La revanche du thé
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La revanche du thé

Boisson peu connue et souvent délaissée au profit du café, le thé fait son grand retour en Occident. Et en Amérique du Nord, les Québécois ont une place de choix parmi les consommateurs…

Le 6 mai dernier avait lieu le premier Festival du thé de la province. L’événement, visant à faire découvrir l’univers du thé, présentait des entreprises de thé et des produits dérivés (kombucha, etc.), ainsi que des conférences, par exemple sur le thé dans la mixologie. Un millier de personnes étaient attendues au Palais Montcalm de Québec. «Le public est très large et de tous âges, indique Émilie St-Pierre-Plourde, l’instigatrice de l’événement. On amènera peut-être le festival à Montréal aussi dans le futur, il y a une demande…»

Le thé, boisson la plus bue sur terre après l’eau, connaît en effet une popularité croissante depuis une dizaine d’années. Les consommateurs recherchent plus de qualité; fini les thés en sachet, en achète des thés fins en vrac. Des compagnies plus bas de gamme comme Unilever ou Twinnings commencent à augmenter leur qualité pour suivre les autres entreprises. Le thé s’est aussi démocratisé: dans certaines compagnies, les machines à thé ont fait leur apparition à côté – ou à la place – du café, comme c’est le cas chez Ubisoft ou Moment Factory. Bref, le thé, tout le monde s’y met.

«Chez nous, on voit tous les âges de clients, c’est très démocratique et varié, raconte Kevin Gascoyne, l’un des actionnaires de Camellia Sinensis. Il y a ceux qui viennent chaque semaine, l’homme d’affaires qui demande «Quel est votre thé le plus cher?», l’étudiant qui demande «Quel est votre thé le moins cher?», des touristes en pèlerinage devant la boutique…» Car si les Québécois sont habitués à avoir la maison de thé dans le paysage depuis une vingtaine d’années, Camellia Sinensis a le plus important catalogue de thés en Amérique du Nord et s’est fait une réputation de taille dans le monde entier.

«L’histoire fait partie du produit»

Aux États-Unis, toutes les compagnies de thé utilisent le livre de la maison québécoise comme outil de formation et ouvrage de référence. Rares sont les maisons de thé à se rendre sur place pour aller sélectionner et goûter les thés, comme le font les quatre dégustateurs de Camellia Sinensis. «On cumule 80 années de recherches et de vécu dans les jardins de thé en Inde, en Chine… Aucune autre compagnie mondiale ne fait ça à ce niveau-là», affirme Kevin, spécialiste des thés noirs indiens. En plus de proposer des ateliers gourmands, Camellia Sinensis dispense dans son école de thé des leçons théoriques, à l’achalandage croissant.

«Les Québécois sont très connaisseurs de thé mais ne le réalisent pas, argue le dégustateur. Des milliers de personnes ont fait ne serait-ce que le premier atelier de découverte…» Car lorsqu’on parle de thé, il ne s’agit pas de sachet Lipton mais de thé sur feuilles appartenant à une famille aromatique, venant d’un endroit précis et infusé d’une manière particulière. «Dès lors, l’histoire et le terroir derrière un thé deviennent importants, explique Kevin. Il y a un côté passe-temps qui vient avec, qu’on n’a pas quand on achète du thé RedRose. Là, l’histoire fait partie du produit, de l’expérience…»

Pour Jean-François Desaulniers, sommelier qui se spécialise notamment dans le thé, cette curiosité découle d’un travail d’éducation important: «C’est cette même éducation qu’il y a eu avec le vin et qui a fait que, si on buvait du Harfang des neiges il y a 15 ans au Québec, on a maintenant accès à une belle sélection de vins. Les gens ici sont très foodies, et ça contribue à l’engouement pour les nouvelles choses. Au Québec – et en Amérique du Nord en général – les gens sont ouverts d’esprit et intéressés, si l’on compare par exemple à l’Europe où les habitudes suivent en général des tendances un peu plus classiques; à Bordeaux, on boit des vins de Bordeaux, en Bourgogne, des vins de Bourgogne…»

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Expérience épicurienne et bar à chai

Le marché des thés de spécialités en Amérique du Nord est plus avancé qu’en Europe, où l’intérêt dans le haut-de-gamme démarre beaucoup plus lentement. «Notamment en Angleterre, où le thé s’achète en épicerie avec les produits de tous les jours; pour eux, le thé n’est pas un nécessairement un produit avec une origine spécifique, raconte Kevin. Mais ici, c’est un nouveau produit.» Si le Canada a un marché un peu plus développé pour les thés bas de gamme à moyens, du fait de l’héritage britannique, les gens restent tout de même plus ouverts qu’ailleurs aux thés haut de gamme aux origines spécifiques.

