Le vrai monde? : Le vacarme du silence
Le vrai monde? est une pièce phare de la théâtrographie de Michel Tremblay. Oeuvre coup de poing, elle joue son rôle à merveille dans la dernière mise en scène de Marie-Hélène Gendreau.
Parue en 1987, la pièce a la particularité de mettre à jour le rôle de l’artiste et de l’art, dans une habile mécanique de mise en abyme, où le théâtre s’invite dans le théâtre. Le tout demeure enraciné dans un espace familial, un sujet clé de l’univers de Tremblay. L’histoire se fonde sur les intentions de Claude (Jean-Denis Beaudoin), un jeune dramaturge ayant choisi de calquer les protagonistes de sa dernière pièce sur les membres de sa famille, réglant au passage plusieurs comptes et tabous latents. Une galerie de personnages dramatisés prend alors forme sur scène, gravitant entre la réalité et la fiction pour raconter le drame.
C’est d’abord le sublime décor de tapis brun et le perron de stuc qui tape à l’oeil du public. Scénographie métaphorique où poussent à la fois les roses et les bouteilles de bière, le travail d’Ariane Sauvé se balance, lui aussi, entre le théâtre réaliste et son versant onirique. C’est d’ailleurs souvent ce genre de décor aux accents surréalistes qu’inspire l’oeuvre de Michel Tremblay chez les concepteurs, dans un contexte où la pièce repose majoritairement sur le jeu des acteurs au sein d’un texte plutôt dense.
À cet effet, la distribution est solide. Le tandem que forment Nancy Bernier et Anne-Marie Olivier (dans le rôle de Madeleine, mère de famille) est flamboyant, émouvant. Celui proposé par Christian Michaud et Jean-Michel Déry n’est pas en reste, alors qu’on leur incombe la tâche de jouer les méchants sur deux tons fort différents. Dans la salle, on peut sentir la finesse du travail de Marie-Hélène Gendreau dans la direction d’acteur, autant que dans la mise en place stratégique de cette famille éclatée dans le vaste espace scénique. Cette touche de féminité fait résolument du bien, dans un pièce écrite bien avant son temps, toujours criante de sincérité. Dans cette maison aux fenêtres-barreaux, c’est la parole de la femme qui éclate, éclaboussant les murs du fardeau qu’elle porte, du silence qui la contraint, du doute qui fait vaciller la réalité. Or, comment distinguer le vrai du faux lorsque l’objectivité est évacuée de la scène? Qui croire? Le discours familial ou le miroir déformant du théâtre? Si les deux se côtoient sur scène, on aurait aimé s’y perdre davantage, dans l’entrecroisement des répliques, quitte à ne plus distinguer les personnages et leur doubles dramatiques.
Somme toute, Le vrai monde? tel que conçu par la metteuse en scène et son équipe est un sans-faute bourré d’excellentes idées et d’images scéniques fortes. Le propos est clair, le dénouement est bien ficelé. L’histoire mérite d’être racontée, avec toute la violence et l’intensité qu’elle porte et, paradoxalement, avec son lot de vérités qui éclatent. Un temps pour interrompre le silence, avant qu’il ne revienne tapisser les murs du quotidien.
Jusqu’au 13 octobre
au Théâtre du Trident
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