Ce n’est une surprise pour personne, les policiers sont investis de pouvoirs de détention et d’arrestation[1]. Ces pouvoirs sont toutefois encadrés par le Code criminel et par la Charte canadienne des droits et libertés.
Depuis quelque temps, depuis ces temps tumultueux que nous vivons, quiconque se plaint d’une arrestation ou d’une détention arbitraire se fait brandir l’article 31 du Code criminel canadien.
Comme des magiciens sortant le lapin de leur chapeau, les supporteurs des forces de l’ordre croient avoir trouvé la justification irréfragable de tous les comportements policiers prima facie injustifiés (je n’ai pas dit injustifiables. Chaque cas est un cas d’espèce). Je pense ici surtout aux arrestations à l’Île Ste-Hélène le week-end du Grand-Prix de Formule 1 et aux arrestations massives dans les autobus qui revenaient de Victoriaville)
ARRESTATIONS PRÉVENTIVES
Puisque le concept d’arrestation préventive n’existe pas en droit canadien, les policiers ont invoqué l’article 31 du Code criminel au moment de procéder à l’arrestation d’une foule de personnes à l’île Ste-Hélène. Je tiens cette information du récit d’une arrestation publié sur le site du Comité opposé à la brutalité policière.
Le Directeur du SPVM, Monsieur Marc Parent, a aussi référé à l’article 31 pour justifier ce qui a été nouvellement qualifié «d’arrestations préventives» lors d’un point de presse visant à expliquer les 130 arrestations effectuées lors de ce week-end du Grand-Prix.
Il est bien étonnant, pour une criminaliste, d’entendre des policiers s’autoriser de cet article 31, un article somme toute peu utile, peu utilisé, et peu intéressant, alors que c’est réellement l’article 495 (1) du Code qui régit les arrestations sans mandat.
LE DÉSORMAIS CÉLÈBRE ARTICLE 31 DU CODE CRIMINEL CANADIEN
Si l’article 31 du Code criminel –qui a, en quelque sorte, codifié des pouvoirs de Common Law que possèdent les policiers depuis la nuit des temps- permet l’arrestation de citoyens par des policiers lorsqu’ils sont témoins de violation de la paix, cet article n’autorise pas l’arrestation pour des violations de la paix appréhendées ou suspectées. C’est l’arrêt Brown c. Durham Regional Police Force rendu en 1998 par la Cour d’appel de l’Ontario.
Les policiers doivent toujours avoir des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction vient d’être commise, est en train de se commettre ou va se commettre imminemment pour arrêter un citoyen sans mandat.
L’article 31 ne change rien à cette règle fondamentale qui est à la base de notre État de droit.
Toujours suivant Brown c. Durham, la seule violation de la paix appréhendée permettant aux policiers d’arrêter les gens est donc celle qui repose sur des motifs raisonnables et probables de croire que cette violation de la paix est imminente. On revient donc aux pouvoirs d’arrestation sans mandat et à l’article 495 (1) dès lors qu’il est question d’une infraction appréhendée.
Mais quelle infraction? Quelle violation de la paix? Le policier doit le savoir, et en informer la personne qu’il arrête. Car la Charte prévoit aussi qu’une personne arrêtée doit être informée sans délais des motifs de son arrestation. De même que le policier ne peut se contenter de dire «Je vous arrête pour un crime», il ne peut se contenter de dire «Je vous arrête pour une violation de la paix appréhendée».
Ceci est tellement vrai que l’article 495 (1) b) interdit aux policiers de procéder sans mandat à l’arrestation d’une personne pour une infraction sommaire, à moins qu’il s’agisse de flagrant délit. L’arrestation pour une violation de la paix appréhendée est donc possible, conformément à l’article 31, uniquement si le policier a des motifs raisonnables et probables de croire qu’une infraction précise va se commettre incessamment, et cette infraction doit être un acte criminel et non une infraction sommaire.
De simples soupçons, un sentiment, une suspicion, une intuition, des conjectures, une possibilité, ne sont pas suffisants. Lorsque le SPVM informe la population, via son compte Twitter, que les personnes arrêtées sont celles qui ont un comportement suspect, il erre en droit et avoue, du coup, avoir commis des arrestations arbitraires.
