Rotterdam : La traversée du clair-obscur
Scène

Rotterdam : La traversée du clair-obscur

C’est une histoire aux multiples nuances. Une histoire délicate et difficile à raconter, qui doit néanmoins être entendue. Celle d’une relation en point d’interrogation. Celle de l’entremêlement de deux solitudes qui cherchent leur ancrage dans l’infini.  

Rotterdam, c’est la ville où tout se déroule. Une ville portuaire où tout ne fait que passer, dont l’identité semble être à géométrie variable, quelque part entre l’anglais et le néerlandais. C’est là que Fiona (Pascale Renaud-Hébert) laisse tomber les masques pour révéler le profond malaise qui l’habite : elle est, au plus profond d’elle-même, un homme coincé dans son corps de femme. Les projecteurs sont toutefois moins tournés vers la transformation de Fiona que sur les chamboulements vécus par Alice (Marie-Hélène Gendreau), son amoureuse qui y perdra complètement ses repères déjà fragiles.

De gauche à droite: Pascale Renaud-Hébert et Marie-Hélène Gendreau (Courtoisie: Nicola-Frank Vachon)
De gauche à droite: Pascale Renaud-Hébert et Marie-Hélène Gendreau (Crédit: Nicola-Frank Vachon)

La magnifique scénographie très Bauhaus conçue par Gabrielle Doucet rappelle les formes géométriques et les couleurs vives d’un décor d’émission jeunesse. Rotterdam est pourtant loin d’être un jeu d’enfant. Dans une traduction et une mise en scène très efficace d’Édith Patenaude, les non-dits se multiplient et les questions s’enchevêtrent. Le texte de Jon Brittain est solide. Ses personnages sont cohérents et sa problématique, on ne peut plus actuelle. Si, d’une part, la situation vécue par les protagonistes peut paraître atypique, le public se reconnaîtra dans les répliques taquines, dans les chicanes anodines autant que dans ces questions qui paralysent. Dès le départ, une solidarité silencieuse se tisse entre la scène et la salle.

Le défi est de taille pour les deux comédiennes incarnant le noyau de cette relation tumultueuse. Il va sans dire que le sujet du changement de sexe est un terrain glissant, vécu différemment par chacun et teinté de nombreux préjugés. Somme toute, la production de La Bordée s’en sort très bien, réussissant à rendre crédible la transition de Fiona vers Adrien, son alter ego masculin, en évitant la caricature. Marie-Hélène Gendreau est bouleversante, dans un rôle clé aux multiples retournements, dans une déroute qui tient le spectateur sur le bout de sa chaise. Le rôle est d’autant plus important qu’il amène ponctuellement une part de légèreté dans une série de dialogues qui, autrement, tomberaient rapidement dans la lourdeur du drame humain qu’ils évoquent.

Même si on aurait eu envie de retrouver un peu de poésie dans ce territoire aride de tensions et de quêtes d’identité. Même si, au final, ces multiples interrogations ne trouvent pas de réponse. Même si l’histoire se termine en points de suspension, c’en est une importante. Pour décomplexer le sujet auprès grand public et pour atteindre la sensibilité d’une jeune génération pour qui l’enjeu est de plus en plus concret. Puisqu’à l’instar de Fiona et d’Alice, on se cherche souvent soi-même dans les coins les plus obscurs de notre intériorité, Rotterdam est là pour nous rappeler qu’il y a toujours de la lumière dans les zones d’ombre.

Rotterdam
Jusqu’au 9 février
à La Bordée