À la découverte des légumes des mers
Les eaux gaspésiennes regorgent de trésors qui finissent dans nos assiettes. Parmi eux, les poissons et les crustacés, mais aussi les algues, qui gagnent en popularité grâce à leurs qualités nutritionnelles. En plus d’en défendre leurs bienfaits, leurs adeptes en profitent pour revendiquer la richesse du terroir québécois.
Au large du Saint-Laurent, il traîne son panier derrière lui et plonge ses mains dans les eaux gaspésiennes à la recherche de légumes des mers: les algues. Stéphane Albert est cueilleur d’algues depuis 2014, et sa forêt à lui, c’est le fleuve. Il n’hésite d’ailleurs pas à dire que son lieu de travail, c’est «la plus belle place au monde». De mai à octobre, il enfile sa combinaison de plongée dès la marée basse et coupe du wakamé atlantique, du kombu, de la dulse ou encore du nori.
Des algues essentiellement consommées au Japon et que Stéphane Albert cueille avec parcimonie. «Je ne prends pas toutes les algues que je trouve, j’en laisse toujours un peu pour ne pas abîmer la canopée marine», précise-t-il. Une fois son panier plein, il accroche les algues dans un séchoir qu’il a fabriqué lui-même à Cap-au-Renard. «Je ne les rince pas à l’eau claire mais dans le fleuve, sinon ça enlèverait tous leurs bons nutriments, puis elles vont sécher en 24 heures environ si les conditions sont bonnes…»
Ce qui est sur le rivage y reste. «Je veux de la fraîcheur. Les algues qui sont échouées sur les plages, je ne sais pas depuis combien de temps elles sont là», explique Stéphane, qui aime se faire appeler le «paysan des mers». Une fois qu’elles sont séchées, Stéphane Albert va mettre les algues en sachet et les vendre un peu partout au Québec. Par exemple à la boutique Accommodation bio de Québec, qui propose différentes sortes d’algues.
«Il y a un intérêt grandissant pour ces aliments, car les consommateurs sont de plus en plus sensibles aux questions nutritionnelles et à la santé. Ils veulent manger des choses de moins en moins transformées», assure Naïm Savoie, le gérant de la boutique. «L’intérêt pour les algues vient de l’engouement pour les sushis, mais aussi parce qu’elles font partie des aliments santé», théorise pour sa part Éric Tamigneaux, titulaire d’une chaire de recherche industrielle sur les macro-algues marines au Cégep de la Gaspésie et des Îles.
«Une vraie ressource renouvelable»
En effet, leurs propriétés semblent intéressantes. «Les algues sont riches en minéraux, 100 grammes de certaines variétés contiennent plus de calcium que le lait, d’autres contiennent beaucoup de B12, de fer et même de protéines. Elles sont un excellent aliment de substitution pour ceux qui suivent un régime végétarien par exemple», poursuit le chercheur. Naïm Savoie ajoute qu’elles sont une source de sodium naturel. Quant à Stéphane Albert, le côté terroir des algues serait selon lui aussi déterminant.
Pourtant, il n’est pas facile de convaincre les consommateurs occidentaux. «Le seul contact qu’ils ont longtemps eu avec les algues, c’est avec celles échouées sur la plage, en train de pourrir, recouvertes de mouches», avance Éric Tamigneaux. La plupart des gens en consomment pourtant sans le savoir. «Des algues, on en trouve dans beaucoup de produits. Elles sont utilisées comme gélifiants, stabilisateurs ou épaississants. On les trouve aussi dans les produits cosmétiques, les peintures, et même les couches pour bébé», ajoute le chercheur.
Les mentalités changent doucement, et aujourd’hui les algues se vendent entières, en flocons ou en poudre. Et pour Naïm Savoie, leur prix affiché qui peut sembler élevé ne doit pas refroidir les gourmets: «Il en faut en faible quantité pour en savourer le potentiel, alors je ne trouve pas que c’est un produit spécialement dispendieux.»
Elles ont même réussi à trouver leur place dans les cuisines des chefs, comme le confirme Pierre-Olivier Ferry, du restaurant des Jardins de Métis, en Gaspésie: «Le Saint-Laurent est un peu une extension de nos jardins, alors pourquoi ne pas profiter des légumes qui y poussent en abondance? C’est une vraie ressource renouvelable.» Depuis quelque temps, il cuisine donc wakamé atlantique, kombu royal, dulse ou encore laitue de mer.
Ressource en danger
«Pour ceux qui veulent les découvrir, je leur conseille d’en faire des bouillons. C’est très facile et goûteux», indique-t-il. La dulse devient chips entre ses mains professionnelles, le wakamé est servi en salade, la laitue est même poêlée et un beurre d’algues accompagne ses crevettes. «Au début ce n’est pas facile, car ce ne sont pas des ingrédients que l’on a l’habitude de cuisiner, admet le chef. On n’est pas familier avec le temps de cuisson, il faut faire des tests, oser… Le plus simple, c’est de les utiliser séchées.»
Et le goût? «La laitue goûte la mer, c’est comme une bouffée d’air sur le bord du fleuve. Le kombu, lui, est plus sucré. Le wakamé a un goût très doux et plus végétal que minéral», explique Stéphane Albert.
Mais cette ressource est en danger. «La première grosse menace est la prolifération d’oursins dans les eaux du Saint-Laurent, un des impacts de la surpêche. Les oursins sont des gros consommateurs d’algues, ils broutent tout sur leur passage, laissant des rochers nus. Pendant deux ou trois ans, aucune algue ne repoussera là-dessus», détaille Éric Tamigneaux. Le réchauffement climatique risque également d’entraîner leur migration vers le Nord, d’après le chercheur. «Elles laisseront alors leur place aux algues d’eaux chaudes», conclut-il.
Stéphane Albert milite également contre la construction du pipeline: «Les projets pétroliers constituent une menace directe pour notre écosystème, et donc pour notre garde-manger. Les risques de fuite des pipelines qui passeraient par la région sont énormes». Car pour les défenseurs des algues du Saint-Laurent, le travail de l’identité culinaire du Québec passe aussi par la défense de son environnement.