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Ce qu’on peut dire sur Richard Bain

Il y a eu ce soir d’élections un attentat contre…  Contre qui ou contre quoi?  Une femme? Les femmes? Une première ministre? Contre une péquiste, contre les péquistes? Contre une francophone, contre les francophones?  Contre une indépendantiste, les indépendantistes?  Contre des gens, tout simplement?

Contre un homme assurément…

Page couverture de Châtelaine, édition spéciale de ce mois-ci

Il ne s’agit pas, en tous cas, d’une tentative d’attentat, comme je l’ai entendu dans certains médias.  Un attentat est une «agression criminelle contre une personne, une institution»[1].  Quand on est face à un mort, un blessé et un incendie, on ne peut pas parler de tentative d’agression.  Il y a eu attentat.

Mais il est trop tôt pour dire contre qui était dirigé cet attentat de Richard Bain même si tout porte à croire qu’il était dirigé contre Pauline Marois.  Parce qu’elle est indépendantiste, oui, mais aussi parce qu’elle est une femme.  Il est peut-être même vain de poser la question, puisqu’on ne le saura probablement jamais.  La Couronne, partie poursuivante, peut avoir une thèse à soumettre pour expliquer le geste, ce qu’on appelle un mobile, mais elle n’est jamais tenue de faire cette preuve  pour obtenir condamnation.  De son côté, l’accusé n’est jamais forcé de témoigner.

Il est donc possible que Richard Bain subisse un procès, soit condamné ou acquitté, sans que jamais nous n’ayons d’explications véritables sur ses motivations le soir du 4 septembre 2012.

Il est possible aussi que Richard Bain ait été fou au moment de commettre le pire.  Fou au sens juridique, j’entends.  Car le trouble mental au sens clinique n’est pas le trouble mental au sens juridique.  Un psychiatre, trois psychiatres, huit psychiatres peuvent diagnostiquer chez un accusé une maladie mentale sans qu’elle ne réponde à la définition légale du trouble mental.

Mais il ne faut pas non plus se laisser emporter par notre choc collectif récent : la maladie mentale donne rarement ouverture à un verdict de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, surtout au terme d’un procès, et surtout au terme d’un procès de meurtre. Lorsque quelqu’un est clairement malade, et qu’il était clairement absent ou moment du crime, habituellement, la poursuite et la défense s’entendent pour que cette personne soit soignée plutôt que punie.  C’est arrivé tout dernièrement à St-Romain, en Beauce.

Si Richard Bain était incapable de distinguer le bien du mal au moment du meurtre de Denis Blanchette, ou s’il était incapable de savoir ce qu’il était en train de faire, il deviendra inutile de savoir si son geste avait une portée symbolique puisqu’il aura été en plein délire.  Que ce soit du délire politique, ou religieux, le délire peut difficilement être assimilé à un discours idéologique.

Bref, nous ne savons rien non plus de son état d’esprit, et nous ne saurons rien avant le terme de son procès.

Mais avons-nous le droit, collectivement, et c’est là où je veux en venir, avons-nous le droit de poser des questions et de tenter des réponses.  D’essayer de comprendre.  D’exprimer des doléances.  Je crois que oui.  Il n’y a pas que le juridique, dans la vie.

On se souvient de polytechnique, évidemment.  Mû par une haine des femmes, Marc Lépine entre dans cet établissement d’enseignement et tue 14 futures ingénieures.  On ne saura jamais si Marc Lépine était délirant au moment de commettre son atrocité, puisqu’il est mort.  Sauf qu’on a assez d’indices pour affirmer qu’il détestait les femmes.  Les propos tenus au moment des meurtres et la liste de noms de femmes à abattre retrouvée sur lui sont plus qu’explicites.

On se souvient qu’au lendemain du drame, le pire drame de l’histoire du Québec dans ma mémoire de femme, il était interdit de taxer le geste de misogyne sans se faire traiter de lesbienne radicale.  Il fallait dire qu’il s’agissait d’un «geste isolé».

Isolé.  Geste isolé.  J’espère bien que tous les meurtres sont des gestes isolés!  De la même manière qu’un crime d’honneur a une portée idéologique, tout en étant isolé au sens où il n’est pas endossé par tous les membres des communautés où de tels crimes se commettent parfois.

Isolée.  Geste isolé.  Breivik a commis le pire des gestes isolés de l’histoire de l’Europe depuis la deuxième guerre.  A-t-on quand même le droit de rapporter qu’il agissait en raison de sa haine religieuse envers les musulmans?  A-t-on quand même le droit de souligner au passage que cette haine, elle, n’est pas nécessairement isolée?  Le geste n’est est pas moins singulier, mais faut-il tout taire?

Richard Bain a prononcé des paroles à connotation politique immédiatement après le fait.  On parle d’un comportement post délictuel et d’une déclaration spontanée.  On parle de res gestae.

Alors qu’on le veuille ou non, les paroles de Richard Bain feront l’objet d’un débat au moment de son procès, si procès il y a.   Débat sur leur admissibilité, d’abord, mais si elles sont admises, elles seront traitées comme le reste de la preuve.

Si la Poursuite, c’est-à-dire le ministère public, c’est-à-dire l’État, peut mettre en preuve des paroles pour prouver le mobile d’un crime, je ne vois pas pourquoi, collectivement, nous ne pourrions pas traiter ces paroles pour nous questionner sur leur sens.  Calmement, évidemment.


[1] Hubert REID, Dictionnaire de droit québécois et canadien, Wilson & Lafleur, 1994, p. 47.