Maurice G. Dantec : Lettre « personnelle »
La légalisation de la marijuana (2002)

Maurice G. Dantec : Lettre « personnelle »

Cher journal Voir, vous avez bien voulu me faire l’honneur de me demander mon point de vue au sujet des problèmes qu’engendrent d’une part l’existence et la prolifération des drogues, dont le cannabis, et d’autre part la terrible et morbide schizophrénie LÉGALISTE qui soit "prohibe", soit "légalise", sans jamais oser s’engager – évidemment – sur la voie étroite d’une véritable attitude critique, je veux dire: scientifique.

Cher journal Voir,

Vous avez bien voulu me faire l’honneur de me demander mon point de vue au sujet des problèmes qu’engendrent d’une part l’existence et la prolifération des drogues, dont le cannabis, et d’autre part la terrible et morbide schizophrénie LÉGALISTE qui soit "prohibe", soit "légalise", sans jamais oser s’engager – évidemment – sur la voie étroite d’une véritable attitude critique, je veux dire: scientifique.

Dans un volume de mon Journal datant de 1999-2000, j’avais en quelques lignes essayé de ramasser ma pensée à ce sujet. Je ne vous ferai pas l’affront de vous infliger ici ma propre prose, d’ailleurs qu’aurais-je à ajouter?

Si vous me le permettez, j’aimerais jouer le rôle vraiment dévolu à un écrivain: celui de se taire, non pas pour faire "vibrer le silence", mais pour redonner une VOIX aux MORTS. Plutôt donc que de vous livrer mon point de vue PERSONNEL, je vais faire entendre une voix dont on a si bien travesti la pensée qu’on sera parvenu, en l’espace d’un demi-siècle, à lui faire dire TOUT LE CONTRAIRE DE CE QU’ELLE AVAIT À DIRE.

Je parle ici d’un homme nommé Wilhelm Reich.

Les imbéciles nourris par les majorettes du féminisme postmoderne pensent sans doute que c’est "grâce à Reich et à ses théories orgonomiques" si nous vivons aujourd’hui une telle ère de "libération sexuelle générale".

L’occasion qui m’est donnée ici est trop belle, car le problème de la sexualité "libre" est absolument connexe à celui de la "libre" consommation des psychotropes. Il s’agit bien, encore une fois, du piège dualiste dans lequel s’enferme d’elle-même cette société du capital de troisième type où tous les hommes sont "égaux ET libres" (autant dire des cercles carrés) et où, plus que toute autre chose, c’est la liberté du commerce qui s’établit ainsi sur les "progrès des droits humains".

Voici donc ce que pensait à ce sujet un monsieur comme W. Reich, vers 1950, et qu’on n’aura pas le mauvais goût, j’espère, d’affubler du sobriquet de Willy-le-nazi:

"Les sexologues de la seconde moitié du XXe siècle traiteront de la sexualité pervertie de l’homme comme si elle était une donnée naturelle. Les psychologues parleront de l’homosexualité comme d’un "troisième sexe". Ils ne s’intéresseront qu’au phallus, aux capotes anglaises, aux techniques amoureuses des Hindous. Ils prodigueront aux ignorants et aux impuissants des conseils sur la manière d’"accomplir" (ce terme est à retenir) avec "succès" (terme également à retenir) l’acte sexuel. Ils enseigneront les "techniques de l’amour" (terme à retenir!), la manière de jouer avec les organes génitaux du partenaire, de s’exciter réciproquement, ils diront ce qu’il faut faire et ne pas faire, quelles positions adopter pendant l’étreinte sexuelle… Les politiciens n’hésiteront pas à s’emparer de l’occasion pour promettre aux "masses" la "liberté de l’amour"…

Ainsi la doctrine de la Vie jaillissante aboutira au naufrage de l’humanité tout entière et de toutes ses institutions si elle est prise en charge par l’homme atteint de la PESTE ÉMOTIONNELLE. Le danger principal est la mise en place d’une philosophie pernicieuse dérivée de la "puissance orgastique" qui préconiserait la licence sexuelle en tout lieu et en tout temps. Semblable à la flèche quittant le ressort tendu qui la retenait, la recherche effrénée du plaisir génital rapide, commode, et nuisible, fera des ravages dans toute la communauté humaine…

Ainsi se manifesteront les partisans de la débauche qui réclameront la "liberté de l’Amour" et le droit de vivre en conformité avec les "principes de l’orgonomie"…

Si l’on s’en réfère aux déformations du passé, les médecins et les philosophes lanceront une nouvelle vertu, l’idéal parfait de la "LIBERTÉ d’ÉMOTION" qui pèsera comme jamais sur les relations humaines…

Les vendus de la politique, les bavards de la libération des peuples, les libérateurs "mystiques" ne portent pas seuls la responsabilité de la misère humaine. On ne peut leur reprocher de colporter la "liberté", le "pain", la "démocratie", la "paix", la "volonté populaire" et tous les autres slogans de leur répertoire.

On peut par contre leur reprocher de persécuter TOUS CEUX qui se donnent la peine de DÉFINIR la liberté, de mettre le doigt sur les OBSTACLES se dressant sur le chemin de l’auto-gouvernement et de la paix…"

W. Reich, Le Meurtre du Christ, 1953

Voilà, je ne saurais mieux dire, et si vous me permettez quelques lignes de conclusion, toutes "personnelles":

– Dépénaliser les drogues, sans mettre en place en parallèle un véritable système d’éducation ad hoc, revient à "libéraliser" la sexualité, sans qu’un authentique ars erotica ait vu le jour.

– Dans les deux cas, contrainte "morale" ou "libération" des moeurs", le même nihilisme d’épicier, la même figure, hideuse, des dialectiques morbides de nos démocraties finissantes.

En vous remerciant de votre attention,

Amicalement,

MGD