme acteur que j’ai compris un peu plus ce qui m’intéressait: le comportement humain.»
Décidé à creuser davantage ce filon, il entre à l’École nationale de l’humour au sein de la toute première cohorte. Déjà, son genre d’humour le distingue de ses camarades. «Louise avait pas vraiment le choix de me laisser aller. Sans le vouloir, j’étais le mouton noir. Quand on me disait de mettre un costume, j’étais mal à l’aise. C’était pas ça, mon style. Les histoires que je raconte, elles prennent forme quand tu te les imagines. Tout se passe dans la tête du spectateur, donc le costume sert à rien. C’est un peu pour ça que j’aime autant les films français. J’aime comment ces cinéastes décrivent le quotidien, même quand il se passe rien.»
Raconteur d’histoires hors pair, Parent frappe fort au début des années 1990, d’abord en duo avec Michel Barrette et, ensuite, grâce à ses premiers spectacles solos, qui bénéficient d’une technique marketing fort habile et efficace – depuis rebaptisée «le principe Jean-Marc Parent» par le journal Les Affaires. «On avait fait le Théâtre Saint-Denis 2 pendant trois soirs, et ça avait arrêté de vendre. Mon gérant voulait qu’on déménage le show dans une plus petite salle, mais pour moi, c’était illogique. C’était comme si on avouait au public que le spectacle fonctionnait pas tant que ça. À la place, je l’ai convaincu de transférer le show dans le gros Théâtre Saint-Denis. On a réussi à le vendre neuf soirs, pis encore une fois, ç’a arrêté de marcher», explique-t-il, en faisant référence à ces salles montréalaises qui peuvent respectivement accueillir 900 et 2000 spectateurs. «C’est là que j’ai dit: on s’en va au Forum de Montréal. Le pari était risqué, car personne avait jamais tenté ça dans le milieu de l’humour au Québec. Tout le monde riait de moi, mais j’avais une grande confiance en mon show. Je suis un gros joueur de cartes et je savais qu’en prenant cette chance, je pouvais tout perdre ou tout gagner. J’ai mis tout mon argent là-dedans, environ 80 000 dollars, et j’ai bien fait. Après une heure de mise en vente, on avait vendu 10 000 billets. On l’a finalement fait 13 fois.»
Trois ans plus tard, la carrière de l’humoriste atteint des horizons insoupçonnés avec la diffusion de L’heure JMP. Présentée tous les dimanches pendant deux saisons, l’émission en grande partie improvisée devient un véritable événement à la grandeur du Québec, atteignant des cotes d’écoute faramineuses de 1,6 million de téléspectateurs «même si la plupart des familles ne pognaient pas TQS». Faisant fi des conventions, l’humoriste en fait à sa tête et prolonge l’émission au-delà des heures prévues. «On défonce!» devient alors l’une de ses phrases cultes. «La première fois qu’on a fait ça, ç’a duré sept ou huit minutes, et les producteurs capotaient. Les commanditaires appelaient, c’était le branle-bas de combat à la station. Moi, ça me regardait pas, ces questions-là. Je voulais juste faire un méchant stunt. Des fois, on continuait même le show pendant le film qui suivait dans la grille horaire. Au lieu de le présenter tel quel, on le diffusait à partir de notre salle, et les gens à la maison pouvaient nous voir regarder le film. Je commentais même les pauses commerciales en direct.»
Débordant d’énergie, Parent part à la rencontre de ses fans à chaque fin d’émission, allant même jusqu’à prendre un avion vers des villes éloignées du Québec. «J’arrivais dans un restaurant de Val-d’Or à minuit pour parler au monde et continuer le show. C’était l’enfer, une course sans arrêt. Je me rendais même pas compte de ce qui se passait.» Adulé par son public, l’animateur doit également faire face à de nombreuses critiques de la part des médias et de certains de ses collègues humoristes. Les insultes et les ragots finiront par avoir raison de lui: «Y a des gens qui me niaisaient, qui disaient des choses totalement gratuites à mon sujet. Je suis quelqu’un de sensible, et ça m’a touché. Quand j’ai vu que c’était de plus en plus heavy et que les gens étaient aussi durs envers moi, j’ai arrêté. J’avais pas la carapace pour continuer. Je suis marqué au fer rouge de cette aventure-là.»
