Le Premier ministre Harper aurait dit qu’il est temps de cesser d’appeler «intimidation» ce qu’a vécu Rehtaeh Parsons avant de s’enlever la vie. Dans la mesure où je n’ai pas lu les messages qu’elle recevait en privé, je ne peux pas commenter quant à d’éventuels gestes d’intimidation dont elle aurait pu être victime. Sauf que je ne vois pas en quoi le fait de cesser de parler d’intimidation nous aidera à mieux intervenir, collectivement, devant de telles tragédies.
Le Premier ministre de la Nouvelle-Écosse, Darrell Dexter, a ajouté qu’il fallait modifier le Code criminel sans donner plus d’explication sur cette opinion déroutante. Déroutante parce qu’elle nous fait dévier du problème. Un problème criant. Alors ce n’est certainement pas en bifurquant de la bonne trajectoire de réflexion qu’on arrivera au bout du parcours avec une solution.
Modifier le code criminel? Pour quoi faire? Pour faire peur aux gens, de la main droite, des dangers existants dans notre monde scabreux et contre lesquels nous n’aurions actuellement aucun pouvoir vu la mollesse du droit, tout en les rassurant, de la main gauche, en créant de nouvelles infractions réconfortantes?
Ça me fait penser au parent toxique qui rend malade son enfant pour mieux se faire aimer en le soignant par la suite.
Le Code criminel canadien, tel qu’il est actuellement conçu, a tout ce qu’il faut pour que les policiers interviennent lorsqu’une belle Rehtaeh Parsons vit ce qu’elle a vécu.
→ L’agression sexuelle est un crime passible de dix ans de prison qui fait l’objet d’accusations quotidiennes dans tous les districts judiciaires du pays. Article 271 du Code criminel.
→ L’agression sexuelle commise par plus d’une personne est une agression sexuelle du second degré, plus grave encore donc, et passible d’un emprisonnement maximal de quatorze ans. Article 272 du Code criminel.
→ Encourager la commission d’une agression sexuelle en prenant des photos fait du photographe un complice aussi coupable que les agresseurs principaux et passible de la même peine. Article 21 du Code criminel.
→ (Parenthèse, juste au cas : une adolescente saoule ou gelée ne peut pas consentir à avoir des relations sexuelles, tout simplement parce qu’elle est incapable de former le consentement requis. Article 273.1 du Code criminel.)
Et après…
→ Prendre des photos d’une adolescente qui se fait violer constitue de la production pornographie juvénile passible d’une peine maximale de dix ans. La peine minimale est d’un an de prison. Article 163.1 (2) du Code criminel.
→ Publier des images, sur Facebook ou ailleurs, d’une adolescente qui a des rapports sexuels, qu’ils soient consensuels ou non, diffuser ces images par courriel ou par textos, et même les distribuer en classe ou au parc, constitue de la publication de pornographie juvénile, crime passible de dix ans de prison, la peine minimale étant d’une année. Article 163.1 (3) du Code criminel.
→ Le simple fait de posséder, dans sa poche de jeans, dans son cellulaire ou dans son ordinateur, des photos d’une mineure qui se fait agresser sexuellement (ou qui a des rapports sexuels consensuels) constitue de la possession de pornographe juvénile, crime passible de cinq ans de prison, la peine minimale étant de six mois d’emprisonnement. Article 163.1 (4) du Code criminel.
→ Écœurer une jeune femme par courriel, pas message privé, sur Facebook ou ailleurs, en lui faisant craindre pour sa sécurité –y compris sa sécurité psychologique – constitue du harcèlement criminel, crime passible d’une peine maximale de dix ans. Article 264 du Code criminel.
→ Menacer une adolescente de pires représailles si elle porte plainte, ou lui faire subir quelque autre chantage pour la forcer à faire ou ne pas faire quelque chose qu’elle aurait légalement le droit de faire constitue un crime d’intimidation passible de cinq ans d’emprisonnement. Article 423 du Code criminel.
→ Écrire, sur Facebook ou ailleurs, qu’une adolescente qui a été violée est une putain constitue un libelle diffamatoire, crime passible de deux ans de prison. Article 298 du Code criminel.
→ Répandre la nouvelle qu’une adolescente est une putain alors qu’on l’a violée constitue un libelle délibérément faux, crime passible de cinq ans de prison. Article 300 du Code criminel.
Je vais m’arrêter ici parce que j’ai envie de pleurer. Je suis rendue à un acte d’accusation ayant pu comporter 11 chefs d’accusation et combien d’accusés-es, outre les quatre jeunes hommes photographiés lors du viol collectif? Cent? Deux-cent? Mille?
Alors qu’on cesse de dire que nous sommes mal protégés et que les lois doivent être amendées.
Suffit d’agir quand il est encore temps.
