Rap – métal : Eminem rappe plus blanc

Rap – métal : Eminem rappe plus blanc

Si l’on fait exception de N’Sync et de Britney Spears, trois mots peuvent résumer la dernière année musicale: Eminem et new metal. À la base de ces success stories, un point commun: l’émergence du hip-hop comme forme musicale dominante de ce début de millénaire. Elle est également un signe de la fascination et de l’attrait irrésistible qu’exerce le mode de vie gangsta sur les adolescents blancs. Bien entendu, cette attirance existait depuis plusieurs années avec les NWA, Tupac et Wu-Tang Clan, mais elle ne s’était jamais exprimée de façon aussi évidente qu’aujourd’hui.

Il est intéressant de constater à quel point le phénomène s’apparente à la montée du rock’n’roll au début des années 50. Tout comme le rap tire ses origines de l’expérience afro-américaine, le rock a lui aussi émergé de la culture black avant de gagner la faveur du grand public blanc avec Elvis Presley. On accusera d’ailleurs longtemps Presley de s’être approprié l’essence musicale noire et d’en avoir tiré grand profit au détriment des véritables innovateurs comme Little Richard.

Le parallèle avec Eminem saute aux yeux et mérite d’être mis en relief: c’est avec l’apparition d’un artiste blanc, doué, controversé et charismatique, que le genre en vient à envahir l’espace culturel. La comparaison va plus loin: tout comme Elvis, dont on qualifiait les déhanchements de "pornographiques", Eminem est lui aussi vertement critiqué pour sa vulgarité. Mais Eminem n’irrite pas que les puritains: son mépris des femmes et son homophobie notoires en font une cible de choix pour à peu près tout le monde. Ironiquement, c’est précisément cet anti-political correctness qui explique l’attrait qu’exerce le rapper. Après Jerry Springer comme exutoire de la frustration blanche, voici le nouveau porte-étendard du mal de vivre White trash, le nouveau héros redneck qui ose crier, dans sa forme la plus primaire, son identité, aussi méprisable soit-elle. Malgré toute la controverse qui l’entoure, avec plus de sept millions d’exemplaires vendus aux États-Unis, The Marshall Mathers LP demeure un phénomène marquant, un chapitre essentiel de la tangente mainstream empruntée par le rap. De plus, l’implication d’une légende comme Dr. Dre dans la conception du disque de même que l’approbation élogieuse de plusieurs figures importantes du hip-hop viennent conférer une crédibilité et un poids supplémentaire à la démarche de Slim Shady.

De la même manière, mais de façon encore plus poussée, la vague de nouveaux groupes rap-métal, dont les principales têtes d’affiche sont très majoritairement blanches, illustre l’appropriation de deux styles historiquement associés à la culture black, soit le rock’n’roll et le rap, qui fusionnent en un produit séduisant pour le public blanc. Au sommet de ce mouvement trône Limp Bizkit, dont le chanteur Fred Durst est en quelque sorte devenu le porte-parole de ce mariage. Car contrairement à Korn qui, sous l’influence du réalisateur Brendan O’Brien, a semblé vouloir donner à Issues une orientation nettement moins rap, Limp Bizkit a plongé tête première dans l’univers de la musique urbaine. Tout sur Significant Other, comme sur son successeur Chocolate Starfish…, a une saveur hip-hop; du graphisme de la pochette aux interludes musicaux, rien n’échappe à l’inévitable métamorphose de la musique rock moderne, qui atteint son apogée avec la pièce N 2gether Now, en duo avec Method Man.

Le succès phénoménal de Limp Bizkit a provoqué une onde de choc dans les maisons de disques américaines qui ont effectué une razzia au sein de la scène underground rap-metal, mettant sous contrat des dizaines de groupes. Du lot, la révélation la plus notable est certainement Papa Roach, dont l’album Infest offre un équilibre parfait entre intensité viscérale, textes introspectifs et mélodies vocales ultra-efficaces. Le premier single, Last Resort, a rapidement propulsé la formation californienne au sommet des palmarès. C’est un peu le même scénario qui s’est répété pour Disturbed. Féroce, brutal et profondément influencé par le phrasé rap, l’album Sickness semble indélogeable du palmarès Billboard. Moins populaire certes, mais tout de même significatif, l’anomalie P.O.D., dont les membres affichent ouvertement leur dévotion chrétienne, a aussi fait des vagues dans le milieu avec The Fundemental Elements of Southdown. Évidemment, cette mode n’a pas que du bon, et plusieurs has been ont tenté d’en profiter, comme en témoigne le triste retour de l’ex-Motley Crüe Tommy Lee avec son projet Methods of Mayhem. Les pionniers Rage Against the Machine se sont maintenus dans le peloton de tête avec The Battle of Los Angeles, une nouvelle collection de bombtracks où le militantisme et les appels révolutionnaires sont omniprésents. On attend toujours l’album solo exclusivement rap du leader de la formation, Zach de la Rocha, qui a quitté le groupe plus tôt cette année. Des patriarches du mouvement hip-hop ont également suivi le nouveau courant fusion. En effet, Cypress Hill, avec l’album double Skulls and Bones, a offert un nouveau visage plus heavy, allant même jusqu’à recruter un groupe de musiciens rock pour les fins de sa tournée estivale. Chuck D, de Public Enemy, et son Confrontation Camp auront aussi joint le mouvement avec un CD intitulé Objects in the Mirror Are Closer than they Appear. Tout ça dans l’espoir de rejoindre une horde de nouveaux fans et de poursuivre une révolution en pleine construction.

Discographie sélective

Eminem

The Marshall Mathers LP
(Aftermath/Universal)

Limp Bizkit

Significant Other
Chocolate Starfish and the Hot Dog Flavored Water
(Flip/Interscope)

Papa Roach
Infest

(Dreamworks/Universal)

Disturbed
Sickness

(Warner)

P.O.D.
The Fundamentals of Southdown

(Atlantic/Warner)