Nordic Food Lab : le goût de la durabilité alimentaire
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Nordic Food Lab : le goût de la durabilité alimentaire

Crée en 2008 à Copenhague, le Nordic Food Lab mêle science et alimentation. Cette organisation à but non-lucratif travaille à retrouver une cuisine ancrée dans sa géographie et sa culture, mais aussi dans une visée écologique. Le but: mettre au point un système où tout le monde pourrait manger, mais aussi bien manger. Son directeur, Michael Bom Frøst, sera en conférence à Montréal le 26 février prochain dans le cadre de Montréal en Lumière. Entrevue avec un homme qui goûte à tout.

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Voir: Qui travaille au Nordic Food Lab?

Michael Bom Frøst: Nous sommes une dizaine actuellement. Le candidat idéal pour le Nordic Food Lab doit être capable de faire aussi bien de la théorie et de conduire des recherches que de cuisiner. Ensuite, nous communiquons sur nos recherches en voyageant dans le monde, en écrivant des livres et des articles scientifiques, en apparaissant dans les médias, en diffusant nos travaux sur notre site web… Bref, en étant des évangélistes de la nourriture!

Comment définir votre mission, exactement?

Les gens sont limités à une étroite banque de variétés et de goûts; notre travail est donc d’élargir le spectre des aliments que nous pouvons trouver savoureux.Parfois il faut provoquer le goût actuel, parfois nous allons dans la tradition culinaire pour trouver des goûts ou des aliments que nous avons oubliés, qui sont tout aussi nourrissants mais différents de ce que nous mangeons actuellement.

Quelles recherches menez-vous actuellement au Nordic Food Lab?

Nous avons beaucoup travaillé sur le tempeh, un aliment traditionnel indonésien. Nous ne cultivons pas de soja dans nos pays, donc nous avons réfléchi à la manière adapter la méthodologie de fabrication du tempeh à nos cultures locales…

Nous faisons aussi beaucoup de recherches sur les calmars. Dans l’écosystème marin, les céphalopodes sont l’une des seules espèces en croissance car la plupart de leurs prédateurs sont victimes de surpêche. Comme ce n’est pas vraiment dans notre culture de manger des calmars, nous avons regardé comment ça se passait dans les pays qui en consomment, quelles techniques sont utilisées, pour voir comment on peut les adopter dans notre système alimentaire.

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En quoi vous rattachez-vous à la cuisine nordique?

Le mouvement de nouvelle cuisine nordique a redécouvert la connexion à la nature. Il y a 15 ans, la mode en gastronomie était de faire une cuisine très orientée sur la technologie, avec la cuisine moderne, moléculaire… Cette tendance a éloigné la gastronomie de la nature, d’où elle vient.

En 2004, une Déclaration de la nouvelle cuisine nordique a été signée par dix chefs. Elle a lancé une révolution: nous avons besoin de nous reconnecter et de faire de la nourriture le point de focus pour l’innovation, pour un changement de société. Je pense que c’est ce qui se passe actuellement dans beaucoup d’endroits. En nous connectant avec l’endroit où nous vivons, les chefs sont un moyen de lutter contre la mondialisation et ses effets négatifs.

Vous travaillez donc beaucoup sur une alimentation locale…

Oui, notre mandat est de travailler avec des aliments locaux. Il y a 50 ans, il était plutôt rare d’avoir des aliments provenant de loin; d’autant que certains aliments voyagent mal, comme les légumes feuillus. Comprendre ce que nous devrions cultiver localement et ce que nous pouvons exporter plus globalement serait une façon de rendre notre alimentation plus durable. Dans son livre Kitchen literacy, l’historienne culinaire Ann Vileisis souligne qu’il y a 200 ans, la nourriture était la part de la nature que nous mangions; aujourd’hui, ce n’est plus ainsi que les gens voient l’alimentation, nous nous sommes coupés de ça.

C’est un des principaux problèmes de notre système alimentaire actuel?

