André Sauvé : C'est ça qui est ça
Scène

André Sauvé : C’est ça qui est ça

Toujours aussi allumé et consciencieux, André Sauvé se questionne sur l’intuition humaine dans Ça, son troisième one-man-show.

«Le “ça”, c’est toute cette affaire-là qu’on ne connaît pas, mais qui gère nos vies. C’est le côté insaisissable qui nous guide, cette intangibilité qui m’a toujours fasciné. L’idée, c’est d’arriver à savoir comment ce “ça” fonctionne… ce qui est loin d’être simple. Des fois, on s’entête à dire qu’il faut aller jusqu’au bout de nos idées, qu’il ne faut pas abandonner, mais d’autres fois, on nous dit de lâcher prise. Comment savoir quand est-ce que c’est le tour de l’un pis le tour de l’autre? Si t’attends que quelque chose t’arrive en faisant rien, c’est pas bon, mais si tu pousses trop d’un bord, tu deviens trop rigide, et c’est pas mieux», analyse l’humoriste verbomoteur de 52 ans, après qu’on lui eut tout simplement demandé «pourquoi “ça”?». «En fait, chaque fois, c’est de l’essai-erreur. C’est toujours à recommencer. L’action qui était bonne aujourd’hui, c’est peut-être pas celle qui sera requise demain.»

Fin observateur, André Sauvé a profité d’un environnement optimal pour en venir à ces réflexions, qui ont donné le ton à la création de ce troisième spectacle. Montréalais à temps partiel, il a profité des paysages à couper le souffle qui bordent la résidence de son copain, quelque part dans une vallée jonchant les Alpes. «Regarder la nature m’a inspiré. Dans ce monde-là, y a un “ça” qui est très fort, quelque chose qui gère, quelque chose de fort: les plantes poussent, les nuages se cognent contre les arbres, les bancs d’oiseaux tournent en même temps… Y a une organisation qui est forte, mais qui est pas du tout centralisée. Être dans un environnement de nature aussi large, c’est comme une autre porte d’entrée pour aller en dedans. Ça m’a renvoyé à moi-même. J’ai essayé une fois d’aller écrire dans un café à Montréal et, sincèrement, ça marche pas. C’est beaucoup trop distrayant! Moi, j’ai besoin du silence pour m’entendre.»

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photo : Antoine Bordeleau

Et ce silence a porté ses fruits. À force d’observer la nature avec un aussi grand éveil, l’artiste a trouvé le fil conducteur de son spectacle. Neuf mois d’écriture, à raison de cinq jours par semaine «de 8 AM à 2 PM, comme un ouvrier», auront ensuite été nécessaires pour étayer et donner vie à ces pensées sur le feeling, sur ce qui pousse l’humain à accomplir ou non une action ayant le potentiel ou le pouvoir de changer le cours de son existence. «J’avais déjà la volonté de parler de ça, mais l’écriture a été comme une flashlight. Il faisait noir pis j’ai éclairé des bouttes afin de trouver mon angle. Pour moi, c’était plus important de trouver ce que je voulais dire que de trouver des jokes. Et, jusqu’à maintenant, ce que j’aime avec le rodage, c’est que les gens viennent me voir pour me dire qu’ils ont ri, mais qu’en même temps, ils repartent avec plein de questions. J’aime susciter la réflexion, surtout à une époque où il faut tout encapsuler rapidement. D’ailleurs, j’ai un numéro là-dessus où je fais l’éloge du droit de ne pas avoir d’opinion. À mon avis, la réflexion est beaucoup plus fertile que la réponse.»

Conscient de la densité de son propos, Sauvé a également cherché à doser ses envolées philosophiques avec des passages plus légers, notamment en renouant avec ses observations microscopiques du quotidien. Encore une fois, l’existentiel côtoie le banal. «C’est sûr que ça me prend des numéros d’aération, où on se casse un peu moins le bicycle. Mais habituellement, quand je fais ça, assieds-toi comme du monde parce que tes neurones vont être sollicités dans pas trop long, dit-il en riant. Dans ce show-là, j’ai notamment un numéro qui parle de l’allégorie du scotch tape. Quand tu grattes le rebord du collant, t’es jamais sûr si tu grattes à la bonne place ou si c’est juste une petite bosse. Pour moi, c’est pareil comme la vie: on gratte toute un boutte en espérant que ça décolle un jour. Ça serait plate d’arriver à 50 ans pis de réaliser que t’as gratté juste une bosse.»

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photo : Antoine Bordeleau

Pour le principal intéressé, c’est plutôt à 37 ans que le scotch tape a décollé. Pièce maîtresse de ce spectacle, son numéro sur les aléas de la vie aborde avec beaucoup de recul son cheminement sinueux. «J’avais envie de parler de toutes ces erreurs de parcours là et, finalement, j’en suis arrivé à la conclusion que ce n’était pas du tout des erreurs. En fait, c’est grâce à elles si je suis arrivé là où j’en suis en ce moment. Sans elles, je n’aurais peut-être pas non plus autant de choses à dire dans mes spectacles», observe celui qui, avant d’être humoriste, a fait «une trâlée de jobines», notamment thérapeute, danseur, massothérapeute et peintre. «Oui, la notion de chercher mon chemin a été dominante dans ma vie, décourageante par moments, mais dans tout ça, je suis capable de me donner une petite tape dans le dos, car je n’ai jamais eu peur de tourner la page, d’affronter la prochaine affaire, d’écouter “ça”. Y a même un jour où j’ai arrêté une job drette de même, en plein milieu. Je faisais un contrat de peinture chez une cliente pis je savais que, si je le finissais, j’allais encore poursuivre dans cette voie-là, que j’allais prendre un autre contrat après. Ça fait que je suis allé lui dire que j’arrêtais tout. J’ai eu l’air assez weird, mais je me suis dit qu’il valait mieux avoir l’air niaiseux cinq minutes devant quelqu’un que tout le reste de ma vie devant moi.»

Bref, Ça est de loin le spectacle le plus personnel d’André Sauvé. Visiblement heureux de s’être enfin trouvé il y a 15 ans, l’humoriste s’assure toutefois de saupoudrer son propos d’une bonne dose de réalisme. «Ce qui est le plus maudit avec le “ça”, c’est que c’est pas garanti que tes affaires vont marcher si tu fais le saut dans le vide. Ça se peut que tu lâches quelque chose et que tu le trouves pas, ton crisse de chemin. J’ai beaucoup réfléchi à ça et, oui, le feeling, l’intuition, l’instinct, le destin et la volonté guident nos vies, mais il y a aussi une part de hasard dans cette tarte-là. Je sais pas c’est quoi la proportion exacte, peut-être juste 5%, mais c’est certain que ça influence le parcours de tout le monde, croit-il. Chose certaine, si je l’avais jamais écoutée, cette petite voix-là, je serais peut-être encore en train de vendre des tuyaux au Salon de l’habitation en ce moment.»

Ça 
Les 4, 5 et 6 octobre
à la salle Albert-Rousseau (Québec)

Les 9, 10, 11, 12 et 13 octobre au Monument-National
ainsi que les 8 et 9 février 2019 au Théâtre St-Denis