Les Denis Drolet : la ligne claire du personnage
Scène

Les Denis Drolet : la ligne claire du personnage

Marchant avec agilité sur la fine ligne qui sépare l’humour satirique de l’insulte gratuite, Les Denis Drolet s’offrent un gala complètement éclaté dans le cadre du festival Juste pour rire.

 Deux ans après avoir animé son premier gala aux côtés de Dominic et Martin, le duo de Saint-Jérôme bénéficie d’une carte blanche de la part du festival. «Ça fait longtemps qu’on rêvait, secrètement, d’une opportunité comme ça», admet Vincent Léonard alias Denis à palettes. «On sait qu’on a un bon véhicule pour rendre ça complètement débile, pour péter les conventions avec un concept totalement libre.»

Les doutes ont toutefois été nombreux avant de laisser placer à cet enthousiasme palpable. Le scandale entourant les accusations d’agression sexuelle portées à Gilbert Rozon, fondateur du festival qui a quitté ses fonctions de président dans la foulée de la controverse, a bien failli avoir raison du rêve des Denis Drolet. «On a beaucoup hésité au début. J’avais même dit à mon petit gars d’arrêter de porter sa casquette Juste pour rire!» poursuit Léonard. «Mais bon, l’organisation a finalement changé de propriétaire, deux fois plutôt qu’une, et ça fait du bien, cet air de nouveauté là. Tout le monde s’en va dans la même direction : on veut que la scène d’humour au Québec soit rayonnante.»

Dans les derniers mois, les changements ont effectivement été nombreux au sein de JPR, autant dans l’administration que dans la programmation. Au lieu des galas thématiques à la formule éprouvée mais datée, l’entreprise a choisi de donner plus de liberté aux humoristes. Les galas carte blanche, également confiés à Pierre-Luc Funk, Jeremy Demay et Laurent Paquin, s’inscrivent dans cette volonté de rompre avec l’ancien modèle du festival. C’est d’ailleurs sur cet aspect que Les Denis Drolet ont construit la base de leur spectacle. «Vu que JPR voulait qu’on fasse de quoi de différent, on a choisi d’utiliser (cette demande-là) comme un thème. Dans l’intro, le Denis Barbu s’ennuie de l’ancien JPR, tandis que le Denis à palettes veut rendre ça moderne. On a utilisé cette discordance pour s’alimenter au niveau de l’écriture», explique Léonard.

«Ça donne un résultat très ironique», ajoute Sébastien Dubé alias Denis Barbu. «JPR traverse une année de transition, et c’est donc l’occasion parfaite pour brasser la cage. Il y a moins de gros noms aussi dans la programmation, donc ça nous a poussés à miser sur la jeune nouveauté. On veut faire découvrir des noms.»

Parmi les invités de la relève étendue qui seront de la partie, on note Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, Rosalie Vaillancourt, Les Pic-Bois et Jean-Michel Martel, au même titre que d’autres humoristes plus établis comme Jean-Thomas Jobin et Daniel Grenier. «Le lineup a été choisi en fonction de l’univers, de l’originalité et du front de chaque humoriste», explique Léonard. «J’ai pas vu ce que les autres préparent pour leur gala, mais je sais que nous, ça va donne de quoi de très éclaté, qui nous ressemble. Ça reste une formule de galas avec des invités qui s’enchaînent, mais ils ont tous quelque chose de surprenant. On veut pas une soirée banale.»

Surtout, ces invités incarnent bien le style absurde du duo, qui a toujours misé sur des personnages et des mises en scène hors norme plutôt que sur un genre humoristique plus simpliste, très en vogue actuellement avec la tendance des stand-ups classiques héritée des comedy club américains. Actifs depuis plus de 15 ans au Québec, les deux humoristes cultivent leur singularité ainsi, en ramant à contre-courant. «On est encore pas mal à gauche. Personne n’est vraiment dans notre patente», observe Dubé. «On a jamais été à la mode et on fait juste suivre notre courbe. On est volontairement décalés.»

Plus tôt ce mois-ci, Les Denis Drolet sont sortis de leur zone de confort avec le spectacle musical Leur histoire en chansons, présenté dans le cadre du Zoofest au Monument-National. Pour la première fois de leur histoire, les deux amis ont mis au rancart leurs habits bruns et se sont présentés au naturel. «C’est la première fois depuis un bout qu’on était stressés avant d’entrer sur scène», dit Dubé. «C’était spécial, car d’habitude, on écrit nos numéros à la virgule près et on fait jamais de crowdwork comme ça.»

