Virginie Fortin : Parcours improvisé
Scène

Virginie Fortin : Parcours improvisé

Improvisatrice chevronnée, Virginie Fortin a pris les détours qu’il fallait pour être heureuse. Après s’être cherchée durant une bonne partie de sa vingtaine, la Montréalaise de 32 ans a compris qu’elle ne ferait jamais une seule chose de sa vie. Entrevue avec une animatrice, comédienne et humoriste qui multiplie les projets à défaut d’avoir des ambitions immuables.

Avec ton premier one-woman-show, ton émission bihebdomadaire L’heure est grave et ton rôle dans la série Trop, on se doute que ton horaire doit être assez chargé depuis quelques mois. En septembre dernier, tu disais d’ailleurs au journal Métro que tu allais «être gossante cet automne» tellement tu avais de projets en branle. Est-ce que ton impression est maintenant confirmée?

En ce moment, je ne me trouve pas gossante, car je ne me regarde pas constamment à la télévision, mais je trouve effectivement que je suis impliquée dans trop de projets en même temps. Le plus drôle là-dedans, c’est que j’ai même pas ce désir-là d’être sur toutes les plateformes. C’est vraiment juste une question de circonstances.

L’une de ces «circonstances» est sans doute la popularité de Trop, qui a repris le petit écran pour une deuxième saison. Avais-tu prévu que le jeu allait prendre une place aussi grande dans ta carrière?

Sincèrement, c’était mon rêve d’enfant d’être comédienne. Mon père (Bernard Fortin) est lui-même comédien et, étant l’enfant du milieu, j’ai toujours cherché beaucoup l’attention, ce qui explique en partie ce rêve-là. C’est vraiment au cégep, durant mes études en théâtre, que tout ça a changé. Je ne me trouvais pas crédible dans la peau d’un personnage qui vit une émotion. Je préférais vraiment l’improvisation. Je suis donc entrée à la Ligue nationale d’improvisation (LNI) durant mes études universitaires et, pendant cinq ou six ans, j’ai continué à voir cette passion-là comme un simple hobby, en parallèle de ma jobine de serveuse au Centre Bell. Tout ça jusqu’au jour où je me suis dit: «Virginie, qu’est-ce que tu fais dans la vie?» J’en étais rendue à me dire qu’il fallait peut-être que j’abandonne mon rêve de jeunesse, un peu comme tous ceux qui réalisent que, finalement, ils ne pourront pas être astronautes… Bref, quand j’ai reçu l’appel de Trop, ma tête était vraiment ailleurs. J’étais rendue humoriste et j’avais vraiment le syndrome de l’imposteur. Je trouvais les textes très bons, mais je ne savais pas si j’allais être capable de laisser la place à cette grande vulnérabilité là.

En fin de compte, qu’est-ce qui t’a donné la confiance nécessaire pour assurer ce rôle?

En fait, je pense pas que je l’avais au départ, la confiance absolue. C’est vraiment en voyant la réaction de tout le monde sur le plateau que toutes mes craintes se sont dissipées. C’est moi la dernière qui ai cru en mon potentiel! Dans la vie, je suis pas le genre de personne qui va foncer si personne n’est là pour croire en moi. Mais à défaut d’avoir ce caractère-là, je crois avoir une certaine curiosité qui m’a amenée où je suis maintenant. Il y a beaucoup de hasard là-dedans, mais finalement, toutes ces curiosités-là ont fini par connecter ensemble.

Parmi les curiosités auxquelles tu fais référence, il y a sans doute l’école d’improvisation The Second City, où tu as étudié durant tes séjours à Chicago et Toronto. C’est d’ailleurs dans la métropole ontarienne que tu as eu tes premières expériences de stand-up. Pourquoi avoir choisi cette ville?

Je pourrais dire que c’est parce que je consommais davantage d’humour en anglais qu’en français, mais ce n’est pas juste ça. À ce moment-là, l’improvisation ne me stressait plus, et je cherchais un challenge différent. Je savais aussi que si je commençais le stand-up à Montréal, là où le milieu de l’impro est tissé très serré, je serais beaucoup plus stressée de me planter. Pour moi, faire de l’humour en anglais, c’était un peu comme jouer un personnage, et c’est pour cette raison que je participe encore annuellement au festival Fringe d’Édimbourg. J’aime être dans une réalité alternative qui n’a aucun impact sur ma vie au Québec. C’est vraiment l’idée de fuir la vie et de me mettre un masque.

Dans plusieurs entrevues, tu dis avoir de la difficulté à t’ouvrir sur ta vie personnelle et, par conséquent, à comprendre l’intérêt des artistes qui se confient en détail aux médias et à leur public. Est-ce que ce refus du vedettariat excessif t’oblige, encore aujourd’hui, à te «mettre un masque»?

Disons que j’aime pouvoir choisir la personne que je présente aux gens. Quand je suis à la télé, c’est mon surmoi qui parle, tandis que, sur scène, j’incarne la version la plus confiante de moi-même, celle qui n’a plus de doutes. Après ça, tout ce qui appartient à ma vie personnelle, j’essaie d’en donner le moins possible aux médias. Moi, je veux qu’on connaisse ce que je fais avant de s’intéresser à qui je suis. C’est probablement pour cette raison que j’ai refusé de participer à l’émission La vraie nature (à TVA). C’est un super véhicule promotionnel pour vendre des billets, mais le concept d’aller brailler dans une grange en regardant des photos de ma grand-mère morte ne m’intéresse pas. En fait, probablement que tout ça part de mon père qui faisait ce métier-là et qui, au début, avait accepté de jouer la game, d’aller prendre des photos en famille pour Le Lundi par exemple. Après un certain temps, il a décidé de tout arrêter, car il ne se sentait pas bien là-dedans.

