François Chartier : Particules élémentaires
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François Chartier : Particules élémentaires

Récipiendaire du prix World Best Sommelier en 1994, François Chartier est le père de l’harmonie moléculaire, qui permet de faire des accords parfaits entre aliments et vins.

Quand il n’est pas en cuisine avec des chefs ou en Europe à travailler ses vins, ce sommelier touche-à-tout poursuit ses recherches moléculaires, dont il a compilé les résultats dans son dernier livre, L’essentiel de Chartier – L’ABC des harmonies aromatiques à table et en cuisine. En plus d’avoir une vingtaine de cuvées différentes sur le marché, François Chartier vient de signer la carte des vins du restaurant montréalais Tapas 24. Entretien avec cet électron libre qui a fait entrer le Québec dans le monde du vin.

VOIR: On vous a décerné en mai le prix du Meilleur livre de cuisine au monde aux Gourmand World Cookbook Awards 2016 pour votre dernier ouvrage. C’est la quatrième fois que vous recevez ce prix…

François Chartier: Oui, c’est assez fou! Je suis très touché d’être dans la catégorie «Innovation», et d’autant plus pour un livre de cuisine, car ça montre que je suis reconnu au-delà de mon étiquette de sommelier. Mon travail est allé ailleurs: j’ai compris dès les années 90 qu’il fallait aussi étudier la cuisine et qu’on ne pouvait pas faire d’harmonies sans la connaître. Ce livre, c’est un résumé de mes recherches des six dernières années sur l’harmonie moléculaire, en plus accessible.

Comment est née l’harmonie moléculaire?

Je suis un curieux et je veux comprendre mon travail; comprendre ce qu’on fait permet d’aller plus loin dans la créativité. J’ai toujours été intéressé par la gastronomie moléculaire et je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas de recherche dans le domaine des harmonies mets-vins, et qu’il n’y avait donc pas d’explication scientifique sur leur fonctionnement. Je suis parti de mon nez, au lieu de me baser sur l’acidité, le sucré, salé, etc., comme on nous l’apprend. J’ai fait un lien entre les sciences et la sommellerie en associant les mets et les vins en fonction de leurs molécules aromatiques. Quand on fait les bons accords, c’est magique: 1+1=3.

C’est-à-dire?

Il y a des alliances qu’on fait naturellement depuis des siècles. Mais qui aurait pensé à associer champignon et lavande avec un Riesling? Ou framboise et algue nori avec un Merlot? Essayez, c’est incroyable! L’harmonie moléculaire est une science, on n’est pas dans la poésie; je suis un grand sensible, mais avec l’harmonie moléculaire, il faut laisser de côté l’émotion. Mais même si tout ça est appuyé sur la science, ça reste riche en passion. Un terrain de jeu extraordinaire s’est alors ouvert à moi. Parce qu’au-delà des quatre saveurs, il y a des milliers d’arômes, et j’en ai pour le restant de mes jours à les étudier…

Sciences, œnologie et gastronomie: vous êtes à la croisée de plusieurs domaines…

J’ai un peu bousculé l’ordre établi. Mais il y a eu plus de réticences face à mes recherches sur les harmonies moléculaires autant chez les sommeliers établis que chez les chefs; «L’essentiel de Chartier» est aujourd’hui dans la plupart des cuisines des restos au Québec. Mais il y a quinze ans, tout le monde restait dans son coin. Sommellerie, cuisine, etc., ne se mélangeaient pas. C’est pourtant essentiel d’être multidisciplinaire pour créer à sa façon. L’atout de Ferran Adria, par exemple [ndlr: ancien chef du resto catalan elBulli, nommé meilleur restaurant du monde à cinq reprises], c’est d’être allé voir ailleurs… Il y a encore du chemin à faire aujourd’hui, mais on voit une vraie évolution.

La sommellerie québécoise, elle va bien?

Elle a changé. Il y a beaucoup de jeunes, plus détendus et plus confiants, qui créent des cartes des vins avec des identités propres. Mon prix de 1994 nous a encouragés à croire en nous, et plein de générations de sommeliers québécois ont suivi. L’«écurie» de la sommellerie québécoise se porte aujourd’hui très bien, et elle est crainte à l’étranger. Ça fait quatre fois que des Québécois gagnent des prix d’Amérique! Et on a toujours des compatriotes dans le top 10 mondial, dont Véronique Rivest, deuxième à Tokyo en 2013.

Comment se situent la province et ses consommateurs dans le monde du vin?

Le Québec est devenu une porte d’entrée en Amérique du Nord quant à la qualité des produits et à la qualité des consommateurs. Depuis 1999, les consommateurs de vin ont vraiment changé: ils ont appris à questionner, à déguster… Avant 1994, la majorité des gens ne savaient pas ce qu’était un sommelier! Per capita, on connaît mieux le vin ici qu’en France. Comme on n’a pas de grands producteurs, on est plus curieux, on a moins d’œillères – en France, les gens ont la faiblesse d’être moins ouverts sur l’international, car l’impact régional est plus fort. On est devenus des infidèles au Québec! On veut tout goûter.

Qu’est-ce qui explique cette évolution selon vous?

Le premier déclencheur a été L’Expo 67, qui nous a montré qu’il y avait une culture extraordinaire dans le reste du monde, notamment une culture gastronomique. De nombreux Européens sont ensuite venus s’installer au Québec et ont ouvert des restos… Dans les années 2000, on a aussi vu émerger de nombreuses émissions de cuisine –  aujourd’hui, on en dénombre 39 produites au Québec! Tous les chefs du monde veulent venir en vacances à Montréal, ou alors y vivre quelques années. Montréal a la cote, notamment au niveau du rapport qualité-prix. Il y a une belle créativité dans une ambiance unique…

Votre créativité à vous, elle se consacre à quoi en ce moment?

Je travaille actuellement en neurogastronomie sur les liens entre mémoire et olfaction, pour donner les bases d’un questionnement scientifique. On sait que l’odorat est très lié à la mémoire, et les odeurs pourraient ainsi raviver les souvenirs. Par exemple, pour moi, le parfum des roses séchées me ramène toujours à ma grand-mère, qui en avait dans sa chambre. Bref, il y a de quoi faire en sciences…

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