Christine, la reine-garçon : Souveraine de glace
Christine, la reine-garçon est une pièce à part dans la théâtrographie de Michel Marc Bouchard. Avec des allures quasi shakespeariennes, le dramaturge y imagine le règne de Christine de Suède, souveraine nordique du 17e siècle. Un univers complexe qui tombe parfaitement dans les cordes de Marie-Josée Bastien, qui en signe la mise en scène.
Ils sont magnifiques, les mots de l’auteur. Encore plus magnifiques alors qu’ils se font écho sur la scène du Théâtre La Bordée en guise de point d’exclamation d’une saison fort chargée en émotions. Encore plus significatifs, ces mots, lorsqu’on réalise que le drame grandiose qu’ils racontent fait état des mêmes contradictions humaines qui sont aussi la cause de nos petits déchirements quotidiens. Être une femme de tête ou une femme de coeur, voilà le conflit qui s’infiltre insidieusement dans l’esprit de la reine, alors que de nouvelles passions la troublent et façonnent en elle un sentiment obsessionnel pour sa dame de compagnie. Est-ce possible de raisonner l’amour, ou sommes-nous plutôt condamnés à lui donner raison?
La complexité des thèmes et des idées qui s’enchevêtrent au fil des scènes n’a d’égal que celle qui tisse les relations ambiguës entre les nombreux personnages du récit. Bien qu’on aurait pu rapidement s’y perdre, il n’en est rien. La mise en scène de Marie-Josée Bastien précise y est pour beaucoup, mais le crédit revient également au jeu très juste des acteurs. Cette talentueuse distribution réussit à captiver l’attention du public tout au long des deux heures trente que durent le spectacle, évitant habilement l’interprétation trop ampoulée que suggère le niveau de langage prêté à la fiction. À ce chapitre, mention spéciale à Érika Gagnon, méconnaissable en vieille reine déchue, ainsi qu’au sens comique de Simon Lepage, dans le rôle de l’ultra narcissique comte Johan, qui désamorce avec rythme la tension dramatique parfois angoissante. Dans le rôle-titre, au sommet de sa forme, Marianne Marceau chausse avec brio les bottes de ce personnage androgyne qui semblait pourtant tout avoir d’un contre-emploi. Tel un bloc de glace qui se fissure progressivement pour finalement se liquéfier sous les yeux de tous, la jeune comédienne transforme la dureté et l’entêtement de la souveraine en une fragilité tourmentée devant laquelle il est difficile de rester impassible.
La science se mêle à la religion et l’amour à la politique au sein d’une scénographie aussi austère que magnifique (Marie-Renée Bourget Harvey), laissant passer la lumière dans les zones d’ombre, à la manière des esprits qui tentent d’illuminer l’obscurité de l’âme humaine. Chapeau bas à la conception des éclairages de Sonoyo Nishikawa, qui glacent les sangs et enrobent les protagonistes d’une aura presque cléricale.
C’est presque un sans-faute pour cette production de Christine, la reine-garçon, cette héroïne imparfaite mais exemplaire, qui nous rappelle la force avec laquelle les femmes ont dû s’arracher à ce qu’on attendait d’elles pour réussir à se retrouver. Le théâtre le démontre ici une nouvelle fois: on a beau mettre en scène une royauté éloignée vivant dans des siècles depuis longtemps passés, l’histoire, elle, se raconte encore au présent.
Jusqu’au 11 mai 2019
Au Théâtre La Bordée
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