Alimentation zéro déchet : êtes-vous prêt?
Compostage, récupération, épiceries en vrac, cuisines communautaires… 2018 sera-t-elle l’année du zéro déchet dans le domaine alimentaire?
Le mouvement zéro déchet peut effrayer au premier abord. On imagine tout de suite quelques environnementalistes convaincus amenant sur un plateau de télévision un pot Mason contenant les déchets qu’ils ont accumulés pendant une année entière, et on se dit qu’un tel changement dans notre style de vie est tout simplement impossible. Mais la réalité est toute autre. «C’est avant tout un mouvement qui encourage le public à refuser ce dont il n’a pas besoin, à la hauteur de ses moyens et de ses limites», explique Michelle Poirier, de l’Association Zéro Déchet.
Comment concilier alimentation durable et société d’hyperconsommation? Nous nous procurons des aliments biologiques venant du Mexique, achetons en plus gros format pour obtenir un meilleur rapport qualité-prix, consommons moins de viande mais sortons toujours nos trois sacs-poubelle chaque semaine sur le trottoir… Et nous gaspillons aussi beaucoup: 47% des denrées que nous achetons, ce qui correspond annuellement à plus de 1000 dollars par foyer.
Ce constat, de plus en plus de personnes en ont cependant conscience. Ce ne sont pas automatiquement des ultras, loin de là. Michelle Poirier a elle-même une famille, des besoins et, avoue-t-elle en souriant, elle ne peut pas se passer de ses cotons-tiges même s’ils ne sont pas recyclables. «Je mange également de la viande et sors des poubelles comme tout le monde. J’ai cependant décidé de réduire, par des petits gestes du quotidien, ma production de déchets à la source en observant tout ce que je jetais en l’espace de quelques semaines. J’ai ainsi progressivement changé mon mode de consommation, mais aussi mon mode de vie. Je cherche à présent à avoir une relation durable avec ce que j’achète. Je magasine intelligemment, je réutilise, je recycle et je lutte à ma manière contre l’obsolescence programmée qu’on veut nous imposer.»
Ces petits gestes qui comptent
Penser zéro déchet en alimentation, ce n’est pas si compliqué que cela en a l’air. Michelle Poirier utilise ses pelures d’oranges pour faire de la confiture, s’approvisionne en viande et en fromage avec ses propres contenants, fréquente des épiceries zéro déchet et emprunte ses livres de cuisine à la bibliothèque. Estelle Richard, du projet Sauve ta bouffe, donne aussi des trucs tout simples: manger avant de faire son épicerie, plonger sa salade dans de l’eau pour la conserver plus longtemps, ou encore faire un bouillon avec ses restes de viande.
«La plupart du temps, les gens ne gaspillent pas par légèreté, dit-elle. Ils ne savent juste pas comment s’y prendre pour améliorer les choses et succombent aux messages trompeurs des épiceries, qui nous incitent à acheter bien plus que ce dont nous avons réellement besoin. Notre rôle, ce n’est donc pas de sermonner qui que ce soit, mais d’encourager chaque petit geste.» Cette approche inclusive explique sans doute le succès de la plateforme Sauve ta bouffe, très dynamique sur le web et sur le terrain, tout comme l’achalandage surprenant (7000 visiteurs) du premier Festival Zéro Déchet qui s’est tenu cet automne à Montréal.
Quels sont les publics rejoints par un message zéro déchet? «À peu près tous, répond Michelle Poirier. Nous avions pendant le festival des activités destinées à tous les types de consommateurs: familles, jeunes adultes, enfants, aînés. Ils étaient curieux et désireux d’en apprendre plus.» De son côté, Estelle Richard a constaté que ses astuces anti-gaspillage alimentaire étaient très populaires auprès des femmes actives. «Ce sont souvent elles qui s’occupent de la gestion de la nourriture à la maison et qui voient concrètement ce qui est jeté. Mais nos conseils rejoignent aussi les gens qui veulent économiser, ceux qui sont aux prises avec la pauvreté et qui veulent reprendre du pouvoir sur leur alimentation, ou simplement ceux qui aiment bien manger et trouvent dommage de voir partir de bons produits à la poubelle.»
Du côté des professionnels
Que représente le gaspillage dans les épiceries, les commerces de bouche et les restaurants de la province? Qu’en est-il aussi des producteurs, ou encore des entreprises en transformation? Environ 40% des produits de la chaîne alimentaire sont perdus. On sait cependant que les légumes moches, longtemps rejetés avant même d’aller sur les étalages des magasins, ont à présent une vitrine. Il existe également des initiatives intéressantes sur le marché. Le Circuit Zéro Déchet par exemple, qui permet aux consommateurs de se rendre dans des épiceries traditionnelles avec leurs propres contenants, peut être une bonne alternative en région aux épiceries sans déchet.
