Zoofest : 10 ans sans barrière
En 10 ans, le Zoofest a contribué à faire évoluer l’industrie de l’humour au Québec, en donnant une place de choix à la relève. Fidèles participants du festival, les humoristes Rosalie Vaillancourt, Yannick de Martino, Jay Du Temple, Martin Perizzolo et Les Pic-Bois constatent l’impact que l’événement fondé par Juste pour rire a eu sur leur carrière. Table ronde.
Voir : Visiblement, le Zoofest a été un tremplin pour chacun d’entre vous. Quelles sont les retombées concrètes de vos premières apparitions dans ce festival?
Jay Du Temple: Le Zoofest, c’est la première fois que quelqu’un te fait confiance et te dit «ouais cool, vas-y!», à un moment où même tes parents sont pas super down avec ce que tu fais. Le festival t’assure d’avoir une salle et un certain public et, après, tu décides comment tu fais ta promo. Surtout, les gens qui travaillent là sont game de te laisser développer des concepts.
Martin Perizzolo: Avant le Zoofest, j’avais pas la même confiance en moi. J’avais des 45 minutes de collage de matériel, mais j’avais jamais eu à écrire un show complet en un mouvement, comme je l’ai fait en 2010. Pour moi, c’est la place idéale pour essayer des choses et créer sa zone de confort.
Rosalie Vaillancourt: Moi aussi, le Zoofest m’a donné confiance. Avant, les gens me disaient que c’était le fun de m’écouter cinq minutes, mais qu’après une heure, ça pouvait devenir fatigant. On me disait de doser mon énergie! Finalement, avec mon premier spectacle en 2016, les gens ont vu que ça se tenait, mon affaire. C’est là aussi que mes producteurs de La Tribu m’ont vue pour la première fois.
Maxime Gervais (des Pic-Bois): Nous, avant le Zoofest, on faisait surtout des numéros de 8 ou 15 minutes dans les bars. Avec le style d’humour qu’on avait, on était souvent considérés comme les bibittes entre deux stand-ups.
Dom Massi (des Pic-Bois): En fait, le festival nous a permis d’arrêter de s’excuser pour ce qu’on fait et, surtout, d’imaginer un show de A à Z, incluant l’affiche et la musique d’intro.
Le festival semble avoir grandi en même temps que la relève qui prend actuellement sa place dans l’industrie. À quel point a-t-il joué un rôle important dans son développement?
Yannick de Martino: D’abord, je crois qu’il y a le concours En route vers mon premier gala Juste pour rire qui a propulsé tout ça. Le public a ensuite été attiré par le Zoofest en se disant: «Voilà le festival des gens que j’ai vus à la télé.» Avant, l’offre en humour au Québec était filtrée par des producteurs, alors que maintenant, elle est tout simplement ouverte à tous ceux qui sont capables de rejoindre un public. On parle souvent de la tarte en humour et du fait qu’il y a soi-disant trop d’humoristes au Québec. Finalement, on se rend compte qu’il y avait peut-être plus qu’une tarte…
Maxime Gervais: Il y a une dizaine d’années, j’avais de la misère à dire que j’étais humoriste sans que les gens aient en tête le stéréotype de l’humoriste de party qui crie «YES! BUDWEISER!». La relève était là, mais elle avait pas de plateforme, et les gens se fiaient à ce qu’ils voyaient à Canal D ou dans les galas Juste pour rire.
Martin Perizzolo: Je veux pas donner un spin péjoratif à tout ça, mais y a un prix à payer pour [tous ces changements-là]. Avant que le festival soit fondé, y avait des shows en marge de Juste pour rire qui étaient dans le même genre un peu champ gauche, mais pour lesquels on était payés avec un contrat UDA incluant un salaire fixe, des assurances et des bonnes conditions. Avec le Zoofest, on devient producteur de notre show, et on nous paie en fonction du nombre de gens qui rentrent dans ta salle. Tu peux t’en tirer quand même au niveau financier, mais t’es pas assuré d’un salaire. Avec les années, j’en ai vu des collègues qui ont eu de la misère à arriver et qui, pourtant, étaient capables de payer leur loyer jusqu’à Noël avant.
Maxime Gervais: C’est très capitaliste comme fonctionnement en fait.
Mais pour des jeunes humoristes comme Jay Du Temple ou Rosalie Vaillancourt, qui n’ont pas connu l’ancien modèle, la frustration ne doit pas être la même…
Rosalie Vaillancourt: L’an dernier, je faisais partie du spectacle La table d’hôte et, là, c’était différent: Zoofest produisait le spectacle et nous payait directement, car c’était leur concept à eux.
Jay Du Temple: Moi, je suis arrivé à un moment où certains humoristes étaient en colère contre le Zoofest, car ils se sentaient utilisés. Je me suis donc demandé comment, moi, je pouvais utiliser le festival à mon tour. C’est pour ça que, dès ma première année, j’ai décidé de faire 17 représentations de mon 60 minutes. Je me suis dit qu’au pire, si je faisais pas d’argent, j’aurai au moins pris de l’expérience. C’est aussi cette année-là que Patrick Rozon est arrivé à la direction du festival et, sincèrement, ça prenait un gars jovial et impliqué comme lui, sinon je crois pas que le festival se serait poursuivi.
Maxime Gervais: Quand Pat est arrivé, on est allés le rencontrer à son bureau, et j’ai tout de suite été frappé par son ouverture.
Dom Massi: Avant ça, on sentait parfois qu’on était pris pour acquis. Vu qu’on remplissait nos salles, le festival poussait pas vraiment pour qu’on ait de la promo, alors que certains shows moins populaires avaient plus de couverture médiatique que le nôtre.
