La Commission des services juridiques du Québec, après avoir refusé, pour des motifs saugrenus, d’appliquer le nouveau tarif d’aide juridique pour les méga procès dans un méga procès de Chicoutimi, s’est donné pour mission de trouver des avocats à ces accusés, puisque ceux qui les représentaient jusqu’alors ne pouvaient pas raisonnablement œuvrer gratuitement.
Ces nouveaux avocats, dénichés par l’État poursuivant, devaient se présenter à la Cour le 23 février dernier afin de rencontrer leurs nouveaux clients.
Or, ils n’y étaient pas, sauf quelques employés de l’aide juridique.
Le responsable de la Commission des services juridiques s’est alors affairé à pointer les accusés et à leur annoncer qui serait leur nouvel avocat, ou alors à les sommer d’en choisir un.
♦
Il faut comprendre qu’avant, dans une cause criminelle d’envergure qui implique des accusations multiples dans un contexte de criminalité de groupe, le tribunal devait ordonner à l’État de négocier avec les avocats des accusés des honoraires supérieurs à ceux de l’aide juridique qui sont insatisfaisants pour ce type de dossier. Cette procédure, et les jugements qui s’ensuivaient, faisaient hurler la population qui considérait que les avocats des méchants étaient trop bien payés. Ça été le cas, entre autres, après les deux procès qui ont découlé de l’Opération policière Printemps 2001.
Puisque les méga procès sont très nombreux depuis quelques années, et puisque les deniers publics doivent être engagés avec parcimonie, une nouvelle Loi a été adoptée en 2011 en vue de baliser les honoraires des avocats qui pratiquent dans ces dossiers de longue haleine. C’est en vertu de cette nouvelle Loi que les avocats sont rémunérés dans le célèbre projet SharQc, entre autres. Les dispositions pertinentes de la Loi peuvent être lues ici. Je suis d’avis que, pour l’instant, en fonction des procès d’envergure qui se tiennent ou vont de tenir au Québec dans un avenir rapproché, cette nouvelle Loi, ces nouvelles balises d’honoraires, sont satisfaisantes et assurent une représentation adéquate des accusés.
Sauf que la Commission des services juridique refuse l’application de cette nouvelle loi, sans raison valable, ou enfin, pour des motifs incongrus. C’est que les employés de la Commission des services juridiques n’ont peut-être pas une idée juste de ce qu’est une cause complexe et de ce qu’implique un procès d’écoute électronique impliquant des accusations de complot. En effet, la Commission des services juridiques semble penser que ce sont les accusations de gangstérisme qui rendent une cause criminelle complexe, alors que les aspects d’un procès qui demandent le plus de travail et de compétences spécifiques sont l’écoute électronique et les accusations de complot. Évidemment, le volume de la preuve accumulée et divulguée, sans rendre une cause plus compliquée, peut grandement alourdir l’ampleur de la tâche. On parle de 30 giga-octets de preuve dans le dossier Pastille qui fait l’objet de ce billet.
♦
Revenons donc à ce projet Pastille dans lequel on impose aux accusés des avocats qu’ils n’ont pas choisis et dont ils ne veulent pas. Pour l’instant. Peut-être qu’une relation de confiance pourra s’établir. Peut-être que les avocats choisis par l’État auront-ils une expérience certaine pour piloter des requêtes en exclusion de la preuve et pour analyser les actes manifestes des co-conspirateurs. Peut-être sauront-ils s’objecter à la mise en preuve d’éléments non admissibles eu égard aux règles de Carter sur le complot. Peut-être pourront-ils et auront-ils le temps de regarder toute la preuve et surtout d’écouter toutes les conversations téléphoniques et de lire tous les textos saisis et divulgués. Rapidement, pour le peu de travail qui a déjà été fait dans ce dossier, on sait qu’il existe de la preuve disculpatoire pour certains. Encore faut-il la trouver dans le lot.
Chose certaine, les accusés, qui sont encore innocents s’il faut le rappeler, risquent tous la prison alors qu’ils ont été espionnés grâce à un mandat d’écoute électronique qui ne les visait pas pour la majorité d’entre eux. Chose certaine, en raison d’une décision «politique» administrative d’un organisme public, ces accusés ont perdu leurs avocats et n’ont eu d’autres choix que de piger dans le tas, ou de se faire imposer un avocat, comme me le raconte une accusée par courriel:
«Jai comme été prise au dépourvue je t’avoue et j’ajouterais même que j’ai par le fait même dû choisir ce fameux avocat…au hasard pour rester polie!».
L’État poursuivant, donc, choisit lui-même les avocats des accusés. Ça ne se passe pas en Ousbékistan. Ça se passe au Québec en 2012. Du bétail je vous dis. Mais plutôt que de leur apposer un numéro, on leur colle un avocat. Un avocat qui, étonnamment, peut se permettre de faire un dossier de si longue haleine à un tarif dérisoire, ou encore se permettre de laisser tomber toute sa pratique actuelle pour ne se consacrer qu’à cette cause pendant des mois. Quand on pense que quatre de ces avocats sont des employés de l’aide juridique, déjà surchargés de travail, c’est à n’y rien comprendre. Les avocats de pratique privée, pour leur part, pourraient très bien avoir décidé de prendre une cause pro bono… On peut être rendu là dans notre carrière. Mais habituellement, on choisit de défendre pro bono des clients sympathiques ou des causes sympathiques. Le trafic de stupéfiants, c’est rarement sympathique, même si le client peut l’être. Enfin… Ce qui importe, et qui choque, c’est que la partie qui accuse choisit l’avocat de celui qui est accusé. Comme si dans une procédure de divorce l’épouse demanderesse choisissait l’avocat de son mari défendeur.
Mais personne ne s’offusque. S’il fallait qu’en finale de la Coupe Stanley ce soit le coach de l’équipe adverse qui choisisse les joueurs du Canadien, on assisterait à une véritable levée de boucliers populaire. À des émeutes sanglantes même. Mais quand il s’agit de présomption d’innocence et du droit à un procès juste et équitable et à une défense pleine et entière, on est là, sans se soucier, avachis, impassibles, bovins.
Certes, les avocats sont présumés compétents, et sont présumés respecter leur Code de déontologie. Certes, les avocats qui acceptent d’agir dans une cause complexe sont présumés avoir l’expérience requise en la matière complexe.
Serait-il alors trop demander à ces nouveaux avocats de prendre au moins la peine de contacter leurs nouveaux clients… Ils semblent tous bien inquiets de ce qui adviendra de leur liberté.