De la lumière en affaire
On connaît Lambert & Fils pour ses superbes luminaires, qui se vendent partout dans le monde et figurent dans de nombreuses revues et salons de design. Mais si les jeunes designers sont attirés par cette PME montréalaise montante, c’est aussi pour sa culture d’entreprise, une des clés de son succès. Visite d’une entreprise pas tout à fait comme les autres.
C’est Soleil, la massothérapeute, qui nous accueille dans les locaux. Elle vient passer ses vendredis chez Lambert & Fils pour masser les employés. «Au début, je leur enseignais le yoga. C’est l’employeur qui payait, on faisait les cours sur le lieu de travail, raconte Soleil. Dans les cours, les gens me confiaient qu’ils avaient des douleurs reliées à leur position de travail. Comme je suis aussi massothérapeute, j’ai proposé de faire des massages en prévention des blessures… Rapidement, on a eu de bons résultats.»
C’est qu’ici, les initiatives ne viennent pas forcément de la direction, et chacun peut proposer ses idées pour améliorer le quotidien. L’entreprise fait ainsi venir un mécano au début du printemps pour réviser les vélos des employés, elle offre des cours de français et d’anglais sur les heures de travail, fait livrer un fût de bière le vendredi… Si l’atelier regorge de vis, de boulons ou de matériaux en tous genres, l’ambiance est bien loin des Temps modernes: le travail se fait en musique, dans un grand loft de Villeray plein de plantes vertes (chaque employé a la sienne) où se promène un chien, et bouffes en commun, barbecues au parc ou 5 à 7 sont récurrents.
Depuis sa création par Samuel Lambert en 2010, l’entreprise a quasiment doublé son nombre d’employés chaque année, pour arriver à 55 aujourd’hui. Ici on croise un Écossais, là un Iranien… Celui-ci vient du monde de la restauration, cet autre des finances, et on voit des jeunes filles à la silhouette frêle aux machines. Bref, il y a de tout. «C’est une question d’énergie, on veut varier l’écosystème», justifie Samuel, le boss. Il ajoute en riant: «Comment je recrute? Faut avoir les mains sales!»
Tous les mois, chaque employé cumule 100 dollars Lambert & Fils, qui lui permettent de s’offrir un luminaire au bout d’un moment. «Je n’ai moi-même pas le niveau de salaire pour me permettre d’acheter une de nos lampes, donc je trouve normal de les rendre accessibles aux gens d’ici. On leur fait aussi des bons rabais.» En outre, les employés ont accès aux équipements pour leurs projets personnels.
Responsabiliser chaque employé
Sept mille lampes sont sorties de chez Lambert & Fils l’année dernière, et environ le double est attendu pour cette année. L’entreprise va devoir bientôt déménager, par besoin d’espace… Dans les nouveaux locaux, les tables collaboratives seront privilégiées au lieu d’espaces de travail individuels. Si chaque lampe est en général montée à la main par un employé, il arrive que l’équipe s’organise en travail à la chaîne pour une commande de gros volume.
«Là, le directeur général est en train de monter des boîtes de lampes à la main, commente Soleil. Tu vois pas ça partout quand même!» Marc-Olivier vient du monde des médias, où il était analyste financier. «Ici, c’est une ambiance très familiale, et c’est ça qui m’a attiré. Tout le monde ou presque a fait des études en design, mais beaucoup de gens ont eu comme moi des jobs beiges avant… En partant de l’entrevue, je me disais: “J’aimerais ça passer mes journées ici!”»
La dernière initiative en date, c’est le lab créatif: un atelier hebdomadaire d’exploration avec du béton, des retailles de laiton, de la formation sur certaines machines… «Au premier lab, on a tout de suite ressenti que ça avait ravivé quelque chose. L’après-midi qui a suivi, les gens étaient rechargés, plus motivés», se souvient Marc-Olivier. Dans les nouveaux locaux, un espace de galerie est prévu pour exposer des œuvres des employés ou d’artistes extérieurs.
La première série de laboratoires a abouti en une exposition, Patent Pending, qui s’est tenue le mois dernier à Espace Projet. «C’est un lieu d’expérimentation pour montrer le fruit de ces laboratoires. N’importe quel employé pouvait proposer un projet, un panel a sélectionné les œuvres, et ceux qui n’ont pas été retenus aidaient les autres à mettre leur idée en place.» Patent Pending explore ainsi à travers des œuvres multisensorielles les frontières entre l’art contemporain et le design. L’employé qui a géré l’organisation de l’expo n’avait jamais fait ça auparavant. «On responsabilise chaque employé sur un projet. Ils comprennent mieux la direction après, ils deviennent des partenaires dans un objectif commun», explique Samuel.
Miel sur le toit
«L’expo, c’est une idée qui est venue d’une employée. L’initiative est vraiment la bienvenue, c’est ça qui est cool ici», souligne Boris. Lui, c’est l’homme à tout faire chez Lambert & Fils: il adapte les espaces de travail afin que tout le monde soit confortable, aide à un photoshoot, donne des formations pour utiliser les outils correctement, s’occupe des plantes… «Je donne un coup de pouce à tous ceux qui en ont besoin. Chaque compagnie devrait avoir un homme à tout faire! Selon moi, j’ai le meilleur poste au monde.»
Boris a notamment lancé l’idée des ruches sur le toit. Tous les employés y ont participé activement sur les heures de travail, et ont pu récolter une grosse production de miel cet été. «C’est parti d’un projet environnemental, on voulait être plus green… Quand on va déménager, on va assurément garder nos ruches.»
Autant d’initiatives qui ont construit une culture d’entreprise au fil du temps. Tout s’est fait de façon très organique, assure Samuel. «Initialement, le but c’est de faire de la rétention d’employés. C’est aussi parce que j’ai envie d’être entouré de gens qui sont motivants et motivés. J’ai envie de cohabiter avec des employés qui sont dans un bon état d’esprit, et je ne serais pas en business si ça ne se passait pas comme ça. Oui, ç’a un coût, mais quand on fait de la rétention d’employés, ça rapporte aussi!»
La Chambre de commerce de l’Est de Montréal a décerné récemment un prix d’entrepreneur à Lambert & Fils. Cet état d’esprit communautaire sera-t-il facile à préserver malgré la croissance exponentielle? «Oui. Il le faut, sinon ça ne sera plus mon entreprise! répond d’emblée Samuel. Si on l’oublie et qu’on dérive trop vers la performance au détriment de ce qui nous est cher, on se le fait rappeler par les employés.» En attendant, c’est la fin d’après-midi et donc bientôt l’heure de la bière. Soleil range sa table de massage après sa visite hebdomadaire chez Lambert & Fils. «Avec eux, mon vendredi est toujours très pétillant…»