Des différences chez le consommateur que le dégustateur britannique constate au quotidien: au Québec, la population a un désir d’expérience épicurienne, alors qu’aux États-Unis ou en Europe les gens ont une approche beaucoup plus intellectuelle. «Ils vont me demander des statistiques, des infos avant de goûter. Ils ont donc déjà préconçue l’expérience avant de boire le thé, décrit Kevin. Les Québécois recherchent plus l’expérience gustative, l’histoire vient en deuxième plan. Ça créé une relation plus authentique avec nos clients. Et, du fait de la culture française encore bien présente, les Québécois sont prêts à payer pour ces expériences…»

Des expériences qui restent raisonnables d’un point de vue prix, car l’une des beautés du thé, c’est aussi d’être peu cher, souligne le dégustateur de Camellia Sinensis: «On peut boire une théière d’un thé qui a gagné une compétition pour le prix d’une bouteille de vin très moyen. Et le thé, pas besoin de le connaître pour l’aimer!» Pour répondre à la demande, la maison de thé parraine actuellement un bar à thé chai qui ouvrira prochainement sur le Plateau Mont-Royal à Montréal, le Bristol Chai.

Les entrepreneurs du thé

Ce bassin de clients potentiels a vite intéressé les entrepreneurs, et les nouvelles enseignes de thé fleurissent. On citera bien sûr David’s Tea, fondée en 2008 et inscrite au Nasdaq en 2015, et qui ouvre une trentaine de boutiques par an. «Pour l’Amérique du Nord, ça prenait quelque chose d’un peu plus accessible. Le côté asiatique du thé ne parlait qu’à une petite partie des gens… David’s Tea, c’est une bonne introduction au thé», pense Kevin. «Des entreprises comme David’s Tea ou Monsieur T à Québec ont ouvert la porte à une clientèle plus jeune», confirme Émilie St-Pierre-Plourde, du Festival du thé du Québec.

Plus récemment, Tea Taxi a été fondé en Abitibi: cette entreprise installe des mini-boutiques de thé dans les commerces existants. La compagnie travaille actuellement sur un plan qui la fera passer de 500 à 1500 points de vente au pays en un an, avant de mettre le cap sur les États-Unis. Tea Taxi vise à présent les supermarchés, et ses comptoirs sont déjà très présents dans les grandes chaînes de pharmacies. Pour son fondateur, Simon Letendre, le thé est un produit santé qui trouve bien sa place dans l’offre de ces magasins.

Car si le thé a tant la cote, c’est notamment pour ses bienfaits sur le corps, que le dégustateur de Camellia Sinensis connaît sur le bout des doigts: «C’est un tonic utilisé depuis 5 000 ans, qui a un côté exotique et des origines intéressantes. On utilise le thé comme médicament car c’est un antioxydant qui vivifie, aide le focus, stimule tout en calmant… La liste des vertus du thé est longue comme le bras. C’est une des plantes qui a la meilleure relation symbiotique avec le corps.»

Pour Émilie St-Pierre-Plourde, cette (re)découverte a été rendue possible notamment grâce à Internet, qui a permis de s’ouvrir aux nombreux bienfaits du thé et à ses différentes sortes – car pendant longtemps on n’a connu que le noir et le vert. Alors que l’on fait attention son alimentation, le côté santé du thé rassemble face au plaisir un peu coupable associé au café, qui doit être consommé avec modération. Mais si les bienfaits du thé sont nombreux, le goût passe avant tout pour Kevin, qui boit quotidiennement 4 à 5 litres de thé: «C’est plus intéressant de faire une dégustation d’abord pour le plaisir gustatif que pour la santé. Et le plaisir, c’est bon pour la santé…»

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