Nous avons oublié comment utiliser ce que nous avons et comment en tirer le maximum. Il y a aussi le gaspillage alimentaire: environ 34% de ce qui est cultivé sur la planète ne sera jamais transformé en nourriture. Enfin, beaucoup de gens ont perdu la capacité de cuisiner. Peut-être qu’on pourrait se mettre à cuisiner plus au lieu d’être sur les médias sociaux?

Votre mission est aussi très liée à l’écologie et au développement durable…

Les gens qui travaillent sur la durabilité le disent tous: l’alimentation a un énorme impact sur notre empreinte environnementale. Aujourd’hui les informations voyagent plus vite que jamais, et nous avons l’opportunité de pouvoir garder les meilleures façons de faire de la nourriture, les élevages et cultures les plus durables.Nous devons aussi concentrer nos efforts à rendre notre système alimentaire plus circulaire pour limiter le gaspillage.

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Crédit : Chris Tonnesen

Et le végétarisme dans tout ça?

Tout ce qui peut amoindrir l’impact environnemental de l’alimentation sur la planète est nécessaire. Un des moyens les plus faciles est de passer d’un régime alimentaire avec beaucoup de viande rouge à un régime alimentaire végétal, ou avec des viandes provenant d’autres espèces comme les insectes ou les poissons. Mais ces régimes ont aussi leurs défauts. En tout cas, la clé, c’est le goût.

C’est-à-dire?

On nous dit de manger ceci parce qu’il y a des protéines, de manger cela parce que c’est bon pour la planète, mais personne ne parle du goût des aliments. Si vous arrêtez la viande pour sauver la planète mais en allant contre vos préférences gustatives, ce sera seulement une question de temps avant que vous n’ayez à nouveau envie de viande. Mais si on rendait disponible plus de nourriture savoureuse qui ne provient pas d’origine animale, nous pensons au Nordic Food Lab pouvoir amener plus de gens à manger moins de viande, plutôt que d’utiliser l’argument de sauver la planète. Sans perte de plaisir, c’est plus facile de convaincre les gens…

Moi, j’éduque les gens sur le goût: je comprends pourquoi les gens aiment ce qu’ils aiment, et comment on pourrait changer ce qu’ils aimeront dans le futur. En utilisant cela, nous essayons au Nordic Food Lab de concevoir de la nourriture qui peut attirer les gens vers des aliments qu’ils n’ont jamais essayés avant. Il y a vingt ans, la nourriture santé et la nourriture savoureuse étaient deux choses différentes. Mais ça a changé.

Nous mettons au point une nouvelle nourriture et de nouvelles façons de présenter les matières premières; parfois elles sont radicales, parfois elles ressemblent plus à ce que nous consommons actuellement.

Parlez-nous des insectes justement…

J’étais avec  un étudiant qui travaille sur des aliments à base d’insectes – il a notamment fait un biscuit. Il y a dix ans, à simplement parler de mettre des insectes dans de la nourriture, les gens nous auraient pris pour des fous. Aujourd’hui c’est une discussion réaliste. Les changements se font plus vite qu’avant…

Comment les utiliser? C’est comme apprendre un nouveau langage: il y a plus de 2 100 espèces d’insectes qui pourraient être consommées, et presque autant de façons différentes de les cuisiner. Avec le Nordic Food Lab, nous sommes allés là où les gens mangent des insectes pour comprendre leur rôle dans leur système culinaire.

En Europe du Nord on en a mangé dans des cas où on ne pouvait pas se permettre de consommer autre chose, mais dans d’autres endroits on les mange car ils sont simplement délicieux. Ce n’est pas du tout une nourriture ennuyeuse, les insectes sont parfois plus proches des goûts auxquels nous sommes habitués que l’on veut bien le penser.

La première fois que j’ai goûté à un insecte, c’est une fourmi de l’Amazonie. Ça a été une explosion de saveurs: ça avait un goût incroyable, entre des feuilles de limes et du gingembre… Ça a été une révélation.

Crédit : Josh Evans
Crédit : Josh Evans