15 ans de livres québécois

15 ans de livres québécois

Le 13 août 1987, Voir donnait sa une à Dany Laferrière pour son second roman Éroshima. La fondation du journal coïncidait avec les débuts de cet écrivain d’origine haïtienne qui venait d’adopter Montréal, ville froide, mais qu’il a su réchauffer de bien des manières. Il avait quelques kilos en moins (nous aussi…), et Montréal à ses pieds. C’est ici que Laferrière s’était trouvé un éditeur, Jacques Lanctôt, qu’il a suivi lorsque ce dernier a quitté le groupe Ville-Marie littérature pour fonder sa propre maison. Dany est loyal. Il nous a encore donné deux autres couvertures, sans compter celle du Hors série 10e anniversaire, publication dans laquelle il figurait. Pour Voir, l’auteur de Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer a toujours été un modèle de liberté. Cette première photo nous faisait découvrir un jeune homme qui voulait bouffer le monde, qui imposait sa voix, son corps, tout son être.

Ce qu’a fait aussi Emmanuel Aquin, en 1992, dans une photo-choc qui provoqua quelques discussions. Si plusieurs lecteurs ont adoré l’audace du jeune auteur de 25 ans, qui sortait alors son troisième roman (Désincarnations), des passants clamaient leur indignation devant la vitrine du journal, rue Saint-Denis, où s’empilaient les journaux ce jeudi-là, jour de la publication. Nous, on le trouvait génial, Aquin, d’avoir accepté cette mise en scène très Ailes du désir, lui qui ne croit ni en Dieu ni en la réincarnation!

Les 15 ans de Voir ont aussi été marqués par l’oeuvre de Louis Hamelin, autre figure qui nous a éclairés, allumés, stimulés. Il représentait l’espoir d’une nouvelle génération, l’expression d’un ras-le-bol, et révélait un lyrisme inspirant. Hamelin a continué à bâtir une oeuvre avec ses thèmes si personnels, dont ceux de la création et de la nature, qu’il aborde encore une fois dans son dernier roman Le Joueur de flûte. En écrivant sur la nature comme il l’a tant fait, Hamelin a été visionnaire: l’environnement, le soin de la vie ne sont-ils pas les plus grandes préoccupations de l’heure? Ces sujets ne sont-ils pas au coeur des grands débats de l’heure (consommation, économie, industrialisation, etc.)?

Une autre amoureuse de la nature fut Anne Hébert, qui nous accordait une entrevue (la dernière qu’elle donnait d’ailleurs) un beau jour de juillet 2000, quelques mois avant sa mort. Elle venait de se réinstaller à Montréal, après plusieurs années d’exil à Paris. Ce n’était pas un secret, Anne Hébert était malade, mais restait disponible et ouverte. Cette femme lumineuse m’avait reçue dans son petit appartement du Rockhill, chemin de la Côte-des-Neiges, manifestait la plus entière générosité. Difficile de ne pas être émue devant cette grande écrivaine, qui ne parlait que des autres (des gens qu’elle aimait, de Marie-Claire Blais qu’elle admirait) et si peu d’elle-même. Après l’entrevue, au moment de partir, Anne Hébert s’est mise à jouer avec son chat, qu’elle voulait absolument me présenter. Lui, dormait bien tranquille sur son lit, et refusait de bouger. Sa maîtresse riait aux éclats, me prenant à témoin. Jamais je n’oublierai l’indépendance d’esprit de cette grande femme, qui ne prenait pas la pose de l’écrivain sérieux et pénétré: elle était elle-même, simple et naturelle.

Contrairement à ce que l’on croit, l’âge n’est pas un critère pour figurer sur nos couvertures! Anne Hébert, Françoise Sagan, Riopelle l’ont prouvé. Mais la relève s’est toujours fait une place de choix: Aquin, Hamelin, mais aussi Hélène Monette, Élise Turcotte, qui ont fait la une du Cahier Livres, période à laquelle je commençais tout juste à faire de la critique littéraire. En plus de voir Montréal sous la plume des Monique Proulx ou Laferrière, nous avons également tenu à poser un regard différent sur la littérature d’ici: comment ne pas voir que les genres littéraires traditionnels se féminisaient, ainsi que nous l’avons écrit dans nos spéciaux "Femmes et Polars", ou encore "Science-fiction au féminin? Garder l’oeil ouvert, c’est ce à quoi nous ont invités les écrivains, qu’ils parlent d’eux, ou du monde qui les entoure.

1-Anne Hébert pour L’Enfant chargé de songes (4 juin 1992)
Photo: Gilbert Duclos
2Dany Laferrière pour Éroshima (13 août 1987) Photo: Éric Parizeau
3-Jean-Jacques Pelletier pour L’Argent du monde (1er mars 2001)
Photo: Érick Labbé
4-Louis Hamelin pour Cow-boy (8 octobre 1992)
Photo: Jean-François Bérubé
5-Monique Proulx pour Les Aurores montréales (21 mars 1996)
Photo: Benoit Aquin