15 ans de musique québécoise

15 ans de musique québécoise

En 1986, alors que Voir débarque sur la scène journalistique, la musique québécoise tente de se reconstruire. Le magazine Québec Rock vient de rendre l’âme, privant le Québec de sa seule publication spécialisée en musique; mais cette perte est largement compensée par l’arrivée de deux de ses meilleurs journalistes (Laurent Saulnier et Frédéric Tomesco) dans les pages de Voir.

On vit alors une drôle d’époque: en 1986, les chanteurs vedettes des années 70, qui avaient porté le flambeau de la cause nationale sur tous les fronts, ne chantent plus que pour eux-mêmes et émergent tant bien que mal de la grisaille post-référendaire. Dans la deuxième moitié de la décennie, pourtant, les valeurs sûres que sont Michel Rivard, Paul Piché et Richard Séguin signeront des albums qui marqueront leur époque (sans parler de leurs carrières respectives): Un trou dans les nuages (1987), Sur le chemin des incendies (1989) et Journée d’Amérique (1988), qui vaudront tous à leurs auteurs de se retrouver en couverture de notre journal.

À nos débuts, la seule comédie musicale de Plamondon est déjà vieille de plusieurs années; et l’homme aux lunettes noires s’apprête à connaître son lot d’échecs avec La Légende de Jimmy et Sand et les romantiques. Céline Dion n’est pas encore le phénomène interplanétaire que l’on connaît, mais elle nous irrite déjà sérieusement le canal auditif. Daniel Bélanger n’est alors qu’un obscur membre des non moins obscurs Humphrey Salade (on attendra son premier album solo avant de s’exciter).

Les premiers artistes québécois à orner notre couverture sont Marjo, Plume, Michel Rivard et Bundöck. Pour l’instant, rien de bien fou pour faire danser les bougalous. Mais on n’était pas au bout de nos surprises: on n’a qu’à penser au choc causé par le glorieux Tu m’aimes-tu, de Richard Desjardins. Aux débuts des Colocs, qui montent régulièrement sur les planches du Grand Café de la rue Saint-Denis, que l’on consacre rapidement "meilleur groupe de party en ville" (dixit Patrick Marsolais dans son texte de 1993), et que l’on verra se transformer en incontournables, avant qu’ils ne disparaissent si tragiquement. À Jean Leloup, qui s’éclate aux Foufounes avant de s’imposer dans tout le Québec. Et à tous les autres Luc De Larochellière, Taches, Dédé Traké, ou Possession Simple, qui, malgré ses deux apparitions en page couverture, n’obtiendra jamais la reconnaissance publique. Car même si elle ne gagne pas la faveur populaire, il existe une scène underground qui bouillonne depuis toujours à Montréal. En 1987, Les Nerfs, gagnants du regretté concours Rock Envol, apparaissent sur notre couverture avec le titre: "Pognez-les". Lorsqu’on constate l’anonymat absolu dans lequel ce groupe est demeuré, on en conclut que peu de lecteurs ont suivi nos conseils.

Mais ils sont nombreux à attendre leur tour et nous sommes tout aussi impatients de vous en parler. Dès ses débuts, Voir s’est passionné pour la production locale indépendante. Au début des années 90, une mini-chronique appelée En scène! fait son apparition dans les pages du journal, permettant à votre humble serviteur de faire ses (très modestes) premières armes. Puis, Patrick Marsolais et Eric Parazelli (qui tient toujours le fort à ce jour) consacreront une véritable chronique aux musiques émergentes montréalaises. En marge des groupes plus pop comme Vilain Pingouin, Laymen Twaist, Rude Luck ou autres, de véritables héros de l’underground feront le grand saut en couverture: Groovy Aardvark, Grim Skunk, Voïvod, Overbass, Cryptopsy, Banlieue Rouge et tant d’autres seront traités sur un pied d’égalité avec les artistes étrangers.

Dans les années 90, l’éclatement des genres se fait sentir: des French B. à Dubmatique, de Voïvod à Bran Van, les nouveaux genres musicaux commencent à frapper le Québec. C’est la naissance d’un Québec protéiforme, multilingue et transculturel. Ce n’est pas pour rien que nous avons consacré l’une de nos pages couvertures à la scène world beat montréalaise, qui commence même à se faire reconnaître ailleurs dans le monde avec des gens comme Lhasa de Sela ou Lilison Cordeiro. La nouvelle vague issue du brassage des nouveaux genres musicaux est incarnée par des artistes comme Bran Van 3000, Ramasutra, DJ Maüs, Freeworm, Kid Koala ou Loco Locass; mais, parallèlement à cette mondialisation culturelle, on assiste au renouveau d’une certaine forme de québécité avec les Mara Tremblay, Fred Fortin, WD-40 et Urbain Desbois.

Où en est-on aujourd’hui? Plus que jamais, les productions québécoises sont exportables et exportées, respectables et respectées. Dans la presse étrangère, on croise les noms de Godspeed You Black Emperor, Muzion, Fred Everything, Misstress Barbara, Jorane, Akufen, David Kristian, Rufus Wainwright, Les Jardiniers, Daniel Boucher, Bran Van 3000, Mercan Dede, Lhasa, Fly Pan Am, Jérôme Minière, Kid Koala ou Caféïne, qui témoignent bien de l’ampleur et de la diversité de la production locale. Alors rassurez-vous, bonnes gens, la musique québécoise de 2001 se porte plutôt bien, merci. Et l’on ne vous parle pas de celle qui se retrouve dans les pages de Paris Match ou sur les plateaux de Michel Drucker, mais de celle qu’on vous fait découvrir avec plaisir chaque semaine.

1-Richard Desjardins pour Tu m’aimes-tu (10 janvier 1991)
Photo: Jean-François Leblanc / Agence Stock
2-Grimskunk pour la tournée de leur 2e album (9 mai 1996)
Photo: Yves Renaud3-Jean Leloup pour Le Dôme (14 novembre 1996)
Photo: Jean-François Bérubé
4-Bran Van 3000 pour leur 1re tournée (22 janvier 1998)
Photo: James Smolka
5-Freeworm pour le 10e anniversaire du CISM (15 mars 2000)
Photo: Tshi