ET LA DÉCENCE, BORDEL?
Le syndrome Oprah Winfrey / Claire Lamarche de vouloir tout révéler, de ne jamais rien cacher, nous fait constamment transgresser ce qu’on a déjà appelé la décence. (À ne pas confondre avec l’hypocrisie ou la pudibonderie.)
Benoit Dutrizac, 1997
JOURNÉE DES FEMMES: LES VRAIS ENJEUX
Il y a belle lurette qu’elle ne nous fait plus triper, la Journée internationale des femmes. D’ailleurs, sa seule évocation agace autant les féministes de carrière confortablement installées à l’université que celles qui, ignorantes de l’histoire de ce demi-siècle, confondent tout et clament bêtement que non, elles ne sont pas féministes. Sans compter toutes les autres…
Cette journée a un arrière-goût honteux de retour dans le temps: jupe en terre cuite, poncho chilien, poil aux pattes. Ça, c’est pour l’anecdote. Mais ce qu’elle charrie surtout, ce sont les idées peu exaltantes d’un certain féminisme revanchard, moralisateur et ghettoïsant. Un féminisme qui fait l’apologie de l’impuissance, qui met l’accent sur les victimes et qui finit par tuer dans l’oeuf toute velléité de "continuer le combat". Pas étonnant que les jeunes générations se désintéressent en masse de la question! Sont-elles si différentes de nous?
Geneviève Saint-Germain, 1998
LA PÉDOPHILIE EST-ELLE SOLUBLE DANS LA DÉMOCRATIE?
En réponse à la polémique engendrée par l’appel de Voir à créer un réseau de hackers anti-pédophiles.
Il y a de cela quelques années, en pleine guerre de l’ex-Yougoslavie, alors que j’habitais à Paris, j’avais lancé l’idée de la constitution d’un réseau de guerre cybernétique contre tout ce que l’humanité véhicule de crasse, de stupidité et d’ignorance. Quelle surprise de voir mes prédictions se réaliser, ici à Montréal, là où la vie et mes fictions m’ont fatalement entraîné!
Dans un système aussi outrageusement darwinien que le vôtre, il était inévitable que des initiatives comme celle de votre périodique surgissent. Elles sont, selon moi, les signes avant-coureurs d’une reprise en main de la morale par les citoyens eux-mêmes, qui, on le voit aujourd’hui aux USA, refusent à la fois le délire sectaire des chrétiens fondamentalistes, et le délire non moins sectaire des bourre-le-mou post-soixante-huitards.
Maurice G. Dantec, 1999
À COUPS DE RÈGLES
Saviez-vous que le Québec est à peu près le seul État de la francophonie où le français n’a pas été imposé à la majorité des gens? C’est vrai: pendant des années, des dizaines de pays (la France entière y comprise, si on excepte quelques villes et la grande région parisienne) n’ont eu de francophones que leurs élites, les diverses populations de ces pays s’exprimant plutôt dans des langues nationales autres que le français. De l’histoire ancienne? Bien sûr. Les temps changent et le français s’est répandu par toutes sortes de moyens, notamment politiques. Il n’empêche que maintenant, cette langue régresse; et toute la problématique de sa promotion nécessaire prend racine dans cette réalité toute simple: historiquement, le français n’a jamais vraiment été une langue populaire. En effet, l’histoire du français comme langue du peuple reste encore à inventer. La langue française, "cette langue belle", est encore perçue aujourd’hui dans le monde entier comme une langue de salon qu’on articule à petites bouchées en tenant une coupe de vin cher entre le pouce et l’index. Les secteurs de la population qui pourraient contribuer à faire du français une langue populaire "parlent mal" et parleront toujours mal parce que le français est une langue qui aime la hiérarchie.
Michel Faubert, 1999
LA TROISIÈME GÉNUFLEXION
Il faut admirer leur foi, leur révérence et leur piété. Quand les délégués du PQ assistent à la messe, ils suivent leur Prions en Église comme des ouailles modèles. Voilà un parti qui fut déjà vivant, bigarré, intéressant, audacieux, un vrai parti, avec des idées et des débats, qui s’est transformé en oratoire. Le lieu de toutes les génuflexions. Mais il faut admettre qu’ils se sacrifient pour le Paradis. Cela mérite respect… si on croit au Paradis. Ils se mirent à genoux une première fois, fervents indépendantistes qu’ils sont tous, quand, effrayés par la crainte de perdre un référendum sur la création d’un pays, ils acceptèrent en juin 1995 de proposer une sorte de macramé qui nous donnerait deux pays, deux citoyennetés pour le même prix. Puis les stratèges jouèrent Bouchard qui parlait de partenariat, plutôt que Parizeau qui entretenait une fâcheuse tendance à la franchise. Les rigides militants, ceux qu’on délègue au Grand Congrès du PQ, ne dirent mot. Le Paradis était peut-être à leur portée. Ils s’agenouillèrent et prièrent.
Un grand parti s’est suicidé, pour mieux servir son Dieu. C’est triste et dangereux. On dirait qu’ils veulent nous faire l’indépendance et le Paradis, en silence, sans débats, durant la nuit, une panne d’électricité ou une crise du verglas. Sur la pointe des pieds, par la porte d’en arrière, comme des voleurs muets… mais pieux. Méfiez-vous des saints qui ne parlent pas et qui ne font que des génuflexions. Ce sont des statues.
