

Katerine : L’Homme à 3 mains / Les Créatures
Nicolas Tittley
Entre amis, on attendait impatiemment la première parution domestique de Katerine, petit phénomène atypique de la pop française. On a eu de quoi se réjouir cette année grâce à la sortie de deux disques. En fait, il s’agit d’un faux album-double, livré chez nous en pièces détachées (la compagnie de disques ayant hésité à mettre en marché le très lo-fi L’Homme à 3 mains, nettement moins commercial que Les Créatures). Des disques siamois – contraires et complémentaires – soudés par une approche de l’écriture presque systématiquement automatique. Un dérapage onirique dans lequel le personnage de dandy distant de la pop française prend des risques et se met à nu, au propre comme au figuré. En pleine crise de lucidité, Katerine pige dans ses souvenirs d’enfance, s’autoanalyse, et va jusqu’à prédire sa propre mort (08.12.2008, morceau caché sur Les Créatures). Si, dans ses récents projets parallèles (voir la résurrection d’Anna Karina), le Vendéen s’inscrit dans la grande tradition de la chanson, dans le cadre de son travail personnel, il suit plutôt la voie d’iconoclastes telle Brigitte Fontaine. Comme cette dernière, qui a déjà enregistré avec l’Art Ensemble of Chicago, Katerine s’entoure, sur Les Créatures, d’un excellent combo de jazz actuel parisien, Les Recyclers. Un groupe d’improvisateurs capables de le suivre dans ses divagations chanson-bossa-yéyé-free-jazz, tantôt structurées et léchées, tantôt débridées. Sur L’Homme à 3 mains, Katerine joue seul, en temps réel, dans sa cuisine, sur d’improbables échantillonnages de dialogues bizarres; il délire, divague et perd le rythme en s’accompagnant seul à la guitare (voir Le Simplet). Des Créatures, on retiendra cette surréaliste déclaration d’amour à un délicieux volatile nourri aux grains (Poulet No 728 120); et, pour couronner le tout, un improbable tube (Je vous emmerde) qui nous a réconciliés avec la radio. Entre humour et cynisme, expérimentation et classicisme, Katerine est le grain de sable qui fait dérailler la machine pop. Un original incontournable.