Vie

Richesse boréale : le thé du Labrador

Plante ancestrale mais encore peu connue, le thé du Labrador fait son grand retour. Cet emblème du terroir québécois possède de nombreuses vertus qui lui donnent une place de choix en cuisine et en médecine, et jusque dans nos cosmétiques…

«J’ai découvert le thé du Labrador en arrivant sur la Côte-Nord. Au hasard de mes promenades en forêt, j’ai commencé à en ramasser et j’ai tout de suite aimé son odeur; mes mains embaumaient après la cueillette…» Le thé du Labrador, c’est la plante fétiche d’Andrée Hardy. Cette entrepreneure aux mille carrières a lancé il y a quelques années TIPIKA, une marque de savons naturels pour la peau qu’elle fabrique avec du thé du Labrador. Le laboratoire La Sève de l’Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) a en effet découvert que l’une des propriétés de la plante était de stimuler la production naturelle de collagène de la peau – on retrouve d’ailleurs depuis peu des extraits de thé du Labrador dans certains produits de Lise Watier.

Aussi appelée bois de savane, cette plante indigène typique de l’Amérique du Nord est en outre un vrai médicament naturel. Andrée en utilise les feuilles en infusion pour soigner maux de gorge, maux de tête, fièvre, toux ou insomnie. Les premiers utilisateurs du thé du Labrador, les Amérindiens et les Inuits, en consommaient pour guérir certains troubles respiratoires, digestifs et rénaux, les rhumatismes, le scorbut, mais aussi pour purifier le sang. Il paraît que la plante facilite également les accouchements… À l’instar du laboratoire La Sève de l’UQAC, de plus en plus de scientifiques se penchent sur le thé du Labrador. Des recherches que suit Andrée de près: «La tige du thé du Labrador contiendrait un composé pouvant lutter contre les tumeurs. Une autre étude, réalisée sur la communauté autochtone des Cris, révèle que l’extrait de cette plante favoriserait la lutte contre le diabète.»

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Malgré son nom, la plante ne contient aucune théine ou caféine, et est très riche en antioxydants. Il est aussi possible d’en distiller les feuilles et les fleurs pour obtenir une huile essentielle très efficace comme draineur hépatique, pour nettoyer le foie. À raison d’une à deux tasses par jour, la plante est aussi apaisante et calmante – pour 60% des gens environ, tempère Fabien Girard, biologiste et auteur de Secrets de plantes: «Il y a beaucoup de charlatanisme autour des plantes. Le thé du Labrador est en tout cas un bon digestif grâce à sa concentration en limonène.» En effet, son utilisation permet de traiter diarrhées, indigestions, ballonnements, gaz intestinaux et autres charmants désordres des abus alimentaires…

«On étudie le thé du Labrador depuis peu, remarque Fabien. On est moins avancés dans la connaissance de nos plantes que certains pays d’Europe par exemple, mais au lieu de vouloir utiliser les leurs, on commence tout doucement à découvrir nos plantes d’ici… Et tout est à découvrir, c’est fantastique!» Un intérêt (re)naissant que confirme Andrée: «Dans le milieu autochtone, j’ai rencontré des aînées qui avaient bu beaucoup de thé du Labrador lorsqu’elles vivaient en forêt. L’habitude s’est perdue avec la sédentarisation, mais l’intérêt pour les connaissances liées au territoire renaît auprès des jeunes.» Le terroir boréal est donc au goût du jour, et la tendance s’est importée jusque dans les assiettes. Plusieurs chefs, comme Martin Gagné de l’Hôtel des Premières Nations à Wendake, incorporent ainsi le thé du Labrador dans leurs plats et menus.

Le terroir boréal au goût du jour

Arnaud Marchand, Fabien Girard et Jean-Luc Boulay, photo : Geneviève Côté
Arnaud Marchand, Fabien Girard et Jean-Luc Boulay, photo : Geneviève Côté

«La cuisine boréale que l’on sert Chez Boulay est une cuisine de territoire, du terroir, indique Arnaud Marchand, qui officie au restaurant de Québec. On élimine ce qui ne pousse pas ici à l’état naturel et on cherche par quoi on peut remplacer ces aliments. On veut interpeller les clients sur la richesse de ce qu’il y a autour d’eux. Notre rôle est d’éduquer; pas tant le touriste que le client québécois, qui souvent ne connaît pas bien son terroir.» Les aliments québécois sont mis en valeur: racine d’épinette, gingembre sauvage, légumes racines… et thé du Labrador. «C’est sûr qu’il y a un effet de mode, mais c’est une plante que la cuisine amérindienne a toujours utilisée», affirme Arnaud. Le chef l’utilise en infusion, par vapeur, en papillotes, dans une huile ou en bouillon, pour y pocher un poisson par exemple… Il cuisine la plante avec des produits fins et délicats, comme un poisson plutôt qu’une grosse pièce de viande. Un conseil: évitez de la poêler ou de la rôtir, car elle dégagera beaucoup d’amertume.