MOTIFS RAISONNABLES ET PROBABLES PERMETTANT L’ARRESTATION
Que signifie le concept juridique de «motifs raisonnables et probables»? Il signifie «des motifs objectivement justifiables, c’est-à-dire qu’une personne se trouvant à la place de l’agent de police doit pouvoir conclure qu’il y avait effectivement des motifs raisonnables et probables de procéder à l’arrestation»[2].
LA DÉTENTION AUX FINS D’ENQUÊTE
Le seul amenuisement légal de cette règle, c’est la «détention aux fins d’enquête», détention lors de laquelle les critères des «motifs raisonnables et probables de croire» qu’une infraction vient d’être commise, est en train de se commettre ou va se commettre, sont moins rigides. On a parlé de «motifs précis», de «soupçons raisonnables», de «cause probable», de «constellation de soupçons». On a surtout parlé «d’articulable cause» en anglais, mais dans tous les cas il s’agit de détenir temporairement une personne dans le cadre d’une enquête précise en lui indiquant précisément sur quel crime porte cette enquête et en quoi elle pourrait y être reliée.
Mais la détention aux fins d’enquête, comme n’importe quelle forme de détention, reste assujettie à la Charte, c’est-à-dire au droit fondamental de ne pas être arbitrairement détenu.
Ainsi, dans Mann, La Cour suprême explique que cette détention «doit être jugée raisonnablement nécessaire suivant une considération objective de l’ensemble des circonstances qui sont à la base de la conviction du policier qu’il existe un lien clair entre l’individu qui sera détenu et une infraction criminelle récente ou en cours»[3].
Aucunement question ici de détenir des gens au motif qu’ils sont peut-être sur le point d’aller chanter «La loi spéciale…» sur le site d’une activité sportive. Au surplus, lors d’une telle «détention aux fins d’enquête», le policier n’est pas justifié en toute circonstance de procéder à une fouille incidente [4]. Aucunement question non plus de fouiller le sac à dos de toute personne arborant le carré rouge sous prétexte qu’il contient peut-être un aérosol de peinture.
La règle est claire: Nul ne peut être détenu, arrêté, fouillé ou perquisitionné arbitrairement. C’est la Charte qui le prévoit et la Charte est la Loi suprême, elle a préséance sur toutes les autres règles de droit.
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Voir aussi le texte de Marie-Ève Sylvestre, professeures de droit à l’Université d’Ottawa, dans Le Devoir : Les arrestations préventives sont illégales et illégitimes.
Voir aussi le texte du précieux Moïse Marcoux-Chabot sur sa page Facebook: À propos des arrestations, détentions, et fouilles préventives.
(Promis juré je n’ai pas copié sur Moïse!)
[1] Les citoyens aussi d’ailleurs. Vous prenez quelqu’un en flagrant délit? Vous avez le droit de l’arrêter. C’est l’article 30 du Code criminel canadien.
Merci de publier ces précieuses informations.
Merci pour ces précieuses informations techniques, mais utiles.
J’espère que les juristes se manifesteront à nouveau, car on ne peut plus laisser le Québec dans une telle impasse dégradante.
Merci!
Est-ce vrai aussi que quelqu’un dont le sac aurait été fouillé arbitrairement et où il y aurait des éléments incriminants pourrait voir des accusations contre lui retirées parce que la fouille était illégale ou inappropriée?
Oui, ma ça devient compliqué pour un blogue. 😉
Une personne arrêtés pour possession de stupéfiants, par exemple, peut voir les éléments de preuve exclus lors de son procès s’ils ont été obtenus illégalement. C’est l’article 24(2) de la Charte.
C’est pas automatique non plus, le juge a une analyse en trois étapes à faire avant d’exclure la preuve.
Merci de la précision!
Bonjour,
Je vous incite à lire le jugement Asseraf (2011) pour un exemple d’exclusion de preuve suite à une fouille illégale et abusive.