Martin Perizzolo: Je pense que c’était important qu’on s’assoit tous avec la direction pour discuter et arranger nos contrats. En fin de compte, on a tous contribué à modeler ce festival-là. C’est pas juste une entité à laquelle on s’est pliés.
Yannick de Martino: Moi, pour être franc, j’ai même pas lu les contrats au complet…
Au-delà de ces questions administratives, le Zoofest est reconnu pour sa grande flexibilité en ce qui a trait au contenu des spectacles. Qu’est-ce que cette liberté de création vous a amené?
Maxime Gervais: Les premiers shows officiels des Pic-Bois qu’on a faits au Zoofest, c’était Frite et Moule, et il y avait beaucoup de pénis, de seins, de scènes homoérotiques, de trucs qui ont pas de bon sens mais qui surprennent… Avec les années, on a réussi à transposer cet effet de surprise ailleurs, et j’en suis plutôt fier. Maintenant, les gens savent qu’en venant nous voir en spectacle, ils vont en avoir pour leur argent et vont vivre de quoi. On a eu besoin de cette liberté-là pour aller chercher notre public.
Jay Du Temple: Cette liberté-là a permis aux artistes de se trouver. Y a personne qui te met de barrière, alors tu trouves ton terrain de jeu.
Yannick de Martino: Ça développe aussi la perception, car tu finis par comprendre les réactions de ton public. Ça te permet de varier les tons et les sujets, et de prendre des risques que tu aurais pas nécessairement pris dans un bar quand il y a 40 personnes qui sont dans la salle pour le mot «humour».
En terminant, avez-vous eu des doutes à l’idée de participer au festival cette année, considérant qu’il est la propriété de Juste pour rire, organisation minée par l’affaire Gilbert Rozon?
Rosalie Vaillancourt: Oui, c’est sûr…
Martin Perizzolo: Moi, à la base, mon idée était claire: c’est pas parce que je fais le Zoofest que je donne mon aval à ce qui s’est passé. Mais bon, j’ai attendu avant de donner ma réponse, car je voulais pas être le seul à y aller…
Dom Massi: Si je me trompe pas, on a été les premiers à signer un show Zoofest cette année. Patrick Rozon, on le connaît personnellement et on a jamais douté de son intégrité.
Maxime Gervais: En allant le rencontrer à son bureau, j’ai vu la petite équipe du festival travailler et j’ai compris que c’était une entité totalement à part de JPR. Ensuite, Pat a mis cartes sur table avec nous, en toute transparence. Ça nous a rassurés.
N. B.: Accompagnant ses amis des Pic-Bois, l’animateur radio et vedette du web Julien Bernatchez s’est présenté à l’improviste à cette table ronde. Ses propos n’ont malheureusement pas été retenus.
Patrick Rozon, le rassembleur
Malgré l’évolution manifeste que son festival a connue en 10 ans, Patrick Rozon se dit surtout fier d’avoir réussi à entretenir son essence. «Ce qui est beau, c’est que le festival est toujours resté un laboratoire créatif. Oui, la direction artistique, la popularité et la couverture médiatique ont changé, mais la base est encore là», observe le directeur.
Pourtant, l’événement ne ressemble plus vraiment à ce qu’il était en 2009. Inspirée par le festival Fringe d’Édimbourg, cette première édition présentait 60% de spectacles en anglais et mélangeait danse, théâtre, musique et cirque, jouant ainsi dans les platebandes de différents festivals multidisciplinaires comme le Festival TransAmériques et le Fringe de Montréal. La direction du festival s’est précisée en 2011 et 2012 lorsqu’une place plus importante a été laissée aux humoristes francophones de la relève, notamment Yannick de Martino, Phil Roy, Adib Alkhalidey, Louis T. et Kim Lizotte.
Arrivé à la barre du festival en 2015, Patrick Rozon a donc hérité d’une formule efficace, mais également d’un sentiment de discorde partagé par certains humoristes, qui peinaient parfois à rentabiliser leurs représentations. «Ç’a toujours été comme ça au Zoofest. [Vu que les artistes produisent leurs spectacles], ils peuvent finir par faire de super beaux cachets, mais peuvent aussi faire peu d’argent. Quand je suis arrivé, j’ai rencontré chaque artiste en leur disant que je pouvais pas réinventer la roue, mais que j’étais là pour les aider. Le Zoofest, c’est pas là pour vous faire devenir riches, mais ça va vous garantir une bonne visibilité. La hargne est moins grande maintenant.»
Depuis son entrée en poste, Rozon a intégré au Zoofest le volet anglophone OFF-JFL, en plus de mettre en œuvre la production de spectacles conceptuels comme La table d’hôte et Ben voyons donc!. Autrement, il s’est surtout assuré d’encadrer les artistes, tout en leur laissant une pleine liberté. «Ma job, c’est d’installer le terrain de jeu. Maintenant que les artistes ont compris l’essence du festival, ils arrivent avec leurs propres surprises sur scène. Tranquillement, je perds le contrôle du festival… et j’aime ça!»
Malgré la popularité stable dûment acquise du festival, le directeur général a toutefois vécu un stress important cette année dans l’élaboration de sa programmation. En raison de l’affaire Gilbert Rozon (un cousin éloigné de Patrick) et du fait que Juste pour rire est toujours propriétaire du Zoofest, les humoristes ont tardé à envoyer leurs offres de spectacle. «On en a eu autant que d’habitude, mais elles sont majoritairement arrivées en avril plutôt qu’en février […]. On a vécu une grosse période d’insécurité, mais en même temps, on a tellement été chanceux d’avoir l’appui des artistes et des employés. Quand la crise est arrivée, j’ai reçu plein de courriels de gens qui voulaient donner leur soutien au Zoofest. Personne ne voulait que ce festival-là meurt.»
Du 5 au 28 juillet
zoofest.com