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Pawluck, mot-clic, harcèlement et liberté d’expression

Je n’allais certainement pas bloguer sur Jennifer Pawluck et sur l’accusation à laquelle elle fera peut-être face.  De peur de lui nuire, de peur de me mêler d’une enquête en cours, de peur de donner l’impression que j’applaudis son arrestation.

Mais voilà que les débordements d’opinions et d’argumentations loufoques me donnent envie de mettre quelques petites notions de droit au clair.

Jennifer Pawluck est cette jeune femme qui a été arrêtée pour avoir diffusé sur Instagram un graffiti représentant un porte-parole du Service de police de la ville de Montréal avec un trou de projectile entre le deux yeux, image accompagnée de quelques mots-clic agressifs.

Harcèlement criminel

D’entrée de jeu, on confond les crimes de menaces, de harcèlement, d’intimidation et de propagande haineuse.  Le seul point commun de ces quatre crimes, c’est qu’ils visent la protection de la sécurité psychologique des personnes, et qu’ils existent sans que des gestes ne soient posés.  La parole suffit, le message suffit, l’intention suffit.  Et attention, pas n’importe quelle intention, et surtout pas l’intention de battre ou de tuer.

Jennifer Pawluck a été arrêtée pour harcèlement criminel, pas pour menace ni intimidation et encore moins pour propagande haineuse*.

Le harcèlement criminel, donc, est le fait d’agir à l’endroit d’une personne, sachant que cette personne se sent harcelée ou en étant insouciant quant au fait qu’elle se sente harcelée. Voilà pour l’intention coupable, qu’on appelle mens rea, du crime de harcèlement : c’est  le fait de savoir que notre geste harcèle la personne visée, ou de ne pas s’en soucier.  Tout ceci doit être prouvé hors de tout doute raisonnable, ce qui n’est pas une mince affaire.

Mais il faut cesser de dire que Jennifer Pawluck n’a pas voulu battre Ian Lafrenière. Rien dans le crime de harcèlement n’impose à quiconque le fardeau de prouver que la personne qui harcèle le fait dans un dessein particulier.  Il faut simplement, je le répète, que la personne sache que son comportement fait craindre, ou qu’elle s’en fiche.

Concernant le plaignant, pour que l’infraction soit prouvée et ce, encore une fois, hors de tout doute raisonnable, il faut qu’il ait été raisonnable, dans les circonstances particulières de l’affaire, de se sentir harcelé.  On se place alors dans la peau de la personne raisonnable et on se demande si, placée dans le même contexte, elle  aurait eu raison de se sentir harcelée.

Et c’est quoi, se sentir harcelé? Les tribunaux ont défini la crainte suscitée par le harcèlement comme étant plus qu’un simple agacement.  On a donné comme synonymes «tourmenté», «troublé», «inquiet»[2].  «Tormented, troubled, worried, plagued, bedeviled and badgered»[1]

Nul besoin que le geste harcelant soit répétitif, si on lit bien les paragraphes c) et d) de la disposition.  Seuls les paragraphes a) et b) exigent une notion de répétition[3].

Je n’ai pas vu la promesse de comparaître de Jennifer Pawlock, mais il est évident que c’est le dernier paragraphe qui fait l’objet de la plainte c’est-à-dire «se comporter de manière menaçante».  Ce qui ne veut pas dire qu’il faut faire le saut théorique vers le crime de menace.  C’est encore autre chose.

Pour résumé, les seules questions juridiques qu’on peut se poser[4], dans cette affaire, sont les suivantes : l’accusée savait-elle que le policier en question se sentirait harcelée, s’en fichait-elle, et ce policier a-t-il eu raison de se sentir harcelé.  Si Jennifer Pawluck est poursuivie  – car je rappelle qu’on est à l’étape de la plainte policière et qu’aucune accusation n’a encore été portée, c’est là-dessus que se jouera son procès.  Sur rien d’autre.  Personne, aucun juriste, ne va invoquer sa liberté d’expression, de la même manière que si un mec dit à sa femme «j’vas te tuer ma tabarnak», l’avocat de la défense ne dit pas «c’est sa liberté d’expression, madame la juge».

La liberté d’expression ne protège pas toutes les formes d’expression.  Elle ne protège pas la propagande haineuse, l’incitation au génocide; Elle ne protège pas le harcèlement, ne protège pas l’obscénité, ne protège pas la pornographie juvénile (même en dessin), ne protège pas la menace ni l’intimidation.

Mot-clic

Il est évident qu’un mot clic peut comporter un message harcelant.  Comme il peut comporter une menace, des propos haineux, de la propagande haineuse.  Un mec qui écrirait sur Twitter «#CeSoirJeTueMaFemme» serait certainement visité par les policiers, et probablement arrêté, détenu jusqu’au lendemain, et accusé de menace de mort.  Pensiez-vous vraiment qu’il serait à l’abri d’une accusation pénale parce qu’il place un croisillon devant son message?

J’ai eu un client qui, dans la foulée du printemps, avait été accusé de menaces de mort pour trois tweets.  L’un portait le mot-clic #VivaCopsKillers accompagné d’une vidéo de krav maga.  L’autre disait qu’il avait pratiqué le krav maga avec des policiers et que c’était chouette de leur faire mal.  Le dernier semblait inciter les étudiants à frapper les policiers. Tout s’est bien terminé pour lui au tribunal, mais jamais il ne me serait venu à l’esprit de beugler «LibÂrté».

Et les journalistes

Et pour finir, la chose la plus rigolote qu’on ait pu lire entourant l’arrestation de Jennifer Pawluck, c’est que les médias devraient aussi être accusés parce qu’ils ont reproduit l’image.

Le droit criminel pénalise l’intention mauvaise.  Le journaliste qui reproduit l’image le fait pour informer, pas pour harceler.  De la même manière, de nombreux internautes, sur Facebook entre autres, ont reproduit le graffiti en appui à Jennifer Pawluck, non pas pour harceler.

Jennifer Pawluck n’a peut-être pas voulu harceler, elle non plus, j’en conviens.  Mais il faut cesser de délirer, quand même.


* Pour une raison bien simple, il est impossible d’être accusé de propagande haineuse contre des policiers puisqu’ils ne font pas partie d’un groupe visé par ce crime dans la définition du Code criminel.

[1] R. v. Sillipp, 1997 CanLII 10865

[2] R. c. Bertrand, 2001 QCCA 1412

[3] Voir aussi les arrêts Kohl, O’Connor, Hyra, Kosikar.

[4] On peut toutefois se poser bien des questions politiques.  Entre autres : est-ce que tous les militants étudiants sont espionnés en permanence par le SPVM sur leurs comptes Twitter, Facebook et Instagram…