Le calme après la tempête
Sous le radar médiatique, Parent revient sur les planches sans faire de fracas au tournant du millénaire. «Pour certaines personnes, je n’existais plus car, du jour au lendemain, je n’étais plus à la télé. On trouvait que j’étais tranquille. Mais la réalité, c’est que, durant ce temps-là, je continuais à faire une centaine de shows par année.»
Après avoir attiré à nouveau l’attention des médias en 2001, grâce à un spectacle record d’une durée de 24 heures présenté à Juste pour rire, Parent revient sous les feux de la rampe avec le spectacle Urgence de vivre quatre ans plus tard. Cette fois, au lieu d’improviser pendant de longues heures, il s’en remet à un spectacle entièrement écrit – une première en 10 ans. Unanime, la réception du public et de la critique le mène jusqu’aux Olivier, où il reçoit les honneurs dans trois catégories, notamment dans celle du meilleur spectacle de l’année. «Ça m’a repositionné dans l’industrie, et j’étais bien content de recevoir une tape dans le dos du milieu. C’est comme si j’avais voulu montrer à mes parents que j’étais encore bon au hockey.»
Parent répète une recette semblable pour la création de ses deux spectacles subséquents, Torture et Utopie, qui viennent compléter la trilogie entamée en 2005. «Je construis toujours mes numéros de la même façon. D’abord, je les improvise sur scène au Monte Carlo puis je retiens ce qui est bon. Si je les raconte 4-5 fois et que ça rit beaucoup, je les garde. Après, il me reste à peaufiner des bouts et à trouver une chute.»
Bref, trois décennies après son éclosion, l’humoriste reste le même. Conscient des mutations que traverse actuellement le milieu de l’humour, il se dit heureux de pouvoir évoluer dans une communauté aussi dynamique, notamment vivifiée par l’arrivée du Bordel comédie club et de festivals en plein développement comme le Dr. Mobilo Aquafest et le Grand Montréal comédie fest, crée par une coalition d’humoristes à la suite des allégations d’agression sexuelle portées à Gilbert Rozon.
Malgré tous ces changements importants dans l’industrie, l’humoriste a choisi le statu quo pour la première montréalaise de son nouveau spectacle, qui sera présentée au festival Juste pour rire. «Un an avant que [le scandale Rozon] se produise et que Juste pour rire soit racheté, mon spectacle était déjà annoncé. Je pouvais pas demander à une compagnie de production de rembourser 50 000 personnes…» soutient-il, évoquant des raisons purement logistiques. «Quand on m’a appelé pour participer [au Grand Montréal comédie fest], je trouvais que c’était une excellente idée, mais j’avais déjà assez de stress avec mon show. Par contre, ce festival-là, il va exister l’année prochaine, et je vais y aller avec plaisir.»
D’ici là, Utopie sera présenté partout au Québec à raison de «deux fois par semaine, trois semaines par mois, sept mois par année». Un rythme qui permettra au marathonien de l’humour québécois de préparer, bien tranquillement, sa retraite de la scène. «J’ai failli la prendre l’an dernier parce que ma gérante la prenait. Une nuit de réflexion plus tard, j’ai compris que je serais pas capable de faire ça tout de suite. J’aime trop ça, raconter des histoires. Aussi, j’ai peur que la mémoire rétrécisse en vieillissant, donc une des meilleures façons d’éviter ça, c’est de la faire travailler. Bref, y aura pas de retraite pour tout de suite, mais je vais diminuer la cadence. Utopie devrait durer trois ans, pis après, j’ai l’intention de continuer à faire de la scène sans avoir de show officiel. Un genre de formule à la carte où tu viens voir Jean-Marc Parent improviser pendant deux heures.»
Ce sera probablement quatre heures.
Utopie
Les 10, 11, 12, 17, 18 et 19 juillet
au Théâtre Maisonneuve (Montréal)
Les 30 et 31 octobre (COMPLET) et les 4 et 5 décembre
à la salle Albert-Rousseau (Québec)