Gil Courtemanche, 2000
L’ÉDUCATION AU QUÉBEC
J’ai des étudiantes qui viennent me voir dans mon bureau et qui me disent: "Monsieur, c’est correct si je manque l’école demain? Je me fais avorter." Je suis obligé de faire une gestion d’êtres humains et j’en ai 140 à gérer. C’est du personnel que ça prend!
On va pisser, au cégep, et devant chaque pissotière, il y a une annonce d’un commerçant. Comment se fait-il qu’on n’ait jamais pensé à mettre un contenu littéraire ou un message d’intérêt social sur ces affiches? Tu entres dans la cafétéria et tu vois un poster d’une fille à moitié nue. La prochaine étape, ça va être une bande rouge qui défilera dans les classes avec des annonces dessus! On est rendu là. On a complètement abandonné l’éducation…
Lucien Francoeur, 2004
SPEAK WHITE
Stephen Harper ne se soucie guère du français chez Air Canada? Tiens donc! Se rapproche-t-il soudainement de l’équipe Martin? De son vivant, Pierre Elliott Trudeau disait du Canada qu’il était un pays où chaque citoyenne et citoyen pouvait s’épanouir en français et en anglais, langues officielles selon la Constitution. Vision noble, certes. Néanmoins, très vite les francophones ont frappé un mur. Que des Canadiens et des Québécois soient unilingues chacun de leur côté, somme toute, cela ne me scandalise pas. Au 21e siècle, tout le monde devrait être bilingue, et même trilingue, mais tout un chacun dans son éducation se donne des priorités; l’apprentissage des langues devrait, selon moi, en être une, mais bon, c’est discutable! Par contre, j’ai été scandalisé le 20 juillet lors de l’assermentation de Paul Martin et de son équipe. Hormis Bill Graham, nouveau ministre de la Défense (notez que le précédent titulaire de ce poste, David Pratt, était unilingue anglophone) et quelques autres, les plus importants ministres hors Québec sont unilingues anglophones, ou du moins ne peuvent répondre en français aux questions du public. En tête: le Grand Banquier, Ralph Goodale. L’auteur du prochain budget du gouvernement fédéral ne peut même pas expliquer dans la deuxième plus importante langue canadienne ce qu’il compte faire des deniers publics, et pourquoi. Ni nous dire s’il nous en reste encore et, surtout, ce qu’il prévoit faire pour récupérer – s’il y tient, mais j’en doute! – "l’argent souillé" du scandale des commandites. Que ferions-nous, francophones ou anglophones, si notre banquier ne pouvait préciser clairement dans notre langue comment il compte administrer notre argent?…
François Roberge, 2004
LE PRINCE ET LES SBIRES
Les révélations de la commission Gomery comme celles des augmentations faramineuses de rémunération des dirigeants de compagnies devraient nous pousser non seulement à gueuler et dénoncer mais surtout à poser des gestes nécessaires à ce que les choses changent.
En fait, ces scandales relèvent de scénarios similaires: des commettants s’en mettent plein les poches pendant que la plèbe regarde ailleurs. Bien sûr, il y en a qui sont là pour dénoncer. Le contraire aurait été déprimant. Mais ce qui surprend, c’est de voir encore, comme si nous étions toujours une colonie, un prince qui justifie les privilèges de sa cour et même des sbires pour défendre l’indéfendable.
François Rebello, 2005
HALLOWEEN POLITIQUE
Le débat constitutionnel est revenu! C’est le zombie de la politique canadienne. On le croit mort et il sort de sa tombe pour nous courir après. Et on a beau courir à toute vitesse pour le fuir, dès qu’on se retourne, il est juste là derrière nous. Pourtant, on dirait qu’il n’avance pas, qu’il ne fait que se traîner en perdant des morceaux. Mais il est indestructible. Ce qu’il y a de nouveau, cette fois, c’est que c’est un libéral fédéral qui a ouvert le cercueil. De la part des conservateurs ou des néo-démocrates, on pouvait comprendre. C’était le nanane qu’ils acceptaient de donner pour percer au Québec. Mais que Michael Ignatieff sente le besoin de recourir à la même stratégie, ça en dit long sur l’état du Parti libéral du Canada au Québec.
François Parenteau, 2006
OUSSAMA BEN BOISCLAIR
Une fois pour toutes, ce n’est pas parce que les Québécois se montrent sensibles aux malheurs des civils libanais qu’ils sont antisémites. Ce n’est pas malsain de critiquer un gouvernement qui perd tout sens de la mesure, c’est un devoir. Un devoir qui incombait notamment au Canada du temps de Pearson et de Trudeau. Un devoir qui échoit maintenant au Québec, minuscule et désormais unique contrepoids à l’hégémonie de la pensée anglo-saxonne en Amérique.
Madame Kay, vous prétendez redouter l’émergence d’une république totalitaire et obscurantiste au Québec. N’ayez crainte, la nuance se porte très bien ici. Par contre, à votre place, je m’inquiéterais davantage de la vassalité inconditionnelle du Canada à l’Empire états-unien. C’est que le bigot W n’est pas réputé pour la subtilité de sa gouvernance.
Un conseil en terminant. Vous cherchez des terroristes? Commencez donc par nettoyer votre cour. Aux dernières nouvelles, c’est à Toronto que se terrait la terreur.
Biz de Loco Locass, 2006