Saveurs nordiques
Ambassadeur de la cuisine scandinave, le chef suédois doublement étoilé Magnus Nilsson nous initie dans son resto et ses livres à une gastronomie encore peu connue, mais qui nous fascine de plus en plus…
Magnus le Viking. C’est ainsi que le journaliste du New Yorker Bill Buford surnomme Magnus Nilsson, ce chef de 32 ans qui figure déjà parmi les étoiles internationales de la gastronomie. De Viking, il en a un peu l’allure: grand blond baraqué aux cheveux longs, un peu taiseux… Et si la culture nordique est à la mode, Magnus a su mettre l’accent sur sa cuisine, dont il est devenu l’ambassadeur. À l’occasion de la deuxième édition du Festival Immersif de Kultur et d’Art Scandinave FIKA(S), il était d’ailleurs invité à Montréal pour une discussion autour de la gastronomie nordique. Malgré des billets à 45$, la conférence a très vite affiché complet.
Complet, comme la plupart des soirées au Fäviken Magasinet, son restaurant doublement étoilé de Jarpen, dans le nord de la Suède, où les réservations sont très courues. Tout a été vite pour le jeune chef: après une formation en cuisine et sommellerie en Suède, Magnus travaille quelques années à Paris, puis rejoint le Fäviken comme sommelier. Moins d’un an plus tard, il reprend l’établissement. «Je ne trouvais pas de chef, alors je me suis mis à la cuisine; on était juste deux à l’époque, raconte Magnus. Aujourd’hui, on est 32 au resto.»
Depuis, rien n’arrête cette force tranquille: alors que le Fäviken occupe maintenant le 25e rang au classement des 50 meilleurs restaurants au monde du magazine Restaurant et San Pellegrino, la série de Netlfix Chef’s Table a consacré un épisode à Magnus et à son restaurant, et on a pu aussi le voir dans la série documentaire The Mind of a Chef. En 2015, il remporte le White Guide Global Gastronomy Award. Il a également publié deux ouvrages: Fäviken, un livre de cuisine, et Nordic: A Photographic Essay of Landscapes, Food and People, qui rassemble des photos et recherches. Enfin, le chef a sorti en octobre La cuisine des pays nordiques (éditions Phaidon), bible de la cuisine quotidienne et familiale des pays nordiques.
Cuisine incomprise
Ce qui passionne Magnus, c’est de préserver la tradition culinaire des pays scandinaves. «On réduit cette cuisine au gravlax et au hareng; il y a de ça, mais aussi plein d’autres choses», explique le chef. Il a parcouru le Danemark, les îles Féroé, la Finlande, le Groenland, l’Islande, la Norvège et la Suède pour recueillir des recettes typiques et authentiques de chaque pays et photographier leurs habitants et paysages. «Ces pays ont beaucoup de choses en commun, notamment leur climat, mais ils ont aussi de nombreuses particularités et une cuisine distincte.» Magnus, qui s’est appuyé sur trois ans de recherches, traite aussi des ingrédients locaux, des techniques de cuisine et de l’histoire culinaire des pays nordiques.
«C’est important de ne pas accepter les choses comme elles sont, mais d’enquêter et de creuser, d’essayer de comprendre les produits, les façons de faire. C’est aussi ça, le job du chef.» Si on connaît certains des plats qui figurent dans le livre, comme le saumon fumé, les boulettes de viande (pas celles d’Ikea…) et la confiture d’airelles, on en découvre d’autres, tels que la soupe de cynorhodon, les travers de porc rôtis farcis aux pruneaux et la bière de genièvre au miel. La cuisine nordique en un mot? «Incomprise, rit Magnus. Il y a très peu d’information, et elle est dure à trouver. Ce qu’on sait, c’est ce qui se fait dans les restaurants. L’essentiel de la cuisine typique et traditionnelle est fait à la maison, et elle est donc difficile d’accès pour les touristes et les étrangers.»
Et la culture du restaurant est récente en Scandinavie: «La plupart des gens ont une bonne cuisine chez eux, et du fait du froid et des grands espaces, ils ont plus l’habitude de manger à la maison», explique le chef. Quant aux restos, on y trouve en général de la cuisine inspirée de traditions culinaires d’ailleurs – en Scandinavie, la plupart des restaurants gastronomiques sont encore français. «Ça fait une cuisine déconnectée du pays», regrette Magnus. Pour effectuer ses recherches en vue du livre, il est allé chercher des témoignages jusque dans les cuisines des habitants. «C’est très important de rencontrer les gens, de leur parler, de manger avec eux…»
Vieilles pratiques et menu 30 services
Des habitudes culinaires et des recettes qu’il a testées, s’appuyant aussi sur des conseils d’experts et d’informations tirées de sa collection d’anciens livres de cuisine, il a ainsi découvert des traditions qui perdurent ou des façons de faire d’antan – au Fäviken, il sert par exemple un œuf dans la cendre, inspiré d’une ancienne technique pratiquée en Islande. Alors, la cuisine nordique en un mot? «Le sel. Beaucoup de sel.» C’est que dans un pays où rien ne pousse six mois par an, l’essentiel tourne autour de la préservation des aliments – comme au Québec, province au climat hivernal similaire et qui revendique aussi sa nordicité. Il s’agit de fumer, fermenter, faire des bocaux, garder les tubercules en cave…
Ces techniques traditionnelles sont notamment à l’origine du succès de son resto, selon le journaliste du New Yorker: «Il a découvert des tas de choses que les gens font depuis 150 000 ans, comme si c’était nouveau, moderne. Mais personne d’autre ne fait ça aujourd’hui.» Au Fäviken, un resto aux allures d’ancienne retraite nordique avec sa déco de bois et de peaux de bêtes, on déguste un repas de 30 services de cuisine contemporaine et nordique pendant près de trois heures. Quand on demande à Magnus de parler de son menu, il reste très secret. «Mon style de cuisine, c’est le mien, tout simplement. On ne parle jamais de la cuisine du resto, car on veut laisser la surprise aux gens qui viennent. C’est le privilège de l’invité.»
Le contexte actuel est en tout cas parfait pour tenir un restaurant en Suède et écrire sur la cuisine locale, alors que la culture nordique est plus tendance que jamais et que la Scandinavie attire un nombre croissant de touristes. «C’est une mode. Et les modes, c’est cyclique, tempère Magnus. Revenir en Suède, c’était juste normal pour moi. C’est là d’où je viens.» Naturellement.
Magnus Nilsson
ISBN : 9780714872346