Steve Gagnon: «Je ne fais pas du théâtre pour divertir»
Scène

Steve Gagnon: «Je ne fais pas du théâtre pour divertir»

À quelques jours de la première de sa dernière création Pour qu’il y ait un début à votre langue au Théâtre Denise-Pelletier, l’auteur et metteur en scène Steve Gagnon nous parle de son univers. 

Inspiré par l’auteur québécois Sylvain Trudel, Steve Gagnon évoque le quotidien de trois adolescents qui souhaitent s’affranchir de la médiocrité du quotidien dans une quête pour trouver une terre d’exil où ils pourront s’affirmer.

Voir : Quel a été ton point de départ pour créer Pour qu’il y ait un début à votre langue?

S. G. : Quand on est adolescents, on se pose des questions sur ce qu’on veut être, quel adulte on sera… puis rapidement après cette période, ce n’est plus du tout une quête prioritaire dans nos vies. C’est la quête de confort qui prévaut. On cherche à réussir, à se conformer à un modèle et on abandonne des luttes, des désirs, des convictions au profit de ce confort personnel. C’est ça que je dénonce.

Voir : Est-ce qu’il y a une part d’espoir dans cette pièce?

S. G. : Bien sûr! C’est sûr qu’on parle de réalités qui sont sombres, dramatiques, tristes… parce qu’on n’est pas là pour faire du déni, mais je m’assure qu’il y ait de la lumière dans ce que je fais. C’est catastrophique que le public sorte déconfit ou noirci d’une représentation. Il y a de l’espace pour respirer et pour en sortir inspiré plutôt que désespéré.

Voir : Alors, comment penses-tu que le public va réagir?

S. G. : On va à plein de places émotivement. Il y a des scènes touchantes, confrontantes, très drôles…. Je sais que certains spectateurs vont se fermer, mais en même temps, je pense qu’il y a vraiment moyen d’être très remué. Pourvu que ça bouge, en fait.

Voir : Le spectacle se déroule dans la salle Fred-Barry, qui est une salle plutôt intimiste. Est-ce que c’est quelque chose que tu recherches?

S. G. : Oui, j’essaye vraiment d’amoindrir cette espèce de distance entre scène et salle, entre public et spectacle. J’essaye que le spectacle soit accessible pour le spectateur et vice versa. Notre métier, c’est d’ouvrir un dialogue, d’ouvrir une réflexion. On dirait qu’on se rend pas compte, mais la plupart du temps, après les applaudissements, on passe directement à autre chose. C’est un peu absurde, je trouve.

Voir : Tu es un artiste pluriel – comédien, auteur et metteur en scène. Quel a été ton parcours?

S. G. : Mon premier amour, c’est le jeu, l’interprétation, mais j’ai toujours écrit aussi. Dans les dix dernières années, j’ai appris comment faire pour que l’écriture ne soit pas une torture, mais simplement un exercice auquel je peux me livrer de façon saine, structurée et régulière. L’écriture était insaisissable au début. Maintenant, je peux la contrôler.

Voir : Et ton métier de metteur en scène, il est venu à quel moment dans ta vie?

S. G. : J’ai toujours fait un peu de mise en scène, mais c’était autour de mes autres projets. Quand quelqu’un prend possession de ton texte pour en faire la mise en scène, tu n’as plus le contrôle sur ce qu’il signifie ou comment ça va être dit. Il y a des choses que je veux assumer complètement et la mise en scène me permet ça.

Voir : Est-ce que c’est l’art qui te permet de vraiment te mettre à nu?

S. G. : C’est difficile de faire de la mise en scène, mais il y a rien comme le discours. Prendre la parole, revendiquer, donner son opinion ou dénoncer, il y a rien de plus dur que ça. C’est pour ça qu’on le fait si peu dans la vie: s’opposer, se positionner… c’est difficile à faire.

Voir : Tes autres créations comme Os ou Fendre les lacs ont soulevé des réactions fortes. Tu y parles de la mort, de rupture, de sujets assez sombres. D’où te vient l’inspiration et est-ce que c’est une nécessité pour toi de parler de choses profondes et sérieuses?

S. G. : C’est sûr que ce n’est pas léger, mais moi, je ne fais pas du théâtre pour divertir. Je trouve qu’on a un trop gros souci d’efficacité, une œuvre d’art n’est pas censée être complètement divertissante ou haletante sous tous ses angles! On dirait qu’on a peur que le public trouve une seule minute trop longue. Je trouve que c’est une drôle de façon de voir l’art. On ne fait pas suffisamment confiance aux sensations inconfortables.

Voir : Les sensations inconfortables, est-ce que c’est quelque chose que tu cherches à susciter?

S. G. : Je donne souvent comme exemple La Graine et le Mulet d’Abdellatif Kechiche, qui est selon moi une grande œuvre. Il y a une scène où tout ce qu’on voit, c’est deux personnes qui font la vaisselle et la jeune fille dit à répétition “non mais il est con” et ça dure 12 minutes! Objectivement, la scène est beaucoup trop longue. S’il y avait eu un souci d’efficacité, la scène aurait duré 15 secondes, mais quoi de mieux pour la comprendre que de la vivre? C’est aussi le but de l’art, c’est pas juste d’être confortablement assis et de ne rien trouver long. Sentir un inconfort, on pense que c’est un défaut alors que c’est une qualité.

Voir : Si tu devais décrire ton travail en trois mots…

S. G. : Je dirais: accessible mais insoumis. Ça fait trois mots (rires)! Le «mais» est important.

Pour qu’il y ait un début à votre langue
Du 3 au 20 avril

À la Salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier
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