S’ils ont bien aimé l’exercice, les humoristes n’ont pas eu de quelconque révélation et ne comptent pas répéter l’expérience dans un autre cadre que celui du Zoofest. «On sait qu’on pourrait faire autre chose en tant que Vincent et Sébastien, comme une émission de télévision par exemple, mais pour ce qui est de la scène, ça prend Les Denis», nuance Léonard. «On pourrait pas faire des spectacles sans nos personnages avec des textes aussi gratuits, misogynes, homophobes, déplacés, grinçants… Faudrait carrément réinventer un langage, un concept.»

«Nous, c’est l’écriture qu’on aime», poursuit Dubé. «Pour la nouvelle génération, c’est la mode de pas écrire ses affaires. C’est un don, un muscle qu’ils ont développé. Moi, c’est quelque chose qui m’impressionne et qui me trouble.»

Présenté en première montréalaise cet hiver, le quatrième spectacle du duo, En attendant le beau temps, témoigne d’une écriture appliquée et d’une interprétation efficace, réglée au quart de tour. Le rodage de plusieurs mois qui a précédé cette première a permis aux humoristes de tester les limites de leur public et, surtout, de se questionner par rapport aux barrières à ne pas franchir. «On s’est questionnés sur plusieurs numéros, notamment sur celui en lien avec les relations hommes-femmes. C’est très ironique comme numéro, mais l’accueil aurait pu être différent en pleine période #metoo. Le public a bien répondu et, sincèrement, on est chanceux d’avoir le privilège d’aller dans ces zones-là, car on est à peu près les seuls à pouvoir le faire. Je pense que la ligne claire du personnage nous sert bien. C’est pas pareil comme Nantel ou Mercier, qui vont dans des zones similaires mais avec une ligne pas bien définie. Nous, c’est crissement clair qu’on est à mille lieues de penser ce qu’on dit», explique Dubé.

«Faut que le niveau soit clair, et que la joke et la mécanique soient précises», renchérit son acolyte. «Quand on crée, y’a ben des jokes qui nous font rire, mais dont le niveau est tellement ambigu qu’on préfère les mettre de côté. Quand tu commences à te demander si une joke est raciste, c’est pas bon.»

«D’ailleurs, y’avait une joke raciste qu’on a enlevée juste avant la première. Elle marchait bien, mais elle était pas très défendable. C’était juste gratuit», ajoute Dubé. «Et ça me trouble toujours un peu quand un gars me crie ‘’YEAH!’’ dans la foule juste après que un gag très trash et heavy. Je tombe toujours pas bien.»

«Comme humoriste, on n’a pas le choix d’être responsables de ce qu’on dit sur scène», poursuit Léonard. «Et c’est d’autant plus vrai quand tu t’appelles Les Denis Drolet et que tu rejoins une foule décalée, en partie constituée de gens qui viennent nous voir juste pour entendre dire ‘’TABARNAK’’. Le niveau doit être clair parce que, si on laisse ça lousse de même, les gens peuvent s’approprier nos blagues et se dire quelque chose comme : ‘’Hey, c’est vrai, Les Denis ont raison, il faut tuer notre maîtresse d’école!’’ C’est con, mais dans notre toune Oh Yeah!, on avait écrit quelque chose de semblable, et c’est notre gérant Jacques K. Primeau qui nous a fait prendre conscience de ce qu’on disait. Nous, on trouvait ça absurde et drôle, mais c’est peut-être pas la même lecture qu’un gros fucké aurait fait de la chanson…. Finalement, on a changé ça pour ‘’on mange-tu notre maîtresse d’école?’’»

Loin de n’être qu’une suite de vulgarités, En attendant le beau temps impressionne par ses idées foisonnantes et ses numéros complètement déjantés. Du lot, Le nouveau numéro marque les esprits par sa structure saugrenue et volontairement bancale, tel un pied-de-nez à ces numéros convenus et trop bien ordonnés qui envahissent l’espace humoristique québécois depuis tant d’années. À travers un numéro de la sorte, Les Denis Drolet s’éloignent plus que jamais du stand-up classique pour se rapprocher du théâtre expérimental, forme d’expression qu’ils ont toujours adorée. «Ça fait longtemps qu’on a des idées de ce genre-là, très loin de la formule ‘’une ligne, un punch’’. Mais souvent, on finissait par les garder pour nous, car on se dit qu’on allait perdre du monde», explique Léonard.

«Faut dire qu’il y a des estis de jokes vides et insensées dans ce numéro-là que pas grand monde comprenne, genre moi qui chuchote ‘’Brian Mulroney’’», poursuit Dubé. «Je peux pas dire que c’est le numéro qui fonctionne le mieux dans notre show, mais la réaction du public est bonne. Ça nous donne envie de continuer à se laisser aller.»

La carte blanche des Denis Drolet – 21 juillet à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts

En attendant le beau temps – présenté un peu partout au Québec