Extrait:
Le fait que l’accusée ne se soit pas opposée à la fouille de son sac ne constitue pas un consentement à la fouille ni un renoncement à son droit garanti par l’article 8 de la Charte canadienne. […] Le policier a arrêté l’accusée sans aucun motif raisonnable et probable, sur la base d’une réglementation non applicable et parce que celle-ci a choisi de l’ignorer et de ne pas coopérer avec lui. […] De plus, l’incidence des violations sur les droits de l’accusée est sérieuse. Cette dernière a été arrêtée, menottée et fouillée pour être ensuite détenue presque quatre heures sans aucun motif valable. Sa liberté, sa sécurité et sa vie privée ont été en suspens parce qu’elle n’a pas répondu à l’interpellation d’un policier qui ne lui a donné aucun ordre et qui ne le détenait aucunement. On ne peut accepter qu’un citoyen puisse être arbitrairement arrêté parce qu’il ne désire pas interagir avec un policier. On ne peut accepter non plus qu’un policier se serve d’une réglementation quelconque pour forcer une fouille. […] Or, en l’espèce, dans l’optique du maintien à long terme de l’intégrité du système de justice et de la confiance à son égard, force est de conclure que l’utilisation de la preuve obtenue à la suite de l’arrestation arbitraire et de la fouille abusive déconsidérerait l’administration de la justice. […] Pour ces motifs, la preuve obtenue à la suite des violations des droits de l’accusée doit être exclue.»
https://www.facebook.com/notes/moisemarcouxchabot/exclusion-de-preuve-suite-a-une-fouille-egale-et-abusive/2844769657287
Merci au passage à Véronique Robert pour son lien vers mon autre article. Vos publications sont elles-mêmes fort précieuses.
Les détentions préventives pour silencer les Québécois, ce n’est pas depuis hier !
Camillien Houde, maire de Montréal, est interné dans un camp de concentration en Ontario
http://archives.radio-canada.ca/guerres_conflits/prisonniers_guerre/clips/4852/
Le soir du lundi 5 août 1940, à sa sortie de l’hôtel de ville, Camillien Houde est arrêté par des agents en civil de la Gendarmerie royale du Canada, emmené de nuit et confiné sans procès[réf. nécessaire] et en secret dans un camp de concentration à Petawawa, en Ontario, où on tentera de le briser psychologiquement. Détenu numéro 694, il est assigné à couper du bois. On ne lui permet pas de communiquer avec qui que ce soit à l’extérieur, ni sa famille, ni un avocat. Personne n’est informé de ce qui lui arrive ni du lieu où il se trouve. Aux élections municipales du 9 décembre 1940, en l’absence de Houde, Adhémar Raynault reprend le poste de maire de Montréal. À la fin de 1941, Houde est transféré dans un autre camp de détention, près de Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Là, on permettra occasionnellement à sa femme de venir le visiter. Ce n’est qu’après 16 mois de détention que sa femme est autorisée à le visiter, pour 30 minutes. Mais les humiliations ne cessent pas pour autant. On ne leur permet pas de se parler dans leur langue, le français, les geôliers ne les autorisant à se parler qu’en anglais, langue que Camillien Houde n’a appris que sur le tard et que sa femme connaît très peu.
Le ministre fédéral libéral de la Justice, Louis-Stephen St-Laurent (baptisé Louis-Étienne), déclare que la détention est un acte préventif et non punitif.
Lorsque, le soir du 16 août 1944, il arrive à la gare Windsor de Montréal, une foule de plusieurs dizaines de milliers de personnes, pleine d’émotion, est venue l’attendre et l’accueillir. Camillien Houde entre alors dans la légende.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Camillien_Houde
Quoi que Louis Saint-Laurent ait pu dire, Camilien Houde a été arrêté parce qu’il a enfreint la Loi sur la Mobilisation des Ressources Nationales qui obligeait tout ceux en âge de servir à l’effort de guerre de s’enregistrer. C’est après avoir encouragé les Québécois à ne pas s’enregistrer qu’il fut arrêté.
Effectivement et légalement Monsieur Sauvageau, vous avec raison, comme…
Trudeau et ses mesures de guerre
Vus du Canada anglais
http://www.septentrion.qc.ca/catalogue/Livre.asp?id=3483
Il y a un peu plus de quarante ans, le 16 octobre 1970, au milieu de la nuit, le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau imposait les mesures de guerre à la suite de l’enlèvement par le Front de libération du Québec (FLQ) de deux personnalités politiques. Par ce coup de force, la constitution et toutes les libertés civiles furent suspendues. Douze mille cinq cents soldats furent déployés au Québec, dont 7500 rien qu’à Montréal. Près de 500 personnes furent arrêtées sans mandat, sans accusation et sans avoir le droit de recourir à une assistance juridique. Plus de 10000 maisons furent fouillées sans autorisation.
