15 ans de danse

15 ans de danse

Difficile de passer à côté: Édouard Lock et sa compagnie, au nom excentrique de La La La Human Steps, ont marqué avec fracas la danse des 15 dernières années. On a vu tous les spectacles de la troupe, surveillé la moindre de leurs transformations. Depuis sa sortie de Nouvelle Aire, pépinière des artisans de la nouvelle danse, Lock a donné de son art une image inédite, comme en témoigne New Demons, qu’il crée en 1987 et qui lui vaut une reconnaissance internationale. Pour lui, la danse n’est plus un complément aux autres formes d’art, mais règne sur la musique et le cinéma, formes qu’il utilisait en grande pompe dans Infante, c’est Destroy (1991). Qui plus est, les spectacles de La La La sont des événements. Avec son langage très personnel, ses mouvements saccadés, désarticulés, son exploitation de la vitesse et du rythme, Édouard Lock a redonné à la danse son caractère envoûtant. En utilisant une musique rock, et en se servant de l’arsenal musical digne du showbiz le plus sophistiqué, Lock a cassé l’image des danseurs fragiles et évanescents; ils ne longent plus les murs de leurs corps graciles, mais sont des vedettes: comment oublier la crinière de Louise Lecavalier, la muse électrique et virevoltante qui a créé plusieurs spectacles de La La La Human Steps?

L’autre enfant terrible de la danse, c’est bien sûr Marie Chouinard. Insolente, provocatrice, iconoclaste, la chorégraphe et danseuse a surpris: son univers est teinté d’érotisme, d’androgynie, de violence, mais aussi d’une grande humanité. Avec STAB (1986) et L’Après-midi d’un faune (1987, repris en 1989), elle a fait l’événement. Chouinard projette l’image d’une femme obstinée, qui ne fait pas de compromis. Marie pleine de grâce est aussi pleine de volonté. Vertu cardinale quand on dirige sa propre compagnie, et que l’on tient à se renouveler, ce qu’elle a démontré avec Les Trous du ciel (1991).

La créatrice Ginette Laurin et sa troupe O Vertigo ont également marqué les 15 dernières années. Laurin travaille près du mouvement, discrètement. Mais de chorégraphie en chorégraphie, elle renouvelle le langage de la danse contemporaine: la créatrice bâtit aussi une "nouvelle" danse qu’elle fait rayonner, comme Lock ou Chouinard, autour du monde.

Puis il y eut aussi, dans un milieu plus traditionnel de la danse, l’éclectique James Kudelka, Anciennement danseur au Ballet national du Canada, il a fait ses armes de chorégraphe aux Grands Ballets Canadiens, après avoir créé le très beau In Paradisum (1983), et Désir (1991), ballets qui l’ont mis au monde comme chorégraphe et qui l’ont imposé sur la scène nationale. C’est pour Love Dracula qu’il avait fait la couverture du journal, avant de retourner à Toronto, où il est directeur artistique depuis 1996.

On l’a souvent dit, et on s’en est vanté (surtout lors des discours officiels): Montréal est une plaque tournante de la danse contemporaine, et elle l’était même avant l’avènement du Festival international de nouvelle danse. Mais lorsqu’on les écoute, les danseurs et chorégraphes nous confient systématiquement à quel point il est difficile de survivre comme danseur à Montréal, un soi-disant vivier de la création: le rayonnement est plus actif à l’étranger que chez nous, où la culture est encore considérée comme un divertissement; elle ne suscite plus de débats, ne sert souvent qu’à donner du vernis à une ville qui vend son âme au plus offrant. On a vu avec bonheur les petites scènes se multiplier, mais les compagnies de danse plus traditionnelles en sont souvent réduites à donner des spectacles sans musiciens, sans décor: pourquoi? Les 15 dernières années ont donc vu le meilleur mais aussi le pire: le délabrement des infrastructures, le désintérêt du public et des gouvernements. On aime nos danseurs, mais ailleurs! Que des gens comme Chouinard, Lock, Laurin, mais aussi Paul-André Fortier, Louise Bédard, Hélène Blackburn, ou Sylvain Émard, que Voir a accompagnés tout au long de leur carrière, continuent de travailler tient du miracle. Que de jeunes troupes essaiment encore et frappent notre imaginaire, nous bousculent, nous séduisent, nous transportent, c’est la grâce que l’on doit se souhaiter.

1-Ginette Laurin et O Vertigo pour La chambre blanche
(24 septembre 1992) Photo: Jean-François Leblanc
2-Sylvain Émard pour Rumeurs (17 octobre 1996) Photo: Yves Renaud3-Marie Chouinard pour Biophilia (1er novembre 1989)
Photo: Jean-François Bérubé