Effectivement madame Robert, nous avons la loi mais peu d’éthique : dénombrons les gens qui tenterons de voir les photos prises de l’agression de cette jeune fille? Autant! nous exclamerons-nous. Le public à la poursuite des preuves comme dans le meurtre de l’étudiant chinois Lin Jun diffusé sur le web…
Comme vous, je ne sais rien de l’intimidation qu’elle a subi mais ce qui en résulte est non seulement dramatique mais d’une tristesse…
Tandis que l’on dit ouverte cette jeunesse, nous constatons pourtant qu’elle a des codes moraux qu’elle s’impose elle-même. Ce qui se fait, ce qui ne se fait pas. Qu’est-il punissable dans ce cas qui porte un jugement si sévère? Être jeune, vouloir connaître ses limites? Exercer son pouvoir de séduction? Se soûler comme tous le font à cet âge? Qu’est-il donc punissable de mort dans ces actes de jeunesse? Explorer lors de soirée : live young die young? Expérimenter la sexualité? Vouloir se risquer à vivre?
On ne peut malheureusement pas les tenir blottis contre nous à jamais nos chers enfants; les protéger, on veut bien mais, sans les maintenir à l’écart des expériences nécessaires qui, même si certaines sont blessantes, les rendront autonomes.
Ce qu’il faut déplorer, c’est l’immoralité et l’immaturité, cela ne va pas de pair : de ceux qui abusent de la faiblesse des autres pour leur ravir leur dignité, amocher leur innocence puis de ceux qui jugent sans savoir. Se respecter et être respecté ou respectable?
S’il y avait consentement dans cette affaire, cela n’appartenait à personne d’autre qu’à ceux que cela concerne. Notre ancien premier ministre, l’honorable P.É. Trudeau, affirmant que ce qui se passe dans la chambre à couché, c’est privé. S’il y avait non consentement, et de surcroît diffusion d’images, comme un trophée de chasse, sur le web, alors oui, cela concerne la loi. Que l’on entame des procédures dans ce cas.
Notre société a une lacune ; son code éthique lui fait défaut depuis la chute des clochers. Je m’ennuie de mon enfance lors de laquelle on se souciait de l’autre.
Les clochers n’ont jamais rien fait de bon pour les femmes. Et un monde sans éthique, ça n’existe pas. Les éthiques sont différentes, voilà tout.
Madame Savard, je suis en accord avec vous et voilà bien le drame! Les clochers empêchaient les femmes de s’épanouir, et plus d’un membre du clergé, malheureusement, a émancipé des enfants qui ne le voulaient sûrement pas. Cependant, l’église maintenait serré le tissu social en véhiculant des valeurs collectives d’entraide, de partage; ce qui n’est pas à mépriser. Toutefois, oui, ils brimaient les femmes dans leur soif de s’épanouir et plus d’une mère en a été victime. C’était un crime. Et le féminisme une nécessité de laquelle a découlé des excès puis tempérée, du bon et du mauvais.
Les éthiques sont différentes, voilà tout. dites vous. Voilà tout, c’est comme dire c’est pas grave. Peut-être que je me fais vieux, que j’ai des idées passéistes, que je suis innocent mais j’ai la nostalgie du civisme, du respect des autres, de l’oublie de soi. J’habite une simplicité bien volontairement.
Nous vivons égoïstement, sincèrement ancré dans la croyance que le bonheur se retrouve dans les biens chèrement (ou frauduleusement) acquis; les corps se consomment comme l’eucharistie sous le joug d’une sexualité exacerbée par la publicité, certains tuent pour un cell., on vend des femmes à des hommes qui revêtent des manteaux à queue érectée mais cela n’est pas grave car l’éthique change, voilà tout. Impunément et déresponsabilisé, on peut faire tout ce que bon nous semble et surtout mentir, faire fi de la dignité, pour se sauver les fesses. Je déplore cela.
Ce que je constate de la problématique qui a occasionné le suicide de mademoiselle Pearsons, c’est l’irréalité dans laquelle habite les présumés agresseurs, c’est l’éthique qui transparait à travers les jugements de valeurs des facebookeux qui ont commenté des gestes qu’ils considéraient amoraux. Ce que je constate surtout, c’est cette tendance chez certains de croire que pour exister, il leurs faut se faire admirer; être quelqu’un, c’est pour eux être reconnus sur le web : diffuser des images, de crimes, de vitesse au volant, leur importe peu du moment qu’ils aient leur minute de gloire facile.
Éloquente démonstration de nos « protections » juridiques théoriques. Cela n’empêche pas, hélas, de baigner dans une culture du viol. Le problème est large: sociologique, politique, humain… Ce sont tous les acteurs de la communauté qu’il faut interpeler, les décideurs, les politiques, afin de mettre en place des mécanismes non pas plus punitifs mais vraiment éducatifs qui viendraient rivaliser avec le message ambiant de cette culture de violence sexuelle…
Merci de parler de ce sujet qui ne cesse de creuser un fossé entre moi et le genre humain dans mon cœur. Motiver, moyenner et sanctionner un homicide est un crime. Quoiqu’en dise la code de loi des humains. Que le meurtre fut fait indirectement, en poussant Reataeh au suicide, n’amoindrit en aucun cas la porter du crime à MES yeux.
