Joël Pommerat : Sculpter le rêve dans la réalité
Scène

Joël Pommerat : Sculpter le rêve dans la réalité

Tout le monde connaît le mythe de Pinocchio grâce au film d’animation qu’en a fait Walt Disney. Sans en altérer la magie, la version théâtrale de Joël Pommerat met en lumière les facettes plus sombres de ce conte pour enfants écrit à la fin du 19e siècle.

En 2016, l’adaptation de la célèbre histoire Cendrillon faite par le metteur en scène français recevait des tonnerres d’applaudissements, alors présentée à Québec dans le cadre du Carrefour international de théâtre. Il était donc tout naturel pour le festival de renouer avec les créations inventives de Joël Pommerat, suivant le fil de sa série de transpositions scéniques de contes pour jeune public.

Bien qu’elle ait été créée il y a 11 ans, la pièce semble résister au temps de la même manière que le personnage du même nom traverse les siècles. S’adressant à un public plus adolescent, par son esthétique obscure et son côté insolite, ce Pinocchio se distingue aussi grâce à la structure épisodique de son récit. «C’est un feuilleton, que l’histoire de Carlo Collodi. On a énormément de péripéties, d’aventures et de rebondissements. C’est presque comme une série aujourd’hui. […] C’est avant tout un récit avec une dimension extrêmement concrète», détaille Pommerat, alors qu’il décrit la fable italienne comme étant plus brutale et réaliste que les autres contes de fées qui habitent notre imaginaire collectif.

Joël Pommerat   crédit Elizabeth Carecchio

À travers sa pratique, celui qui nous a aussi offert le texte de La réunification des deux Corées cherche à trouver la place de l’onirisme dans le monde réel, à appliquer une dimension fantastique au théâtre réaliste. Un contraste qui s’applique bien aux mésaventures de cette marionnette de bois qui apprend, «à la dure», comment devenir un vrai petit garçon. C’est d’ailleurs la naïveté du protagoniste qui a poussé le metteur en scène à s’y intéresser. «Psychologiquement, et si on n’y va pas par quatre chemins, c’est un imbécile. Il est même bête et méchant. On en a une vision déformée à cause du film de Disney qui a extrêmement enjolivé Pinocchio, mais à la base, le personnage n’est pas du tout sympathique.»

Ainsi, pour un public adulte, l’adaptation qui sera présentée entre les murs du Théâtre La Bordée risque d’ébranler quelques souvenirs. Les plus jeunes y trouveront assurément de quoi rire, bien que la mise en scène ne leur offre pas le décor sucré et coloré auquel on les a habitués. Pour que la beauté émerge, il lui faut aussi de la laideur, explique Joël Pommerat. «Je pense que j’ai conçu Pinocchio un peu comme un livre d’images, mais pas un livre d’images jolies. Un livre d’images un peu sales. Avec du fantastique mais aussi de l’horreur. J’ai tendance à penser que les enfants, il faut aussi leur donner accès à des émotions et à des réalités honnêtes. Ils ont le droit de voir des créations artistiques tranchées.»

crédit : Elizabeth Carecchio

Comme un deuxième Geppetto qui taille ses personnages à échelle humaine, le créateur français se plaît à travailler avec des contrastes et des extrêmes assez radicaux. Sur scène, il en résulte des images grandioses et des scènes qui dérangent. Une chose, pourtant, survit à toutes ces versions du mythe. Alors que le nez de Pinocchio s’allonge, la sempiternelle morale de l’histoire s’impose irrémédiablement au public. A-t-elle encore sa place de la même manière au théâtre? «On est forcément obligés de traiter la question de la morale et du rapport des adultes vis-à-vis des enfants, mais elle est beaucoup plus métaphorique, répond Pommerat. On n’est plus dans la même époque pour réfléchir à ces questions.»

Certes, le contexte de création de Carlo Collodi n’est plus le même qu’aujourd’hui. Dans une certaine mesure, on peut même dire que les dernières années ont beaucoup changé le monde dans lequel s’inscrit le poétique Pinocchio de Pommerat. L’essentiel est maintenant de conserver la vie et la fraîcheur du propos pour qu’il apparaisse toujours aussi neuf aux yeux brillants des spectateurs de théâtre, jeunes et moins jeunes.

Du 5 au 8 juin
Au Théâtre La Bordée
Dans le cadre du Carrefour international de théâtre de Québec
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