Cirque : La grand saut

Cirque : La grand saut

Témoins privilégiés de l’art du cirque québécois, Charles-Mathieu Brunelle, vice-président exécutif et directeur général de la Tohu, Isabelle Chassé, saltimbanque du cirque Les 7 doigts de la main et Marc Lalonde, directeur général de l’École nationale de cirque, ont été réunis par Marie-Claude Marsolais, collaboratrice à Voir, autour d’une table ronde virtuelle sur le cirque d’ici.

Que voulait dire l’art du cirque il y a 20 ans?

Charles-Mathieu Brunelle: "Ça voulait dire essentiellement les arts de la rue, qui ont graduellement évolué jusqu’à ce qu’on connaît aujourd’hui des arts du cirque. Il y a 20 ans, le Cirque du Soleil avait deux ans, l’École nationale de cirque en avait cinq. C’étaient les premières étincelles."

Marc Lalonde: "Tout ce que les gens connaissaient du cirque, c’étaient les spectacles annuels de l’École nationale de cirque mis en scène par Guy Caron. Il y avait aussi les premiers shows du Cirque du Soleil, également mis en scène par Caron. C’était une esthétique "générale" et on ressentait très peu l’influence des autres pays."

Isabelle Chassé: "Disons plutôt qu’il y a 30 ans, c’était un art qui était essoufflé, en déclin. L’ère de la femme à barbe était révolue et les animaux, on allait les voir dans les zoos. Je ne sais pas ce qui s’est passé ensuite, mais depuis 20 ans il est clair que grâce à l’École nationale de cirque et au Cirque du Soleil, les arts du cirque ont pris un essor flamboyant."

Comment expliquez-vous cet essor du cirque au Québec?

Charles-Mathieu Brunelle: «C’est insensé que le Conseil des arts de Montréal ne reconnaisse pas le cirque comme une forme d’art.»

I.C.: "L’École nationale de cirque a démocratisé cet art. Enfin, ce n’était plus que de famille en famille que l’on enseignait la tradition des prouesses circassiennes. M. et Mme tout le monde pouvaient maintenant apprendre à faire du cirque."

M.L.: "Cette expansion est très liée aux premiers succès du Cirque du Soleil, mais aussi à l’École nationale de cirque. On y a formé plusieurs des premiers artistes du Cirque du Soleil et pas mal tous les artistes des compagnies qui ont suivi. Aussi bien des artistes que des metteurs en scène ont fait leurs premières armes à l’École."

C.M.B.: "Je crois qu’à l’apogée de la fin des années 70, il y avait une tendance au métissage. En même temps que le cirque progressait comme forme d’art, progressaient le multidisciplinaire et l’interdisciplinaire. Bref, il y avait plein de rencontres de différentes formes d’art."

L’art du cirque, ce vieil art réinventé, se renouvelle-t-il d’une manière particulière au Québec? Si oui, en quoi?

C.M.B.: "Puisque le cirque est la rencontre de plusieurs formes d’art, il se renouvelle par cela. Au Québec on a des créateurs de très haut niveau dans toutes les disciplines des arts de la scène et des arts visuels. Ils contribuent au renouvellement des arts du cirque."

I.C.: "Aujourd’hui, on commence à faire du cirque d’auteur. On crée des pièces qui sont vraiment inspirées des gens sur la scène. Par exemple, dans nos spectacles on appelle les protagonistes par leurs véritables prénoms. C’est inspiré de nos vies, c’est quelque chose de vraiment plus humain et terre à terre qu’il y a une quinzaine d’années, où c’était beaucoup plus féerique et fantastique."

Isabelle Chassé: «Tu as toujours besoin de quelqu’un pour te monter sur ton trapèze, pour te lancer dans les airs. Ce sentiment de confrérie et d’entraide, il est hyper présent dans le monde du cirque.»
photo: Sarah Koska

M.L.: "Le cirque s’est toujours renouvelé. Je pense qu’il se renouvelle encore beaucoup et qu’il est appelé à se renouveler encore plus. Ici au Québec, notre style dominant, c’est ce qu’on voit au Cirque du Soleil. Nous avons peut-être une moins grande diversité de style parce que celui que l’on a créé a eu un succès énorme. Cela a conditionné l’attente des gens."