En Outaouais, l’Escouade anti-gaspillage, composée de bénévoles, se rend à l’invitation de producteurs dans des fermes pour y chercher des légumes à donner et les ramène à Moisson Outaouais. À Québec, Récoltes urbaines ramasse les fruits des arbres laissés à l’abandon dans les jardins, cours arrière et parcs pour les redistribuer à parts égales entre les propriétaires, les bénévoles et des organismes sociaux. À Montréal, La Tablée des chefs récupère les préparations des grands hôtels et des restaurants et les achemine à différents centres d’aide aux plus démunis.
Chef activiste
«Ça fait partie de notre travail de cuisinier d’éviter le gaspillage, pense Guillaume Cantin, ancien maître des fourneaux au restaurant Les 400 Coups et activement impliqué dans la mouvance zéro déchet. C’est naturel, puisque nous calculons nos coûts. Par contre, il y a encore beaucoup d’éducation à faire dès l’école. Personnellement, même si je m’intéressais depuis longtemps à l’origine des produits que j’utilisais, j’ai pris conscience que si on n’assure pas leur durabilité, ça ne sert à rien. Et je me suis demandé comment agir pour que cet héritage soit accessible aux prochaines générations.»
Le chef a donc commencé à réfléchir à une solution qui lui permettrait de joindre son expertise à un message positif encourageant l’alimentation durable. Il l’a finalement trouvé en compagnie de Thibault Renouf, son partenaire dans le projet La Transformerie, qui est en train de voir le jour dans le quartier Rosemont–La Petite-Patrie. «Notre idée de base est simple: pourquoi ne pas réaliser des produits intéressants avec ce qui est d’ordinaire envoyé à la poubelle par les commerces? Nous avons fait des tests et avons été très surpris de constater que les fruits et les légumes, notamment, sont souvent retirés des étalages quand ils sont mûrs, et donc à leur meilleur. Nous avons donc approché plusieurs entreprises et leur avons proposé de faire la collecte de leurs invendus, pour les transformer en de nouveaux produits qui seront en partie vendus au public, et en partie remis à des associations d’aide alimentaire du quartier. C’est un projet collaboratif porteur pour tous, les consommateurs, les commerçants et la municipalité.»
La gamme de tartinades sucrées et salées de la Transformerie, qui devrait compter une douzaine de produits conçus sur la base de recettes simples et grand public, disposera aussi d’un principe de recyclage des bocaux qui seront rapportés. D’ici un an, elle a l’objectif de produire 1500 pots de tartinades par semaine.
Quand l’industrie fait sa part
En 2017, Le pain dans les voiles, boulangerie artisanale bien connue à Montréal et sur la Rive-Sud, a concocté en collaboration avec la brasserie Simple Malt une bière un peu particulière… à base de restants de pain. «L’idée n’est pas nouvelle, car on retrouve déjà des produits de ce type en Belgique et en Russie. Mais nous avons eu envie de la tester ici avec des restes de notre Pain du Peuple», explique Jimmy Gravelet, gérant de la boulangerie. Le succès de l’opération Bière du peuple a été immédiat. «Même si pour une entreprise artisanale comme la nôtre, accumuler plus de 100 kilos de restants de pain pour produire 2000 litres de bière peut représenter un défi, nous sommes très fiers de ce projet, à la fois en termes de qualité, de collaboration et de recyclage.»
Autre exemple intéressant, et à une plus grande échelle: la gamme de sauces pour pâtes Kitchen Lab faites à base de légumes moches. Initiée par les supermarchés Metro et développée dans Lanaudière par la compagnie de transformation Aliments Sibon, elle propose trois recettes originales, dont la rosée à la betterave, qui a fait partie des coups de cœur de la dernière Expo Manger Santé et Vivre Vert. «Je suis convaincue qu’il y aura de plus en plus d’initiatives de ce genre dans l’industrie alimentaire. Nous développons d’ailleurs de nouveaux produits dans cette gamme, notamment avec du chou-fleur», explique Amélie Léger, présidente d’Aliments Sibon.
Un avenir zéro déchet?
Même si leur approche est différente, tous les intervenants sont optimistes quant à la tangente que prendra notre rapport à la nourriture au cours des prochaines années. «Je crois que le mouvement est enclenché et qu’il ne s’agira pas d’une mode de passage, car il nous invite à retourner à la source après 30 ans d’égarement, pense Michelle Poirier. Nous n’aurons pas le choix dans le futur, si nous voulons garder notre planète et l’humanité qui l’habite. Cependant, il s’agit moins de regarder ce qui va mal que de mettre en place des choses pour que ça aille mieux.»