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Prêt-à-cuisiner

Des initiatives de cuisine centrale pourraient-elles pallier la pénurie de main-d’œuvre qualifiée en restauration? Zoom sur un projet de Québec qui promet.

Ce n’est pas un scoop pour personne, la restauration au Québec va mal. Si le talent est bien là, les restaurateurs ont de plus en plus de difficulté à trouver des employés. Et la relève ne sera pas au rendez-vous, à voir la situation dans les écoles hôtelières: les inscriptions diminuent, les classes ferment… À l’école de Québec, cinq professeurs ne sont pas rentrés cette année. Alors que les chiffres sont pires chaque année, d’ici 2030 on annoncerait un manque de près de 29 000 emplois dans la restauration au Québec. «Il y a un certain dégoût qui apparaît chez les cuisiniers qui en sont à 80 heures de travail par semaine», commente Arnaud Marchand, chef de Chez Boulay à Québec. «Et une compétition malsaine se met en place: des membres de mon équipe se sont fait approcher dans mon propre resto par des concurrents. On s’inquiète de la situation à Montréal ou Québec, mais en Gaspésie ou aux Îles-de-la-Madeleine, c’est encore pire… Et ça devrait être comme ça pour encore au moins cinq ans.» En effet, pour les restos en régions – dont beaucoup sont fermés pendant l’hiver –, trouver des employés saisonniers est un défi encore plus grand. Bref, ça va mal.

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Véritable

«C’est notre boulot de sauver ce métier de passion», affirme le chef de Chez Boulay, qui lance avec deux comparses (de chez La Bête et Le Fumoir ancestral) l’usine Véritable, une initiative de cuisine centrale à Québec, qui permettra aux restaurateurs et aux traiteurs du coin de gagner du temps et de l’argent sur la transformation des produits. Véritable ouvrira à l’automne ses 9000 pieds carrés de cuisine équipée dans le quartier de Limoilou, avec une vingtaine d’employés aux fourneaux. Et le trio d’associés a des champs d’expertise reconnus (gibier, fumage, cuisson sous vide) pour donner une valeur ajoutée. «On va faire la recette que nous donnera le client, voire développer sa recette! indique Arnaud. Même si ce n’est pas lui qui a fait le produit, il décide du goût. On va commencer avec nos charquis de bœuf, nos saumons fumés… Le but, c’est pas de remplacer le resto, c’est de l’aider en lui amenant un produit très stable. Le but, c’est de mieux travailler que dans les restos.» Une bonne approche sans trop de frais pour une start-up qui veut faire des essais avant de démarrer un produit, ou pour un resto qui a des besoins plus occasionnels.

700kg de fumage à la fois

Le concept de Véritable repose sur plusieurs principes. D’abord, des cuisiniers partants pour travailler du lundi au vendredi de 8h à 16h, c’est plus facile à trouver qu’aux horaires traditionnels de la restauration. En outre, l’espace et la technologie offerts par Véritable – 1 500 000$ d’investissements – permettent de faire de la quantité. «On a un fumoir d’une capacité de 700 kg! explique le chef. On fait donc un certain volume qui permet de sauver en productivité. C’est l’enjeu en restauration: gagner du temps. Avec le temps que je gagne, je peux aller chercher de la rentabilité.» C’est que, quand on a les infrastructures nécessaires, il n’y a plus une grande différence entre 20 et 100 kg de joues de bœuf braisé… La production est ensuite livrée directement au client dans des boîtes isothermes.

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Véritable

Et le fait que les bons plans et les producteurs spéciaux de Chez Boulay soient maintenant accessibles aux autres restaurateurs? «Partager mes producteurs, les mettre en avant, c’est une fierté!», assure Arnaud. La motivation originelle du trio d’entrepreneurs, c’était d’être capable de trouver une solution aux problèmes actuels de la restauration sans passer par l’intermédiaire du supermarché, et avec des produits de qualité. «Parfois, certains ont peur à l’idée de moins faire de choses eux-mêmes, et je les comprends quelque part. Mais les restaurateurs n’ont plus le choix que d’aller chercher plus de qualité de vie pour leurs cuisiniers.» C’est que le milieu de la restauration n’est pas au bout de ses peines, notamment avec les débats sur la hausse du salaire minimum à 15$. Bref, c’est le moment d’en trouver, des idées pour réduire les coûts et augmenter la productivité, conclut Arnaud. «Le besoin de nouvelles solutions est plus que jamais là…»