Montréal accueillait le 31 octobre dernier Tasting Climate Change, la première conférence internationale sur la question des enjeux climatiques dans les vignobles des grandes régions vinicoles du monde. Un rassemblement qui avait lieu à l’initiative de la médiatique sommelière Michelle Bouffard – qui publiait en septembre son premier livre Dis-moi qui tu es, je te dirai quoi boire.
C’est à ce sujet des impacts des changements climatiques sur le vin que la sommelière avait consacré une thèse en 2005 : « À cette époque, on commençait à en parler… Ce qui est épeurant, c’est que les gens ont besoin d’avoir les choses dans la face pour agir! Mais de nos jours il y a une conscientisation, un retour à la terre. On commence à se réveiller. »
Malgré tout, il lui a été difficile de trouver l’argent pour organiser cette conférence internationale, qui n’a pu avoir lieu que grâce au soutien de commanditaires. « Le ministère du Développement durable a répondu à ma demande deux jours seulement avant la conférence… pour dire non », raconte Michelle Bouffard.
Sur la scène de cette conférence, un beau panel d’invités en provenance des quatre coins du globe : Gregory Jones, spécialiste de l’étude du climat et de la viticulture, Jamie Goode, auteur et biologiste expert de la science du vin, Pedro Parra, expert et consultant en terroir – qui peut se targuer d’être l’homme qui a fait le plus grand nombre de carottes géologiques dans des vignobles -, Alberto Antonini, œnologue et consultant, et Steven Guilbeault, cofondateur et directeur principal d’Équiterre.
Maturité trop précoce
Ce dernier a ouvert le bal avec un résumé des changements climatiques sur la planète à ce jour, qui amènent notamment à des épisodes de sécheresse accrue et d’inondations ainsi qu’à une hausse des températures. Jusque-là, rien de neuf. Mais si l’on sait que les conséquences des changements climatiques sont nombreuses, on se rend compte à quel point elles impactent aussi les vignobles, et de ce fait le vin que l’on consomme au quotidien.
Concrètement, ça donne quoi? L’enjeu majeur du réchauffement, c’est l’accès à l’eau pour l’irrigation. Jamie Goode, blogueur et voyageur du vin, nous emmène dans un rapide tour du monde des régions en souffrance. En Australie ou en Afrique du Sud par exemple, où de nombreux vignobles dépendent grandement des cours d’eau pour irriguer les vignes, les épisodes de sécheresse ont rendu l’eau moins accessible.
La hausse des températures entraîne en outre des vendanges qui commencent plus tôt, ce qui implique une plus grande concentration de sucre dans le raisin. Quand les dernières étapes de la maturation se font dans un climat plus chaud, il en résulte un vin avec un taux d’alcool plus élevé. Certains vignobles de Champagne sont notamment touchés par ce problème de maturité précoce.
Avec le printemps qui commence de plus en plus tôt, la véraison est aussi précoce dans de nombreux vignobles. Mais si la saison commence en avance, les vignes peuvent ensuite être touchées par des épisodes de gel début mai, très dommageables pour les fruits – comme cela a été le cas en Sancerre en 2016 et 2017.
Vins fumés et mousseux anglais
Le réchauffement climatique est aussi à l’origine de la multiplication des feux de forêts lors de vagues de chaleur, dont sont notamment victimes la Californie, l’Australie et le Portugal. Or, les grappes exposées à la fumée durant la fin de leur maturation peuvent donner un vin avec un léger goût de cendres, amer et désagréable. Pas très vendeur…
Le côté positif, c’est que si la plupart des régions vinicoles sont victimes de ce réchauffement climatique, d’autres zones du globe en bénéficient. Ainsi, l’Allemagne et l’Alsace produisent de meilleurs vins, et la Nouvelle-Écosse se place quant à elle comme une région vinicole montante avec de nouveaux produits très intéressants. Idem pour le Québec.
Au Royaume-Uni, la hausse des températures permet dorénavant d’y cultiver des cépages de la Champagne, et le vin mousseux anglais est en train de décoller. Et pourquoi le Québec ne deviendrait-il pas la nouvelle Loire d’ici quelques décennies? Mais Michelle Bouffard n’aime pas l’utilisation du terme de « bénéficiaire » pour ces nouvelles régions productrices : « Même si le Québec réussit à faire de meilleurs vins, la planète ne va pas bien… Personne n’est bénéficiaire. »
Travailler local
Alors, faudrait-il cesser de planter des vignes dans des endroits qui demandent une irrigation? Dans ce cas, il faudrait enlever toutes les vignes du Nouveau Monde, répond avec cynisme Gregory Jones. Non, il n’y a pas de réponse évidente ou de solution magique aux situations causées par les changements climatiques.
L’ébauche de réponse qui semble sortir de cette conférence, c’est de suivre son terroir, d’écouter sa terre. Si des cépages autochtones semblent avoir survécu à un endroit pendant des siècles, pourquoi vouloir à tout prix planter des hybrides? Pourquoi essayer de copier ces vins qui se font sur d’autres continents?
Et l’œnologue Alberto Antonini de conclure : « Il ne faut pas chercher à faire des vins qui correspondent au marché, mais chercher le marché de consommateurs qui correspond à vos vins. » Bref, exprimer son terroir avant tout.
« Le changement passe par les petits comme les gros producteurs »
La conférence a attiré un large public en cette semaine de la Grand Dégustation de Montréal et autres salons du vin. Importateurs, restaurateurs, sommeliers, producteurs, journalistes du Canada et des États-Unis…
« Un agent de la SAQ est même venu me voir à la fin de la conférence pour me dire « Merci, je ne vendrai plus le vin de la même façon! » », confie Michelle Bouffard, contente d’avoir eu dans son public des membres de la Société ainsi que de grosses corporations du vin. « Ça m’inspire de voir de gros producteurs passer au bio, chercher des solutions avec nous. Le changement passe par les petits comme les gros producteurs! »
Et la sommelière pense déjà à une deuxième édition de la conférence d’ici deux ans. « On a juste effleuré le sujet cette année… Mais on aurait pu en parler pendant des semaines! » Lors de la prochaine rencontre, la discussion devrait être plus axée sur l’utilisation de cépages indigènes.
« Dans toute la chaîne du vin, du producteur au consommateur, on a tous un rôle à jouer, une responsabilité. Il y a des choix écoresponsables à faire, et pas juste dans la vigne ; en construisant des bâtiments certifiés par exemple… Le but de cette conférence, c’est de continuer à parler de ces enjeux. » Rendez-vous dans deux ans donc.