«J’apprends à l’utiliser au fil du temps, confie Arnaud. Il y a tellement de qualités différentes de thé du Labrador! J’essaie de trouver les conditions où il est maximisé. Je n’ai pas encore découvert tous ses secrets…» Enfin, la plante est bien sûr proposée Chez Boulay en infusion, à la fin d’un repas de ratatouille de légumes racines ou d’un tajine boréal à l’agneau de Charlevoix. «Ceux qui n’aiment guère les tisanes sont souvent conquis par le thé du Labrador, assure Fabien Girard, qui s’intéresse aussi au goût des plantes. Sinon, les chasseurs qui aiment relever le goût de leur gibier avec les saveurs de la forêt boréale seront bien servis avec le thé du Labrador», poursuit le biologiste, qui fait aussi macérer des feuilles dans ses punchs aux fruits ou en met dans ses soupes… Il conseille d’ailleurs de faire sécher un petit sac de feuilles pour l’utiliser tout l’hiver comme assaisonnement.

Sa recette préférée? Du thé du Labrador dans un filet de porc coupé en deux, sur lequel on met ensuite du fromage pour garder les arômes à l’intérieur… Et sur une touche sucrée: «Je broie les feuilles au mélangeur et j’en assaisonne certains desserts; l’arôme développé au début de l’été se marie bien avec certaines pâtisseries.» «C’est comme si le thé du Labrador regroupait les arômes de plantes aussi différentes que le carvi, la menthe poivrée, le céleri et les agrumes», note Fabien. De quoi jouer en cuisine… Mais, tout simplement, on peut aussi manger crues les belles fleurs blanches de la plante. «À la place d’une gomme chimique, le fait de croquer dans deux ou trois bourgeons par jour peut être une habitude bio intéressante, écrit le biologiste dans ses Secrets de plantes. J’aime le goût fortement épicé et balsamique, qui reste ensuite dans la bouche…»

Cueillette propre et responsable

Les savons TIPIKA à base de thé du Labrador
Les savons TIPIKA à base de thé du Labrador

À Québec, la brasserie La Korrigane a commencé à brasser une pale ale en remplaçant le houblon, plante d’Australie et de Nouvelle-Zélande, par du thé du Labrador bien de chez nous. Quant à Andrée de TIPIKA, elle fait des essais: «J’ai expérimenté avec les feuilles entières en infusion et broyées en cuisine. J’ai aussi fait des mélanges, comme thé du Labrador, framboises et pétales de roses. Je me suis aperçue aussi qu’on pouvait boire plusieurs fois les mêmes feuilles; il suffit de les laisser sécher à l’air libre entre chaque infusion.» Elle constate en tout cas un engouement récent pour le thé du Labrador, qu’elle vend en vrac en plus de ses savons. «Même si on en entend parler de plus en plus, la plante n’est pas très connue et peu de gens y ont déjà goûté. À ma boutique L’Aquilon à Tadoussac, on en fait déguster tous les jours; après nos dégustions, deux clients sur trois en achètent.»

La notion de terroir dans les savons ou pour les infusions a un impact bien visible sur ses clients. «La définition même du terroir assure l’authenticité du produit et sa provenance territoriale, commente l’entrepreneure de la Côte-Nord. Pour moi, c’est un élément de fierté à partager! Les Québécois sont de plus en plus sensibles à notre terroir et les visiteurs étrangers sont à l’affût de produits authentiques à rapporter chez eux.» Andrée fait ses cueillettes en août, septembre et octobre, dépendamment des lieux. Le Fjord du Saguenay, Manic 5 et la Minganie sont les trois territoires de prédilection de cette véritable aficionada du thé du Labrador: «J’aime son arôme aux effluves de forêt, la couleur dorée de la première infusion, qui devient ambrée à la deuxième et troisième infusion. Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui en boit autant que moi! J’en apporte toujours dans mes valises lorsque je vais à l’étranger. Prendre le thé avec quelqu’un, c’est prendre le temps…»

Si le thé du Labrador se retrouve dans presque tout le pays et le nord des États-Unis, notamment dans les lieux humides, tourbières et forêts, la cueillette non responsable peut mettre l’espèce en danger. «J’ai vu une entreprise qui faisait de la cueillette à la serpe. Je n’ai pas senti de respect envers la ressource. Avec cette technique, ça prend quatre ans avant de pouvoir cueillir à nouveau, explique Andrée. Nous, nous cueillons à la main et au sécateur les sommités de la plante; l’année suivante, le nombre de rameaux s’en trouve multiplié.» La cueillette propre consiste ainsi à ne prendre que les jeunes pousses, sans utiliser la faucille. Un point que tient également à souligner Fabien Girard: «On a peur que l’espèce soit en danger, même si on en a partout dans nos bois. Le thé du Labrador peut devenir une ressource non renouvelable si on ne fait pas attention…»

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