Vie

Appellations contrôlées : Protéger le terroir

Alors que le maïs sucré de Neuville vient d’obtenir son appellation officielle, de plus en plus de certifications de produits sont à l’étude… Le terroir québécois serait-il (enfin) reconnu?

Il sera sans doute la vedette des Fêtes gourmandes de Neuville, qui auront lieu du 25 au 27 août: le maïs sucré de Neuville a sa propre appellation réservée depuis le 5 juin dernier. On le trouve désormais accompagné d’un logo assurant son identification géographique protégée (IGP) ainsi que sa certification Écocert Canada. C’est que ce maïs du terroir québécois a des caractéristiques bien spécifiques: cultivé à Neuville depuis le 17e siècle, il se différencie de ses congénères par son goût très sucré dû à un microclimat doux et à l’abri du vent, et au sol sableux et calcaire propre à la région.

Cette appellation réservée, l’Association des producteurs de maïs sucré de Neuville l’attendait depuis décembre 2014, date à laquelle ils ont lancé leur dossier de demande au Conseil des appellations réservées et des termes valorisants (CARTV). «Le cahier des charges doit être accepté, ensuite il y a un plan de contrôle, et le ministre doit accepter le dossier… Ça prend trois ans de démarches», conclut Isabelle Béland, secrétaire de l’association.

Cette appellation vise surtout à protéger de l’usurpation du nom de ce produit vedette de la région. Si la dizaine de membres producteurs vendent principalement leur maïs dans la région de Portneuf et à Québec, ils ont déjà trouvé du «maïs sucré de Neuville» sur des étals de la Côte-Nord, ou alors bien avant que les premiers épis n’aient été récoltés à Neuville. «C’est un travail de longue haleine sur une dizaine de générations qui fait de notre maïs ce qu’il est. Quand on travaille fort pour créer un produit particulier, c’est bien de le protéger, souligne Isabelle Béland. Une réputation est plus facile à détruire qu’à bâtir…»

CARTVgate

Cette nouvelle appellation réservée assure notamment que tout «maïs sucré de Neuville» est bien fait à Neuville, et sans semences OGM. «La fraude alimentaire est un problème mondial», regrette Pascale Tremblay, directrice du CARTV. Pour lutter contre cela, une inspectrice du Conseil entreprend des visites de contrôle (698 visites pour 2016), que ce soit sur le terrain ou pour vérifier les publicités et autres annonces utilisant une appellation, qu’elle soit de territoire, de mode de production ou de spécificité.

Le maïs sucré de Neuville est la sixième appellation reconnue au Québec, après le bio (2000), l’agneau de Charlevoix (2009), le cidre de glace et le vin de glace (2014) et le fromage au lait de vache canadienne (terme valorisant reconnu depuis 2015). Si le Québec fait pâle figure à côté de la France, qui enregistre près de 400 produits protégés, la province compte avec le CARTV la seule juridiction de ce type existant en Amérique du Nord.

En attendant, le Conseil s’est retrouvé sous les projecteurs en février dernier avec la démission de son ancienne directrice: cette dernière a notamment dénoncé dans les médias le manque de collaboration flagrante du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation (MAPAQ). Yohan Dallaire Boily, responsable des relations de presse du ministère, dément pourtant toute volonté de mettre des bâtons dans les roues: «On a posé plusieurs gestes pour soutenir les produits du Québec, dont des gestes financiers. On soutient le CARTV.» De son côté, Pascale Tremblay n’a pas voulu commenter plus le «CARTVgate». «Ma prédecesseure a eu son droit de parole. On est un organisme indépendant, même si on relève du ministre, et les relations sont bonnes avec le ministère.»

fromage

Répondre à la demande

Sept nouveaux dossiers sont à l’étude au CARTV: le terme valorisant de fromage fermier, le cheddar de l’Île-aux-Grues, les vins du Québec, les produits marins fumés traditionnellement, l’alcool d’érable vinifié Acer, le bleuet du Lac-Saint-Jean et l’eau de vie du Québec. «Il y a une augmentation du nombre de demandes, souligne Yohan Dallaire Boily. Le consommateur est de plus en plus ouvert à acheter des produits reconnus et locaux. Et c’est très important pour le MAPAQ de répondre à cela.»

Même optimisme du côté du CARTV: «Les gens sont de plus en plus sensibilisés à l’authenticité, et ils veulent que le produit soit à la hauteur de leurs attentes. Ils recherchent une valeur ajoutée; ici, cette valeur est en plus validée par une loi. Le succès de ces appellations va certainement en appeler d’autres. J’ai confiance dans les Québécois et dans leur recherche d’authenticité. Ça va faire un effet boule de neige… Les consommateurs d’ici sont un bon terreau pour développer les appellations.»

Car le système d’appellations au Québec est relativement jeune. Les demandes viennent de la base: une appellation est portée par un groupe, souvent de producteurs. «Une appellation protège un mode de production, ça circonscrit une région. C’est des années de travail qui amènent à la reconnaissance, à l’issue de démarches rigoureuses… On veut faire en sorte que les produits soient protégés, notamment avec l’Accord économique et commercial global (CETA)», conclut la directrice du CARTV. Et, de même que l’appellation bio est arrivée au niveau fédéral en 2009, on pourrait espérer que d’autres appellations remonteront aussi. Parce que protéger le terroir, c’est d’abord le reconnaître.