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Prostitution décriminalisée

 

La Cour d’appel de l’Ontario vient de confirmer en quasi totalité la décision de la juge Himel de la Cour supérieure sur la décriminalisation de la prostitution et des maisons closes.

Le Parlement a donc un an pour modifier sa législation afin de la rendre conforme au droit nouveau.

En septembre 2010, je commentais la décision de la juge Himel.  Mon opinion de jadis s’applique mutatis mutandis à cet arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario:

 

 

 

 

La juge Susan Himel commence ainsi son rigoureux jugement* :  «  The only consensus that exists is that there is no consensus on that issue ».

On parle évidemment de la décriminalisation des infractions relatives à la prostitution adulte.  Il s’agit de crimes prévus au Code criminel canadien et liés à la tenue de maisons de débauche (art. 210), au proxénétisme (art. 212), et à la sollicitation aux fins de prostitution (art. 213).  L’acte de prostitution, en-soi, n’est pas un crime.

Sur la question du proxénétisme, la juge Himel a uniquement invalidé l’article 210 (1) j) (vivre des fruits de la prostitution) mais elle a maintenu l’interdiction d’inciter ou de tenter d’inciter une personne à se prostituer, au Canada ou à l’étranger.

La juge Himel ne pensait pas avoir si bien dit en parlant d’emblée de l’absence de consensus.  Seulement quelques heures après le prononcé de sa décision, la Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle publiait sur son site un communiqué signé par cinq organismes de promotion des droits des femmes ou de victimes d’agressions sexuelles.

Avec respect, il m’apparaît que les groupes de femmes outrés par ce jugement sont méprisants envers…  les femmes. 

La décriminalisation de la prostitution est réclamée par les travailleuses du sexe et par les groupes de femmes œuvrant auprès d’elles et militant pour leur sécurité, leur dignité et leur liberté.  Le groupe Stella, entre autres, et certainement le SPOC ( «Sex professional of Canada» ) crient victoire.

Bref, la décriminalisation de la prostitution est réclamée par les femmes concernées par la prostitution.  Il me semble présomptueux, et irrespectueux, de faire fi des batailles menées par ces femmes pour scander un discours à l’opposé de ce que réclament les premières concernées.

  

Car le postulat selon lequel le rapport client/prostituée est un rapport d’avilissement est déconstruit par les travailleuses du sexe et par les groupes qui les représentent.  À mon sens, c’est un postulat dévalorisant, moralisant, qui n’a pas d’ancrage dans la réalité des femmes qui  font un travail lié au marchandage de services sexuels, sans quoi elles l’endosseraient.

Si les principales intéressées ne se sentent pas en situation d’asservissement lorsqu’elles travaillent dans des conditions sécuritaires…  Qui sommes-nous pour prétendre que oui, elles sont avilies?  Pourquoi dénigrer les demandes de femmes qui elles-mêmes réclament simplement plus de contrôle sur leur corps et leur vie?  Pourquoi faire comme si les travailleuses du sexe n’avaient pas droit de parole, de croyance, de conviction?  Ou encore comme si leur pensée et leurs demandes ne valaient rien?

Le jugement Himel est excessivement minutieux et selon moi implacable**. De nombreuses études, de nombreux experts, venant de nombreux pays, soutiennent la décision qui se résume ainsi grossièrement :  dans un contexte de décriminalisation, les prostituées se sentent en sécurité et sont moins violentées.

Ceci est non seulement conforme aux résultats observés après décriminalisation dans plusieurs pays, mais c’est conforme au témoignage des trois requérantes ainsi qu’aux dizaines d’affidavits de travailleuses du sexe déposés en preuve au dossier de la Cour.  La requérante Terri Jean Bedford explique clairement que le travail d’escorte bien géré rime avec respect, sécurité et dignité, qu’on le veuille ou non.

Pourquoi décriminaliser l’agence d’escortes?  Parce que c’est à l’intérieur que les femmes sont en sécurité.  Pas dans les ruelles, sous les ponts, au milieu de terrains vagues ni dans les voitures.  Les études démontrent qu’elles sont d’autant plus en sécurité  et «maîtresse à bord» si c’est le client qui se déplace.

Pourquoi décriminaliser le proxénétisme?  Parce que les femmes veulent diriger leur propre agence d’escortes, parce que certaines jugent nécessaire d’avoir un patron ou un patronne, un employé à appeler en cas de problème, un chauffeur lorsqu’elles doivent se déplacer.  Ce sont autant d’acteurs qui risquent des accusations de proxénétisme.

C’est aussi simple que ça.  Dans l’ordre des priorités, la sécurité des femmes doit avoir préséance sur les apparences pour le voisinage et sur la perception moralisante de certains groupes «féministes» qui laissent entendre que les travailleuses du sexe sont des poules écervelées, asservies concrètement et symboliquement sans s’en rendre compte. 

Tous ces groupes veulent le bien des femmes, sans doute, mais quand une femme affirme être travailleuse du sexe par choix, il est irrespectueux de prétendre qu’elle ne sait pas ce qu’elle dit.  Et ce qu’elle dit, c’est qu’il faut décriminaliser.

* Bedford v. Canada, 2010 ONSC 4264

** Sauf peut-être sur la question du Stare Decisis mais c’est une autre histoire.

 

L’essai de Marie-Pierre Boucher, Sexe Inc., est en partie inspiré de la décision de la juge Himel dans Bedford.  Il est publié chez Poètes de Brousse, dans la collection Essai libre,