La cabane à sucre se réinvente
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La cabane à sucre se réinvente

De la cabane à sucre végétarienne à celle à saveurs maghrébines, certains n’hésitent pas à briser les codes traditionnels. On a poussé la porte de ces cabanes d’un nouveau genre…

Au bout d’un chemin forestier en Estrie, une fumée s’échappe de la petite cabane à sucre de Carole Bouthillette et Mario Tremblay. Des chaudières pendent aux arbres pour recueillir l’eau d’érable et le bac à neige est prêt pour la tire. Au cœur de son érablière, le couple propose pour le temps des sucres un menu pas comme les autres. Pas d’oreilles de crisse ni de lard dans ses fèves, et encore moins de jambon sur sa table. Le repas est entièrement végétarien: tourtière au millet, tarte au tofu, omelettes, fèves noires au four, tarte adzuki et, évidemment, tous les délices de l’érable en dessert.

Ça fait 18 ans que la Pause Sylvestre existe et Carole Bouthillette n’en est pas peu fière: «À l’époque, on s’est dit qu’on ne devait pas être les seuls à avoir envie de manger autre chose que le repas traditionnel pour le temps des sucres. On voulait être fidèles à nous-mêmes alors on a décidé que ça n’allait pas être le festival du jambon. On célèbre l’eau d’érable, alors pourquoi le repas ne pourrait pas être végétarien? demande Carole. Selon moi, s’empiffrer pendant le temps des sucres n’a plus de sens de nos jours, on ne va plus vivre un hiver rude dans le bois. Nous, on préfère manger des aliments santé, totalement oubliés dans les cabanes à sucre conventionnelles.» Aujourd’hui, sa cabane de 23 places est complète chaque saison et a réussi à conquérir autant les végétariens que les amateurs de bifteck.

«J’estime respecter les traditions et même plus que les cabanes traditionnelles parce que je fais mon sirop à la chaudière et mon menu avec des aliments du Québec uniquement», indique de son côté Simon Meloche Goulet, propriétaire de la Cabane à tuque. Ouverte depuis l’année dernière dans les Laurentides, elle est la deuxième cabane végétarienne de la province. Simon a surtout choisi de miser sur des aliments d’ici pour créer son menu. On y retrouve les fameux cretons dans leur version végétalienne, des patates rissolées, une tourtière au millet et aux légumes, et même un ketchup maison. Comme à la Pause Sylvestre, tout ici est préparé avec des légumes du jardin.

Cabane urbaine et shish taouk

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Crédit : Patricia Brochu

Ils sont de plus en plus à avoir l’audace de s’affranchir de la tradition pour cette période de l’année chère aux Québécois. C’est le cas aussi du chef Hakim Chajar, qui chapeaute l’événement Un chef à l’érable, un banquet du temps des sucres organisé à Montréal jusqu’au 15 avril. «J’ai décidé de créer un menu inspiré de mes voyages et notamment des saveurs du Maroc. Je voulais montrer que l’érable, ça marche avec tout. C’est une cabane à sucre non traditionnelle, urbaine», explique-t-il.

Au menu, œufs mimosas aux épices tourtières, oreilles de porcelet, betteraves acidulées façon tacos ou encore tarte de langue de veau et lardons à la shish taouk. Safran, épices à tajine et coriandre, aussi présents dans son menu, illustrent la volonté du chef de donner une touche orientale à sa cabane, qui se retrouve ainsi au croisement de deux cultures qui lui sont chères. «Au lieu de proposer de simples pommes de terre, je vais faire des pommes dauphines pour plus de légèreté. Pour les oreilles de crisse, je servirai de vraies oreilles de cochon», ajoute Hakim Chajar.

Les puristes sauteront peut-être au plafond, mais qu’à cela ne tienne: «Je n’avais pas envie de mettre des cretons pour mettre des cretons, parce que je ne m’appelle pas Jean Tremblay. Ce menu reflète mon identité culinaire et pour moi, la cuisine n’a pas de limites. Si on peut l’amener un peu plus loin en gardant la base de la cabane à sucre qui est l’érable, c’est génial», avance le chef, qui espère bien pousser les gourmands hors de leur zone de confort.

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Crédit : Patricia Brochu

Retour aux sources

Ceux qui cherchent le traditionnel peuvent toujours goûter à l’authentique à la Maison amérindienne de Mont-Saint-Hilaire, qui propose un menu à saveurs autochtones pour le temps des sucres. «Il ne faut pas oublier que, contrairement à ce que certains disent, ce sont les Européens qui ont repris les traditions amérindiennes pour recueillir l’eau d’érable et en faire du sirop. Ici, nous voulons faire perdurer les traditions et nous la recueillons à la main, puis nous utilisons des chaudrons de fonte pour la faire bouillir», détaille André Michel, fondateur de la Maison amérindienne, qui s’est donné pour mission de réhabiliter les origines du sirop d’érable.

À sa table, on retrouve du pain banique, un potage à la citrouille et des hauts de cuisse de poulet marinés à l’érable servis sur un lit de riz sauvage et blanc, accompagnés d’une salade iroquoise de maïs aux herbes de la montagne. Si au début André Michel servait du caribou ou de l’orignal, il s’est rendu compte que le public n’avait pas toujours une appétence pour ce genre de viande très forte. Il a donc opté pour du poulet, plus «passe-partout». «Et en dessert, nous servons de la tarte au sucre sans croûte, une recette des Atikamekw de Manawan…»

Crédit : La Maison amérindienne

Si son initiative attire les amateurs, c’est parce que d’après lui les gens s’intéressent de plus en plus aux cultures autochtones. Et puis, il y a l’amour du sirop d’érable, dont 91% de la production canadienne provient du Québec. Car tout le monde s’accorde finalement sur une chose: aux prémices du printemps, quoi qu’il arrive, c’est l’érable qui est roi.