Un amour qui ne veut pas mourir
Le commerce des fourrures a façonné l’histoire du Québec et a grandement contribué à la colonisation du territoire. Quatre siècles et des broutilles plus tard, le savoir-faire ancestral survit grâce à quelques rares artisans passionnés.
Comme à contre-courant, le styliste Réjean Lévesque persiste et signe. Il amorce sa carrière au milieu des années 1970, un peu avant les premiers signes du déclin, d’une prise de conscience presque généralisée initiée par les groupes de protection des animaux, mais aussi d’une récession inattendue. Le créateur a traversé les tempêtes économiques et éthiques, subi le jugement d’autrui, vu la majorité de ses collègues remerciés, mais il garde la tête haute. Son enthousiasme demeure intact. «C’est un métier qui s’en va tranquillement, avance-t-il, lucide. Il y a beaucoup de préjugés sur la fourrure, pour différentes raisons. Les animaux, ce n’est pas qu’on ne les aime pas, mais c’est notre médium de création. J’adore la fourrure, je travaille là-dedans depuis des années. Moi, je considère que nous sommes comme des musiciens qui composent des chansons, qui vont en lancer une nouvelle sur le marché. On espère toujours avoir du succès et, comme eux, on ne sait jamais à quoi s’attendre.»
De son atelier sur la rue Saint-Joseph, M. Lévesque crée des patrons sur mesure parce que, dorénavant, son métier consiste surtout au remodelage de matières recyclées. Régulièrement, il monte au rez-de-chaussée pour rencontrer les clients et leur faire essayer des prototypes. Un lien privilégié, humain, comme il ne s’en fait plus tellement à l’ère de la fast fashion. «Je commence par leur faire choisir le corps, la jupe. Après ça, je peux greffer le collet que je veux, la finition de la manche choisie, une manche évasée, avec un petit poignet ou une manche droite. Puis, je prends les mesures et j’évalue le travail à faire. Je fais un genre de soumission.» Le modéliste s’active ensuite sur sa «table à bloquer» en mouillant les peaux avec du gras dilué dans l’eau, un enduit hydratant, revitalisant. Le jour suivant, il les étire et les broche pour éviter les faux plis, puis s’affaire aux découpes ou à l’ajout de lanières de cuir. La dernière étape, avant l’assemblage de la doublure par la spécialiste Lorraine Giguère, c’est de renforcer les coutures, une technique mieux connue sous le terme de galonnage.
En moyenne, une trentaine d’heures sont nécessaires pour créer chaque pièce. Au magasin Laliberté, qui célébrera par ailleurs son 150e anniversaire en mai prochain, environ 75 unités sont remodelées par année en plus des réparations mineures – des déchirures diverses, des remplacements de ganse, etc. Lyne Michaud, la finisseuse, confectionne aussi des mitaines, des porte-clés, des bijoux et des nœuds papillon avec les retailles. Des accessoires qui sont vendus à l’étage.
Bijoux de famille
Comme le fait remarquer l’historienne Catherine Ferland, particulièrement ferrée en ce qui a trait à ce pan de notre patrimoine local, la fourrure est une composante importante de la culture québécoise. Elle témoigne du mode de vie de nos ancêtres, mais aussi de leur lien avec les Autochtones. «Avec les hivers qu’on a, ça fait partie de la nordicité, de la panoplie de trucs qu’on a développés pour se protéger du froid. […] C’est un bien familial qu’on va se refiler de génération en génération.» Le plus souvent, justement, M. Lévesque et ses deux acolytes retravaillent les manteaux des grand-mères de leurs clientes pour les retailler au goût du jour.
D’autres héritières choisissent plutôt de les entreposer dans la réserve Laliberté, un entrepôt sous haute surveillance avec une température contrôlée à 7°C et un taux d’humidité optimal pour éviter que les peaux ne se dessèchent.
Passer le flambeau
Formée sur le tas après avoir obtenu son diplôme en mode au cégep Notre-Dame-de-Foy, Lyne Michaud est la plus jeune des trois employés de la manufacture qui en comptait autrefois dix fois plus. Réjean Lévesque, sans amertume, se souvient de l’âge d’or du magasin avec un sourire en coin. «Quand j’ai commencé, Lorraine était avec moi, on était une trentaine dans l’atelier avec les finisseuses, les gars qui faisaient la réparation.» C’était en 1974 et les deux camarades venaient tout juste de terminer leurs études en Haute-Ville, à l’École de fourrure Saint-Jean-Baptiste. Un établissement scolaire qui n’existe plus.
Aujourd’hui, le cégep Marie-Victorin est le seul à enseigner le métier de fourreur au Québec. Une option sous-jacente au DEC en Design de mode, un programme qui a formé Rachel F. et la designer montante Marilyne Baril, deux créatrices qui se sont d’abord fait remarquer pour leur utilisation novatrice de la fourrure mais qui ont délaissé ce médium dans leurs collections d’automne 2016. Un signe des temps? Peut-être.