15 ans de politique

15 ans de politique

À l’automne 1986, les Québécois mesuraient l’importance des conditions minimales imposées par le premier ministre libéral de l’époque, Robert Bourassa, pour réintégrer la Constitution canadienne. Dans l’honneur et l’enthousiasme, il va sans dire. Nominations de juges québécois à la Cour suprême; reconnaissance dans la Constitution du caractère distinct du Québec; limitation du pouvoir de dépenser du fédéral; droit de veto… Le renouvellement du fédéralisme était enclenché.

Voici que, 15 ans plus tard, le Parti libéral du Québec vient de se doter d’un tout nouveau programme constitutionnel: reconnaissance dans la Constitution du caractère, non plus distinct, mais dorénavant spécifique du Québec, limitation du pouvoir de dépenser du fédéral, les juges, le droit de veto… Le renouvellement du fédéralisme est à nouveau enclenché, nous menace Jean Charest.

Il y a 15 ans, les péquistes se déchiraient pour savoir s’ils devaient poser une autre question que celle de la souveraineté. En 2001, les péquistes se chamaillent autour d’un hypothétique et très sexy référendum sur le rapatriement des points d’impôts…

Que de chemin parcouru en 15 ans! La maxime dit que ça va comme c’est mené; à juger par la vitesse de croisière qu’a atteinte l’immobilisme en politique, c’est à croire que ce n’est pas mené du tout. Pas étonnant que la grogne populaire envers les politiciens et la politique en général se soit transformée d’abord en cynisme, puis en désaffection. Oh! Les gens vont toujours voter en grand nombre. Le référendum de 1995 a battu à peu près tous les records occidentaux avec un taux de participation de 95 %!

Sauf qu’avec le temps, l’adhésion s’est érodée, les convictions, éteintes. En 1986, on voyait poindre déjà le clientélisme des partis politiques. Aujourd’hui, il est parfaitement accompli. La gauche est morte. La droite est morte. La social-démocratie est morte. Le tatchérisme est mort. Le Québec n’est mené que par intérêts. Nos gouvernements ne gèrent que des intérêts.

La fracture entre le politique et la société s’élargit chaque jour. Parce que chaque jour, le peuple avance, progresse. Le politique, lui, fait du surplace. Des exemples:

– Depuis 1986, les Québécois et les Canadiens sont passés d’une intolérance envers les drogues douces à une acceptation presque totale. Les lois sont demeurées les mêmes, toujours aussi répressives.

– En 1986, les Québécois étaient majoritairement contre les mariages et les avantages sociaux pour les conjoints de même sexe. Aujourd’hui, les gais et lesbiennes ont leur aval. Mais toujours pas celui de l’État, d’une prudence excessive sur ces questions.

– Les Québécois veulent depuis des lustres un système électoral qui représenterait plus justement la volonté populaire. En 2001, on vient de relancer pour une énième fois le débat, et pour une énième fois, le gouvernement dit en prendre note.

– En 1986, cela faisait déjà plus de 15 ans que les Québécois avaient déserté l’Église, mais il a fallu attendre la toute fin du siècle pour que les gouvernements fédéral et provincial procèdent à la déconfessionnalisation des commissions scolaires.

– En 15 ans, les Québécois sont passés de frileux à confiants. Jamais ils n’ont eu confiance en leur destinée. Mais les péquistes croient toujours à la disparition de la nation québécoise s’il n’y a pas de souveraineté-association-partenariat-convergence-bruxello-européenne. Sa frange la plus militante nous brandit la menace de l’assimilation si on ne boute pas dehors l’anglais. Pendant ce temps, jamais les Québécois n’ont été autant bilingues, un sur deux dans la population active.

Jacques Parizeau prétendait que les politiciens pouvaient marcher et mâcher de la gomme en même temps. Il avait tort. Pendant tout le régime libéral de 1985-1994, puis de Parizeau de 1994 à 1996, le gouvernement s’est appliqué à résoudre la question nationale. Meech, Meech moins, Charlottetown, Bélanger-Campeau, Allaire, Le Hir, Spicer: des rapports, des accords aujourd’hui oubliés dans les limbes…

Pendant ce temps, les affaires de l’État sont parties à la dérive. En 1996, on s’est tous réveillés avec un gouvernement en faillite technique, où sur chaque dollar qu’il extorquait des poches de ses contribuables, presque 50 cents allaient directement dans les poches des banquiers internationaux, juste pour payer les intérêts! Et on s’endettait même pour les payer, ces intérêts. L’économie du Québec était complètement dévastée par la pire récession en 50 ans.

Pendant que les politiciens québécois et canadiens bataillaient pour savoir qui déterminerait lesquels, de "leurs" bureaucrates ou de "nos" bureaucrates, géreraient nos chômeurs, ces derniers ont frôlé le million, au mitan de la décennie. Avec autant d’exclus, ils ne seraient plus trop de bureaucrates pour la gestion de crise. Il y avait finalement de la place pour tout le monde…

1- Jacques Parizeau (12 mai 1988) Photo: Jean-François Bérubé
2- Jean Doré et les deux ans du RCM (24 novembre 1988)
Photo: Jean-François Bérubé
3- La question de la langue (22 décembre 1988) Illustration: Éric Godin
4- Pour un Québec indépendant (21 juin 1990) Illustration: Éric Godin
5- Les 20 ans d’Octobre (4 octobre 1990) Photo: Canapress