Ce sont des exemples plus judicieux, à mon avis, que celui de Camilien Houde.
15 mai 2012, détention illégale de la SQ
Et ça c’est avant l’ère de la loi 78. Ça va être beau maintenant…
Autoroute 15 à Laval direction sud. En fait, je crois que c’était le jour des évènements de Lionel-Groulx.
http://www.youtube.com/watch?v=9TQy9FKKVaQ&feature=player_embedded
Sauf que, ce qui est inquiétant est que le politique génère actuellement de nouvelles lois et règlements rendant des infractions le fait d’être simplement présents dans des situations anodines qui sont censées être protégées par les chartes des droits et libertés.
À Québec, depuis le 19 juin 2012, tout groupe d’êtres humains («attroupement») après 23h, sur tout lieu public (incluant le trottoir), est en infraction à l’article 19.4 du règlement 1959 de Québec. La police pourrait donc arrêter tout «attroupement», après 23h, selon son bon jugement (aucun critère, définition ni condition sont nommés concernant cette interdiction).* On devine que cinq jeunes punks, après 23h, seraient ciblés, mais que cinq fêtards plus nantis seront libres. On devine que trois personnes, discutant sur le trottoir après une manifestation (transportant leurs pancartes), pourraient être interpellées, mais que trois personnes revenant d’un bar seront libres.
Jadis, manifester pacifiquement était un droit protégé, mais désormais les manifestations pacifiques sont arrêtées de manière massive. Il y a eu 7 arrestations massives à Québec, à date, même si les manifestations étaient 100% non violentes et sans la moindre casse (aucun vandalisme quelconque). S’ajoute à cela le climat politique où les chroniqueurs de Québecor et autres populistes décrivent les manifestations comme des actes sanguinaires et terroristes (j’exagère à peine).
La logique du droit disait qu’il y avait
a) le droit fondamental au rassemblement pacifique
versus b) l’émeute ou l’attroupement illégal.
Or, la loi 78 et le règlement Labeaume, entre autres, viennent contredire cette logique. La coutume disons juridique, où les lois et règlements devaient respecter des conditions en vertu des chartes des droits et libertés, ainsi que la coutume démocratique où la police tolérait les manifestations (sans jamais invoquer la loi 500.1 sur la sécurité routière), sont désormais du passé. J’espère que cette logique du droit au Québec va finir par être réaffirmée et protégée.
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* S’il vous plaît appuyer cette Page Facebook pour exprimer votre contestation de règlement bien spécial à Québec qui, à notre avis, viole les «tests juridiques» obligatoires à respecter lorsqu’un règlement limite une liberté fondamentale. Certains des articles donnent un pouvoir arbitraire extraordinaire…
https://www.facebook.com/couvrefeuQuebec
Vous oubliez de mentionner le Code de procédure pénal du Québec qui régit également les pouvoirs d’arrestation, de détention, de perquisition et d’identification des Policiers et autres personnes chargées de l’application de la Loi.
Ce n’était pas là mon propos et le Code de procédure pénal ne permet pas non plus des arrestations arbitraires.
Ce qui me fait craindre le plus, c’est le fait que maintenant, les forces de l’État en prennent large. « Ce n’est pas grave si c’est illégal, on aura détruit l’adversaire de l’État ». Mais une fois faite, quel recours reste-t-il aux individus qui ont reçu un châtiment illégal, si ce n’est celui de dépenser en plus pour des frais (comme en avocat, en stress, en temps), qui ne sont généralement jamais repayés entièrement, même avec gain de cause en cours au Canada. Donc, jamais ces policiers ne seront punis, suspendus, rétrogradé. Et comme ça prendra des années…ils auront en plus une retraite bien garnis, et des médailles, pour avoir battu des segments du peuple…
Un aveu d’ignorance! Le common law? j’ai toujours oui-dire que cela n’existait pas au Québec.!! Eclairez-moi.
Lors de la séparation des pouvoirs, nous avons gardé le droit civil dans la province.
En droit ciminel, nous sommes encore dans la tradition de la Common Law, et notre droit criminel est le même qu’au Canada et sensiblement le même que dans tous les pays de Common Law.
DICTATURE………..DICTATURE…………………………