Cuisine au corps
Acte sensuel par définition, le fait de manger peut amener le plaisir bien au-dessus de la ceinture…
Chair de poule, picotements, frissons le long de la colonne vertébrale, vague de chaleur, creux dans le ventre, tensions musculaires, sécrétion… Il ne s’agit pas ici des effets d’un acte sexuel, mais de la description d’un orgasme culinaire. Oui, ça existe, explique Magali Croset-Calisto: «C’est une manifestation physiologique qui déclenche un état d’extase et dont le point G se situe au niveau des papilles. C’est une érotisation maximale de la sphère buccale…»
Dans son livre Dolce Italia, la sexologue clinicienne raconte sa propre expérience: «Ce fut tout d’abord très localisé. Très focalisé. Langue, palais, gosier. Puis les saveurs imprégnèrent ma bouche, mes lèvres, mon visage entier. Ma langue était en émoi. Mon corps aussi. Il se passait quelque chose. Quelque chose qui m’échappait. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que j’étais en train de vivre un orgasme procuré par le plat en question. Incrédulité. Vertige face à l’idée.»
Si les organes génitaux ne sont pas concernés, l’orgasme culinaire suit les mêmes étapes de jouissance: excitation sexuelle, mise en tension, orgasme et relâchement des tensions. Comme lors d’un orgasme sexuel, le cerveau réagit en sécrétant des hormones responsables des sensations de désir, de plaisir, de bien-être et d’attachement.
Lâcher-prise et disponibilité au plaisir
Plusieurs aliments reviennent dans les témoignages étudiés par Magali Croset-Calisto et pourraient ainsi être considérés comme des déclencheurs: la truffe et du chocolat, plusieurs variétés de fromages dont la mozzarella de bufflonne, quelques fruits de mer – les oursins notamment –, certaines crèmes glacées… et les fruits de la passion. Le déclencheur peut être sucré ou salé selon les préférences et dépend souvent des référents culinaires de l’enfance.
Le contexte parfait pour atteindre le septième ciel à table? «Cela nécessite avant tout des principes de lâcher-prise et de disponibilité au plaisir. Deux conditions nécessaires à tout orgasme en général», indique la sexologue. Et ça se travaille: il s’agit de se mettre à l’écoute des découvertes gustatives et de se focaliser sur les sensations au niveau des papilles. «Une disponibilité physique et mentale s’avère essentielle. Le stress, l’anxiété ou le manque de temps peuvent être des freins à l’expérience.»
Pareil que pour le sexe, mais en solo: l’orgasme culinaire est un plaisir personnel érotisé et pas un désir de sexualité à partager. «Il est souvent vécu comme une surprise qui surgit et dont les sensations de plaisir ressenti restent entre soi et soi-même, souligne Magali Crostet-Calisto. C’est avant tout une expérience personnelle…»
«Cumfort foods»
Alimentation et corps sont liés à plus d’un titre. La cuisine peut parfois même se retrouver dans la chambre à coucher, et vice-versa; prenons pour exemple le nyotaimori, coutume japonaise selon laquelle on dispose des sushis sur une femme nue, ou le fait – plus courant – d’amener de la nourriture dans ses ébats sexuels.
Et puis il y a ceux qui cuisinent avec leur corps, comme c’est le cas de Paul «Fotie» Photenhauer, auteur de trois livres de recettes… à base de sperme. Dans Fotie’s Cumfort Foods, on peut ainsi trouver comme faire une sauce BBQ ou une crème caramel dans lesquelles la farine ou le ketchup se mêle à des cuillerées de sperme frais. Dans l’introduction de son premier livre – Natural Harvest: A Collection of Semen-Based Recipes –, l’auteur explique les raisons et les avantages à intégrer son éjaculat à ses plats:
«Le sperme est non seulement très nutritif, mais il a aussi une excellente texture et de nombreuses propriétés culinaires. De même que les vins ou les fromages, son goût est complexe et dynamique. Le sperme ne coûte rien à produire. Malgré toutes ces qualités, il reste négligé au rayon alimentaire. Le sperme est pourtant un ingrédient excitant qui peut donner à tous les plats un twist intéressant…»
Son deuxième livre, Semenology: The Semen Bartender’s Handbook, propose quant à lui des recettes de cocktails un peu «pimpées». C’est en partant d’une réflexion sexo-sociologique (pourquoi les hommes font-ils avaler leur semence à leur partenaire mais bloquent à l’idée de consommer la leur?) que Paul Photenhauer en est venu à lancer ses recueils de recettes. Comme dans le cas de l’orgasme culinaire, la dégustation s’éloigne alors des lieux habituels du plaisir sexuel et du fait plus banal de manger. Le goût? C’est une autre histoire – et c’est comme les couleurs, ça ne se discute pas.