Pourquoi la police s’en lave-t-elle si lâchement les mains?
Il y a quelque chose de vraiment pas normal ici.
Le problème au Canada, c’est que les lois, on les a mais on ne les applique pas. Que ce soit au Québec ou dans le pays au complet, il y a un laxisme qui frise le ridicule. Quand on appliquera vraiment nos lois, les coupables auront les conséquences de leurs actes.
Merci Madame Robert, de faire le point de façon rationnelle même si c’est un sujet hautement émotif. Que M. Harper fasse juste penser à se faire du capital politique là-dessus ne doit pas nous surprendre, mais nous choque tout de même.
Quand quelqu’un me dit que le féminisme n’est plus nécessaire, c’est le genre « d’histoire » que je leur sers.
Encore des pauvres ‘tits gars dont on ne veut pas briser la vie parce qu’ils ont fait une « erreur »? Je ne peux / veux pas le croire.
Mais qu’est-ce qu’on attend pour mettre ces petits salauds en prison?
→ Écrire, sur Facebook ou ailleurs, qu’une adolescente qui a été violée est une putain constitue un libelle diffamatoire, crime passible de deux ans de prison. Article 298 du Code criminel.
→ Répandre la nouvelle qu’une adolescente est une putain alors qu’on l’a violée constitue un libelle délibérément faux, crime passible de cinq ans de prison. Article 300 du Code criminel.
lol, dire des gnaiserie sa coute cher.
C’est pire que des niaiseries.
Je ne vois pas ce qu’il y a de drôle!
On parle pas de dire des niaiseries ici. On parle d’atteinte à une réputation, de propos diffamatoires et complètement irrespectueux. Si la fille finit par se suicider parce qu’on dit des »niaiseries » sur elle, c’est un minimum sérieux. Il y a des choses à ne pas faire dans la vie, traiter quelqu’un de putain en fait partie.
Réfléchir avant de parler en serait aussi une autre à laquelle tu devrais réfléchir. C’est tout sauf drôle ce qui est arrivé.
Le problème est que ces jeunes sont mineurs… Oui on a des lois, mais elles sont adaptées au adultes. On tente de les appliquer sur les mineurs, même dans le cas de délits graves, mais aucun juge pour mineurs ne va le faire… Ces juges-là sont laxistes… Les jeunes le savent et en profitent un max… Si un policier arrête un jeune, 75% du temps le jeune de moins de 18 ans va lui rire dans la face. Ils sont plus protégés qu’un adulte. Malheureusement, ça leur laisse la capacité (pas le droit, mais la possibilité pour cause du malaise du corps policier dans les interventions sur les mineurs) à faire ce que bon leurs semble. Des agressions sexuelles entre mineurs, c’est pas nouveau… C’est très très fréquent et souvent extrêmement grave. Mais une jeune porte plainte… La police tente quelque chose, la direction de l’école va aller dans ce sens pour faire belle figure, et finalement on va convenir que c’est un « malentendu » ou « un conflit de personnalités »… La fille se fait envoyer le message : « tu mens, ferme ta gueule, endure et vis avec ». Voilà notre manière de gérer un problème du genre. La police va faire son enquête, oui. Mais comme ce sont des mineurs, c’est tellement « mal-aisant » qu’elle va tourner les coins ronds pas mal…
Donc oui on a les lois, mais non on ne les applique pas dans le cas des mineurs parce que d’autres protections, d’autres lois provinciales entrent en ligne de compte.
Pour être passée par là, je sais de quoi je parle, malheureusement…
C’est le même Code criminel. La Loi sur les jeunes contrevenants est fédérale
Il est vrai que les peines imposées aux jeunes sont plus «adaptées», mais il n’est pas question de peine ici.
Me Robert,
J’aimerais attirer l’attention sur une erreur qui s’est glissée dans votre article et dont la correction renforcerait votre propos. Lorsque des menaces de représailles sont faites à une victime pour l’empêcher DE PORTER PLAINTE, ce n’est pas de l’intimidation (passible de 5 ans) mais plutôt de L’ENTRAVE À LA JUSTICE, passible de 10 ans. Article 139(2)(3)a), tel qu’interprété dans Couture, Cour d’appel du Québec, 2012, 2012 QCCA 243, paragraphe 46.
Lecture complémentaire 🙂 http://jocelynerobert.com/2013/04/17/oui-nous-vivons-dans-une-culture-du-viol/
Merci Me Bourgeois de votre commentaire.
Il est vrai que d’empêcher une éventuelle plaignante de porter plainte constitue aussi une entrave et que le crime est objectivement plus grave que celui d’intimidation.
Toutefois, compte tenu des propos du premier ministre, je tiens à conserver la notion d’intimidation dans mon texte. Et un procureur de la Couronne pourrait très bien décider de porter une accusation d’intimidation plutôt que d’entrave dans un cas comme celui-là, puisque la preuve d’entrave est plus difficile à faire.
Ceci dit, merci de la pertinente précision.