Guillaume Wagner : Courage, convictions et contradictions
Scène

Guillaume Wagner : Courage, convictions et contradictions

Plus nuancé qu’à ses débuts, Guillaume Wagner lance «un appel au courage de la révolte face au poids de notre confort» dans Du cœur au ventre.

Tu parles de ce troisième one-man-show comme d’un «spectacle incisif qui nous confronte dans nos contradictions». Est-ce que c’est un spectacle qui t’a également confronté aux tiennes?

Des contradictions, on en a tous. Dans mon deuxième show, je parlais du fait que j’étais pas prêt à avoir des enfants, car je trouvais que le monde dans lequel on vivait était trop fucked up. Mais bon, maintenant, j’en ai un enfant… D’ailleurs, j’ai un fan qui m’a écrit pour me dire qu’il m’aimait beaucoup et que, lui non plus, il ne voulait pas d’enfant. Quand je lui ai annoncé la nouvelle, il s’est senti trahi! Faut pas oublier que ce que je fais reste de l’humour. J’amplifie ce que je pense et, aussi, j’évolue constamment comme humain. Ça serait hardcore d’être tellement à fond dans la critique sociale que je refuse à jamais d’avoir un enfant… Autrement, c’est un show durant lequel je parle beaucoup de ma génération et de son narcissisme, mais en même temps, je fais le métier le plus narcissique au monde! Bref, j’ai comme pas le choix de les embrasser, ces contradictions-là.

En quoi ces paradoxes t’ont amené à lancer cet «appel au courage»?

J’essaie d’inspirer les gens à être eux-mêmes, à conserver leur esprit critique. Le titre est justement une manière de dire de façon poétique qu’on doit avoir le courage de ne pas suivre le troupeau. En même temps, je suis conscient qu’on est tous dans le même bateau et que ce n’est pas nous qui sommes aux commandes. On n’a pas vraiment de pouvoir dans la direction qu’il prend.

C’est ce que tu as réalisé dernièrement?

Je le savais déjà, mais là, je réalise à quel point on a aucun contrôle. Quand tu es jeune, tu as l’espoir de faire partie d’une vague de changement, mais plus ça avance, plus je me rends compte que ma génération, c’est la pire. On est constamment dans l’image, dans une mise en scène pernicieuse. On vend nos bebelles de façon plus subtile que jamais, alors qu’avant, au moins, c’était plus clean. Y avait une distinction entre le contenu et la publicité. Maintenant, tout est mélangé: la carrière, la pub, la vie personnelle, la vie privée… C’est inquiétant.

Tu es né en 1983, soit au tout début de la génération des milléniaux. Est-ce pour cette raison que ton regard est aussi critique?

Je pense que j’ai encore le recul nécessaire pour dire «WTF?», car j’ai vécu l’avant et l’après-réseaux sociaux. Quand je ris des influenceurs, je remarque que les gens de mon âge trouvent ça hilarant, alors que les jeunes ne comprennent même pas que c’est weird ce qu’on vit. Ils ne trouvent rien de mal dans l’idée de vendre constamment un produit. Je trouve ça fascinant et, bien sincèrement, je me sens vieux.

photo : Antoine Bordeleau

À quel point tu as choisi de la jouer, cette game-là?

Je la joue un peu… Du mieux que je peux pour attirer du monde dans mes salles. Mais j’irai pas jusqu’au bout, car anyway, je les connais pas tant les codes de ma génération. Je reste donc très prudent dans mon rapport à tout ça. C’est facile de se perdre là-dedans, de devenir ce que le public attend de toi et de perdre le contrôle de ta personne dans ton image.

L’image que tu projettes est intimement reliée à tes prises de position, à tes opinions tranchées. As-tu donc cherché à te sortir de cette image pour ce nouveau spectacle?

C’est certain que, par moment, je prends position de manière directe, car l’humour implique une certaine démagogie pour en arriver à un gag. Y a encore de ça dans le show, mais j’ai évolué. Les opinions tranchées ne vont plus dans une seule direction comme avant. Je tente davantage d’en avoir qui vont dans les deux sens. Je dis souvent tout et son contraire, un peu pour montrer aux gens que mes opinions sont pas arrêtées.

As-tu un exemple concret de cette «évolution»?

J’ai un numéro sur le mouvement #moiaussi, dans lequel je critique le comportement des hommes, tout en m’incluant là-dedans. Je fais ça dans un premier temps, mais j’essaie aussi de voir l’autre côté des choses, celui du mâle un peu cabochon que je caricature. J’essaie de comprendre pourquoi il est comme ça, en m’adressant directement à lui. Bref, j’essaie de ne pas déshumaniser mes cibles, de pas juste m’en aller après avoir donné un gros coup de poing dans’ face à quelqu’un. Avec l’âge et la maturité, je me sens paresseux de faire ça.

En gros, ton évolution artistique suit ton évolution humaine…

À mon avis, c’est impératif que tout ça soit relié. J’en ai vu des humoristes céder à la caricature, devenir l’image qu’on leur donne, alors qu’en privé, je le vois clairement qu’ils sont pas de même. Ils font du service à la clientèle. Moi, c’est peut-être justement mon problème de carrière de pas avoir fait ça. J’en ai perdu du monde en chemin, du monde qui voit la nuance comme une trahison. Oui, c’est un bon move de faire de la caricature, mais je me sentirais pu vrai et honnête de continuer de faire ça. Je veux pas devenir le stéréotype du gars d’opinion.