À part les spectacles à grand déploiement, le cirque n’est pas un art qui est couvert en profondeur par la presse. L’art circassien est-il reconnu à sa juste valeur par les médias?

I.C.: "L’intérêt des médias est là, mais ce qui manque, ce sont des journalistes et des critiques férus des arts du cirque. Des gens qui s’y connaissent vraiment, qui peuvent comparer les oeuvres."

M.L.: "Les critiques peuvent éduquer le public afin qu’il comprenne davantage ce qu’est le cirque. Les critiques complaisantes n’aident pas à l’évolution d’une discipline; celles de journalistes qui ne connaissent pas cette discipline, ça n’aide pas non plus. On ne peut pas les blâmer, leurs références sont limitées. Notre discipline est encore jeune, et ça prendra du temps avant que les critiques ne la connaissent bien."

C.M.B.: "Les médias couvrent très bien le cirque. Le problème sur le plan de la reconnaissance est ailleurs. Par exemple, c’est insensé que le Conseil des arts de Montréal ne reconnaisse pas le cirque comme une forme d’art. Ils savent pourtant que c’est un des points forts de la ville de Montréal. C’est une insulte."

Quelles sont les raisons, selon vous, des associations qui existent entre les différents acteurs du cirque au Québec (La Tohu, le Cirque du Soleil et l’École nationale du Cirque)?

M.L.: "La discipline ayant été reconnue plus tardivement, c’est certain que nous avons eu l’occasion de travailler davantage en équipe pour nous faire reconnaître. Il y a peu de joueurs de la même taille, nous sommes donc moins dans une logique de compétition."

I.C.: "Une des forces du cirque en général, c’est cet esprit d’équipe. Le cirque ne se fait pas seul. Tu as toujours besoin de quelqu’un pour te monter sur ton trapèze, pour te lancer dans les airs. Ce sentiment de confrérie et d’entraide, il est hyper présent dans le monde du cirque. L’union fait la force et c’est inhérent aux arts du cirque."

C.M.B.: "Ce sont des organisations qui partagent des préoccupations. Elles s’assemblent pour développer le milieu. Elles se mettent en groupe pour créer une plate-forme. Elles unissent en effet leurs forces. Partager une solidarité, ce n’est pas perdre son identité."

En quoi le Cirque du Soleil, ou le cirque québécois en général, a-t-il influencé le cirque international?

Marc Lalonde: «Le fait que le Cirque du Soleil soit imité, pas toujours bien, mais tout de même imité, est la preuve de son influence.»
photo: Maxime Côté

C.M.B.: "Bien entendu, le précurseur du rayonnement du cirque québécois, c’est le Cirque du Soleil. Grâce à lui, le Québec est l’une des références mondiales du cirque contemporain. Le Québec est un coeur, dans le développement du cirque. Indéniablement il a une influence, un rayonnement international et un impact sur les publics. Il met la barre haut quant aux exigences du spectacle."

M.L.: "Il est peut-être trop tôt pour dire si les compagnies québécoises comme Eloize et les 7 doigts de la main ont une influence, même si elles ont du succès et qu’elles inspireront certainement les cirques d’ailleurs. Pour l’instant, la part du Cirque du Soleil dans l’art du cirque québécois est vraiment importante. Le fait que le Cirque du Soleil soit imité, pas toujours bien, mais tout de même imité, est la preuve de son influence."

I.C.: "Le Cirque du Soleil a influencé le public en général et le renouveau du cirque, qui est redevenu un art "populaire". Au Québec, on pousse vraiment pour épater les gens, mais on a aussi un propos. Nous marions la technique et l’artistique, plus qu’ailleurs dans le monde. C’est propre au cirque québécois et je crois que ça influence les autres compagnies."