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photo : Maxyme G. Delisle (Consulat)

Reste que, malgré tous tes efforts, tu n’échappes pas au star-système. Lorsqu’on commence à taper «Virginie Fortin entrevue» sur Google, il y a les suggestions «Virginie Fortin enceinte» et «Virginie Fortin en couple avec qui» qui apparaissent…

Effectivement, je n’y échappe pas! Le meilleur exemple pour illustrer ça, c’est mon passage au Gala des Olivier l’an dernier. J’y suis allée sans mon chum (l’humoriste Philippe Cigna de Sèxe Illégal), et tout de suite en arrivant sur le tapis rouge, on m’a demandé: «Il est où ton chum?» J’ai répondu qu’il était en train de servir des repas au Refuge et qu’on se complétait bien comme couple, car il n’aimait pas vraiment les galas. Le lendemain, il y avait un article de six lignes à propos de moi avec, comme titre, «Un couple équilibré». J’étais découragée…

À défaut de verser dans le récit anecdotique ou les confidences trop intimes, ton premier one-woman-show Du bruit dans le cosmos aborde des enjeux sociaux très actuels. On parle d’ailleurs de ton style comme d’«un humour posé et réfléchi». Es-tu à l’aise avec cette étiquette?

Je trouve que ça fait snob de dire que je réfléchis. T’es pas obligé d’avoir un propos social ou politique pour écrire de l’humour avec une réflexion. Des conteurs d’histoires comme Jean-Marc Parent ou Simon Leblanc, je les trouve captivants, et ils réfléchissent tout autant que moi. C’est juste qu’on n’a pas les mêmes habiletés. Moi, ma zone de confort, c’est l’observation de l’existence au sens large. Si je parle de moi, c’est que je m’inspire d’une chose qui s’est déroulée dans ma vie pour ensuite amener un sujet plus grand. Par exemple, je peux lancer un numéro en disant que je possède 22 camisoles, mais tout ça va servir à mettre la table pour le sujet de la surconsommation et de la surproduction de linge. Je ne vais jamais faire une joke comme: «Hier, je suis allée à la quincaillerie et j’ai pété dans la rangée numéro 2!»

Comment tes différentes réflexions s’intègrent-elles dans le concept général de ton spectacle?

La base du concept, c’est que j’observe la Terre de loin, comme si j’étais une extraterrestre. Je zoome ensuite sur les problèmes tangibles qu’on a en ce moment. C’est là que je constate que l’argent est un concept inventé qui n’a pas rapport dans le cycle de survie d’un humain, mais qui, en même temps, a fini par régir l’ensemble de nos vies et de nos sociétés, à un point où on n’est maintenant plus capables de s’en départir. Tout ça m’amène à me poser des questions sur le capitalisme et, donc, sur nos problèmes de surconsommation. Ah, et j’oubliais… À travers tout ça, il y a aussi des blagues!

Et un peu de philosophie aussi?

Oui, c’est une discipline qui m’habite encore beaucoup et pour laquelle j’envisage de faire un retour à l’université. Depuis très longtemps, j’ai un vertige de l’existence. Tous les jours ou presque, je me rappelle que je suis prise dans mon corps. Avec Du bruit dans le cosmos, j’ai réalisé que, dans le fond, c’est pas grave si on comprend pas pourquoi on vit, car tout ce qu’on est existe seulement dans une petite parcelle de l’univers. En d’autres mots, tout ce qu’on vit sert à rien, donc le but, c’est juste d’avoir du fun.

Pour les bienfaits de ce potentiel retour aux études, comptes-tu lâcher la scène ou la télé… ou les deux?

En fait, même si je ne retourne pas étudier, je vais lâcher de quoi. Je peux pas garder un rythme comme ça. Je suis pas André Robitaille quand même! Mon but, c’est pas d’être partout le plus possible, mais bien de sentir que je fais de quoi que j’ai jamais fait dans la vie. J’aime les défis et, habituellement, j’ai tendance à aller vers les choses qui me terrifient.

Quels sont ces prochains défis «terrifiants» que tu comptes relever prochainement?

Je vais jouer dans une comédie musicale, un genre d’opéra rock humoristique avec un petit budget. Je peux pas trop en parler, mais ça risque fortement de faire partie de la prochaine édition du Dr. Mobilo Aquafest. Ensuite, j’aimerais aussi jouer dans un film. Je dis ça, mais en même temps, j’ai pas vraiment d’ambitions réelles. Tout ce que je veux, c’est que ma vie continue d’être le fun. Et si jamais mes affaires arrêtent de marcher un jour, je trouverai mon fun ailleurs. Dans le showbiz québécois, y a beaucoup de gens qui ont disparu de la mappe au fil du temps, et c’est pas nécessairement négatif. On se demande tous il est où Manuel Hurtubise, mais t’sais, peut-être qu’il est très heureux de ne plus être dans ce domaine-là.

Trop
diffusée à ICI Radio-Canada Télé

jusqu’au 5 décembre et disponible sur Tou.tv Extra

L’heure est grave 
diffusée à Télé-Québec jusqu’au 9 décembre

Du bruit dans le cosmos
les 6 et 7 novembre au Théâtre Outremont

le 24 novembre au Cégep de Trois-Rivières

le 15 mars à Saint-Georges et 16 mars aux Arts de la scène de Montmagny