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«J’veux aller en rappel, fais-tu ça, toi, des rappels»

Après une condamnation devant un tribunal, on a l’occasion de porter ou non la décision en appel.

L’appel, au Québec, au Canada, en Common Law, n’est pas un nouveau procès.  L’appel, c’est le procès du procès.  Alors qu’en première instance, c’est l’individu qui était jugé; en appel, on juge son procès.

L’appel n’est pas automatique, ce n’est pas une étape de la procédure, c’est la révision faite par le plus haut tribunal de la province, ici la Cour d’appel du Québec, la C.A.Q.[1], du procès qui s’est tenu en première instance, c’est-à-dire devant la Cour municipale, la Cour du Québec ou la Cour supérieure selon l’accusation ou le mode de poursuite.

Dans le cas d’un procès devant un juge seul, l’accusé peut se pourvoir en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès ou dans sa décision.  Dans ce cas, il va en appel directement, sans demander la permission à la Cour.  Il peut aussi porter sa cause en appel si le juge a commis des erreurs dans l’interprétation des faits, mais dans une telle situation, il faudra d’abord avoir obtenu de la Cour d’appel la permission d’être entendue par elle.

L’erreur de droit, c’est de mal interpréter, analyser ou appliquer un principe juridique comme en disant «La défense de troubles mentaux n’existe pas au Canada».  L’erreur de faits, c’est de se tromper dans l’interprétation de la preuve produite comme en disant «L’accusé avait un veston bleu» (alors que le veston était vert).

Dans le cas d’un procès devant juge et jury, on peut aller en appel si le juge a commis des erreurs de droit au cours du procès (admission ou rejet d’un élément de preuve erronément, y compris une déclaration de l’accusé) ou encore s’il a commis des erreurs de droit en donnant au jury ses directives.   À la limite, le juge pourrait aussi avoir commis des erreurs dans l’interprétation des faits en résumant la preuve au jury mais, dans la vraie vie, les avocats interviendraient et  l’erreur serait corrigée sur le champ si bien qu’habituellement, l’appel d’un procès devant jury ne porte que sur des questions de droit et que la permission de la Cour n’est pas nécessaire.

On peut aussi, enfin théoriquement, se pourvoir en appel contre la décision d’un jury au motif que cette décision est déraisonnable.  Mais il faut pour cela que la décision n’ait aucun sens.  Quelle soit illogique compte tenu de la preuve produite.  C’est une voie d’accès à la Cour d’appel qu’on utilise rarement, et qui réussit encore plus rarement.

Enfin, lorsqu’on veut en appeler d’une sentence imposée, parce qu’on la juge trop sévère, il faut toujours recevoir d’abord la permission de la Cour.

Dans presque tous les cas, car il y a des exceptions, on demande une permission à un juge seul, mais l’appel au fond, c’est-à-dire l’appel réel, une fois la permission obtenue, est plaidé devant trois juges.

Il n’y a pas de témoin en appel.  Pas de preuve produite.  Encore une fois, c’est le procès du procès, alors seul le dossier de première instance est analysé par la Cour.

L’appel devant la Cour suprême du Canada nécessite toujours la permission (qui se fait uniquement par écrit et dont la décision -non motivée- est rendue par trois juges).  Une fois la permission accordée, l’appel devant la Cour suprême du Canada est entendu par cinq, sept ou neuf juges.

 

Automatique, l’appel, à la suite d’une condamnation pour meurtre?

Automatique dans le sens où la permission de la Cour ne sera pas requise, puisque l’appel portera sur des questions de droit.   On parle alors d’un appel de plein droit.

Dans les minutes suivant le verdict dans l’affaire Shafia, on a entendu qu’il y aurait appel.  Je ne sais pas si je suis puriste, ou hypocrite de m’offusquer devant une lapalissade, mais ça m’agace.  Cette annonce avant même d’avoir réécouté les directives, avant même d’avoir consulté le client, avant même d’avoir repris son souffle.

Certes, on n’a pas besoin de reprendre son souffle pendant 3 mois, et on a le devoir, pour préserver les droits du client, de rédiger un avis d’appel dans les 30 jours du verdict.

Il est vrai que la condamnation pour un meurtre au premier degré amène la sentence la plus grave et qu’on ne perd à rien de tenter sa chance en appel…

Mais il reste que l’appel n’est pas une fiesta.  C’est sérieux.  Et comme avocat, en lisant des directives, on sait bien si on a quelque chance de réussite ou si notre appel serait une perte de temps pour nous, pour la Cour, et un espoir vain pour l’accusé.

Tout ça pour dire que ça me tombe un peu sur les nerfs d,entendre ces jours-ci que l’appel est systématique à l’encontre d’une condamnation pour meurtre.  Quasiment systématique, je veux bien m’incliner, mais de dire que ça va de soit, qu’on ne perd rien d’essayer, « qu’un gars s’essaye », advienne que pourra…  Ça m’agace.  C’est la Cour d’appel, pas un jeu de hasard.

 

 

 

 


[1] Est-il encore temps pour le parti de François Legault de changer de nom?